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13/06/2025 | FRANCE | N°24PA02658

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 13 juin 2025, 24PA02658


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mis à sa charge au titre des années 2017 et 2018.



Par un jugement n° 2202257 du 21 mars 2024, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande en accordant à Mme A... la décharge sollicitée et a mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au ti

tre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Procédure devant la Cour :


...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mis à sa charge au titre des années 2017 et 2018.

Par un jugement n° 2202257 du 21 mars 2024, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande en accordant à Mme A... la décharge sollicitée et a mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 2202257 du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de remettre à la charge de Mme A... les sommes dont le dégrèvement a été prononcé par les juges de première instance.

Il soutient que :

- c'est à tort que les juges de première instance ont retenu que la proposition de rectification adressée à Mme A... n'avait pas été régulièrement notifiée ;

- aucun des moyens soulevés par Mme A... tenant à la régularité de procédure suivie dans le cadre de l'examen de sa situation fiscale personnelle ou au titre du bien-fondé des suppléments d'imposition mis à sa charge ne permettait de faire droit à sa demande.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, Mme A..., représentée par Me Marchesseau, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'administration n'apporte pas la preuve de la réception de la proposition de rectification préalablement à la mise en recouvrement des impositions en litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence sanitaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., associée unique et présidente de la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) AD Expertise et Conseil, a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2017 et 2018 à l'issue de laquelle l'administration fiscale a mis en recouvrement, le 31 octobre 2021, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, en droits et pénalités, de montants respectifs de 19 315 euros au titre de 2017 et 14 756 euros pour 2018. Par la présente requête, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève régulièrement appel du jugement du 21 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a, par ses articles 1er et 2, fait droit à la demande de Mme A... en lui accordant la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie et a mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le motif de décharge retenu en première instance :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Les rectifications doivent être notifiées au contribuable. En cas de contestation sur ce point, il incombe à l'administration fiscale d'établir qu'une telle notification a été régulièrement adressée au contribuable et, lorsque le pli contenant cette notification a été renvoyé par le service postal au service expéditeur, de justifier de la régularité des opérations de présentation à l'adresse du destinataire. La preuve qui lui incombe ainsi peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes figurant sur les documents, le cas échéant électroniques, remis à l'expéditeur conformément à la règlementation postale soit, à défaut, d'une attestation de l'administration postale ou d'autres éléments de preuve établissant la délivrance par le préposé du service postal d'un avis de passage prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste.

3. Pour prononcer la décharge des impositions supplémentaires mises à la charge de Mme A..., les juges de première instance ont retenu que l'administration ne démontrait pas que la proposition de rectification du 3 juin 2021 lui aurait été régulièrement notifiée. Il ressort des pièces du dossier que cette proposition de rectification a été adressée à l'intéressée le 8 juin 2021 et que l'accusé de réception a été retourné au service, revêtu d'une signature manuscrite, le 22 juin suivant. Mme A... soutient que cette signature ne correspond ni à la sienne ainsi qu'en attestent deux experts en graphologie, ni à celle d'aucune personne habilitée à recevoir un pli recommandé en son nom, seuls ses enfants mineurs étant susceptibles d'avoir été présents lors de la présentation de ce pli postal. Toutefois, elle n'établit par aucune pièce que la personne signataire de la réception de ce courrier n'aurait pas été habilitée à le recevoir en se bornant à soutenir qu'aucun mandat ne serait renseigné sur l'accusé de réception, cette omission ne permettant pas de remettre en cause sa distribution. Par ailleurs, si Mme A... se prévaut de l'historique du suivi postal de ce pli, ce document qui porte uniquement sur la période du 8 au 12 juin, ne permet pas de remettre en cause sa distribution le 22 juin suivant, correspondant à la date de réexpédition à l'administration fiscale de l'accusé de réception. Si elle soutient également que le cachet de réexpédition ne comporte la mention que du jour et du mois sans que l'année n'apparaisse à la suite d'une altération de ce document, Mme A... ne conteste pas que la proposition de rectification a été envoyée le 8 juin 2021, la concordance entre cette première date et celle de la réexpédition de l'avis de réception le 22 juin suivant, soit dans le délai légal de mise en instance d'un courrier recommandé, ne permet ni de retenir que le pli n'aurait pas été distribué en 2021, ni que cet accusé de réception puisse être regardé comme dépourvu de valeur probante. Il est par ailleurs constant que les impositions en litige ont été mises en recouvrement le 31 octobre 2021, la chronologie des étapes de la procédure excluant que la proposition de rectification ait pu être réceptionnée une autre année que celle de 2021. Enfin, la circonstance que la date de première présentation de ce pli ne serait pas lisible reste sans incidence sur la date de sa réception. Il résulte de l'ensemble de ces éléments de fait que la notification de cette proposition de rectification doit être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à la date du 22 juin 2021. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que les conditions de notification l'auraient privée de la garantie qu'elle tient des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales et que la procédure d'imposition suivie à son encontre aurait été irrégulièrement conduite. Il suit de là que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour prononcer la décharge litigieuse, le tribunal administratif de Paris a retenu que l'administration n'établissait pas la remise du courrier contenant la proposition de rectification du 3 juin 2021 à Mme A... ou à une personne habilitée à le recevoir.

4. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens présentés par Mme A... devant le tribunal administratif.

5. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales : " Dans les conditions prévues au présent livre, l'administration des impôts peut procéder à l'examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l'impôt sur le revenu, qu'elles aient ou non leur domicile fiscal en France, lorsqu'elles y ont des obligations au titre de cet impôt. / (...) / Sous peine de nullité de l'imposition, un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ne peut s'étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l'avis de vérification (...) ". Pour l'appréciation de la durée maximale prévue par ces dispositions, l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle à l'issue duquel l'administration adresse au contribuable une notification de redressement doit être regardé comme achevé à la date de l'envoi de la notification.

6. D'autre part, aux termes de l'article 10 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 : " I.- Sont suspendus à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 23 août 2020 inclus et ne courent qu'à compter de cette dernière date, s'agissant de ceux qui auraient commencé à courir pendant la période précitée, les délais : 1° Accordés à l'administration pour réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition et appliquer les intérêts de retard et les sanctions en application des articles L. 168 à L. 189 du livre des procédures fiscales ou de l'article 354 du code des douanes lorsque la prescription est acquise au 31 décembre 2020 ; 2° Accordés à l'administration ou à toute personne ou entité et prévus par les dispositions du titre II des première, deuxième et troisième parties du livre des procédures fiscales, à l'exception des délais de prescription prévus par les articles L. 168 à L. 189 du même livre, par les dispositions de l'article L. 198 A du même livre en matière d'instruction sur place des demandes de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que par les dispositions de l'article 67 D du code des douanes ; (...) ".

7. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le délai d'un an dont disposait l'administration pour procéder à l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de Mme A... au titre de l'année 2017, a été suspendu du 12 mars 2020 jusqu'au 23 août 2020 inclus. Il est constant que ce contrôle a débuté par la réception le 6 février 2020 de l'avis de vérification adressé à Mme A... et devait s'achever le 5 février 2021. Toutefois, compte tenu de la période de cent soixante-cinq jours (12 mars au 23 août 2020), neutralisée à raison des mesures prises en matière de délais de procédures consécutivement à la crise sanitaire, la durée d'une année qui lui était réservée pour procéder à ce contrôle n'était pas échue le 8 juin 2021, date à laquelle la proposition de rectification mettant fin à cette procédure, a été régulièrement adressée à l'intéressée.

8. En deuxième lieu, en vertu du principe d'indépendance des procédures, les éventuelles irrégularités de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux ne peuvent avoir d'autre conséquence que la décharge des impositions mises à la charge de cette société et restent sans incidence sur les impositions personnelles mises à la charge de la personne imposée à l'impôt sur le revenu au titre des distributions de cette société. Par voie de conséquence, Mme A... ne peut utilement soutenir que la vérification de la comptabilité de la SASU AD Expertise et Conseil aurait été irrégulièrement conduite pour demander la décharge des impositions mises à sa charge.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) ". Aux termes de l'article L. 189 de ce même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions et celles énoncées au point 6 du présent arrêt, que le délai de reprise dont disposait l'administration concernant l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux au titre de l'année 2017, qui expirait initialement le 31 décembre 2020, a été suspendu à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 23 août 2020, pour une durée égale à la celle juridiquement protégée de cent soixante-cinq jours de sorte que l'administration disposait d'un délai courant jusqu'au 14 juin 2021 pour notifier une proposition de rectification. Il s'ensuit que la prescription d'assiette n'était pas acquise le 10 juin 2021, date à laquelle la proposition de rectification, interruptive de prescription, a été présentée à l'adresse indiquée par Mme A..., sans qu'ait d'incidence la date à laquelle le pli mis en instance a été retiré, et que le délai de reprise n'était pas expiré lorsque les impositions ont été mises en recouvrement le 30 octobre 2021.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a déchargé Mme A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018, ainsi que des pénalités correspondantes. Il est, par suite, fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement attaqué et que les impositions litigieuses soient remises à la charge de Mme A..., en droits et pénalités.

Sur les frais liés au litige :

12. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans l'instance, les conclusions de Mme A... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2202257 du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles Mme A... a été assujettie au titre des années 2017 et 2018, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remises à sa charge.

Article 3 : Les conclusions de Mme A... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à Mme B... A....

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France (service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).

Délibéré après l'audience du 30 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Lemaire, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 13 juin 2025.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02658


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02658
Date de la décision : 13/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SELARLU MARCHESSEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-13;24pa02658 ?
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