La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2025 | FRANCE | N°23PA03655

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 30 mai 2025, 23PA03655


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 20 avril 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 30 août 2017 portant rejet de sa demande, présentée le 30 juin 2017, tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle en raison des agissements de harcèlement moral qu'il aurait subis, d'annuler la décision du 27 juillet 2018 par laquelle la ministre des armées a

rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 26 janvier...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 20 avril 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 30 août 2017 portant rejet de sa demande, présentée le 30 juin 2017, tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle en raison des agissements de harcèlement moral qu'il aurait subis, d'annuler la décision du 27 juillet 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 26 janvier 2018 portant rejet de sa demande présentée le 21 novembre 2017 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle en raison des agissements de harcèlement moral qu'il aurait subis, et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 535 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des fautes commises par son employeur dans la gestion administrative de sa carrière.

Par un jugement n° 1802924, 1805044, 1807772 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 août et 20 octobre 2023 et 7 et

31 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Peyret, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler les décisions des 20 avril et 27 juillet 2018 de la ministre des armées ;

3°) d'enjoindre au ministre des armées de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle et de prendre en charge l'intégralité des frais et honoraires des avocats, médecins et experts sollicités pour la défense de ses intérêts dans le cadre de la présente instance, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 535 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral, ses conditions de travail s'étant considérablement dégradées depuis l'arrivée d'un nouveau secrétaire général à la tête du Conseil général de l'armement (CGARM) à compter du 1er mai 2016, ce qui a eu pour effet d'impacter sa santé mentale et d'obérer son avenir professionnel ;

- sa hiérarchie a tenté de le faire réformer pour l'empêcher de dénoncer les illégalités commises au sein du CGARM, comme le révèle le rapport d'avril 2018 réalisé par l'Institut d'accompagnement psychologique et de ressources et contrairement à ce que révèle l'enquête de commandement réalisée en juillet 2017, entachée de nombreuses irrégularités ;

- la responsabilité de l'Etat est dès lors engagée et il peut prétendre à l'indemnisation du préjudice financier et moral subi.

Par des mémoires en défense enregistrés les 15 mars et 4 novembre 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que M. B... n'a été victime d'aucun harcèlement, mais s'est inscrit par son comportement dans une relation conflictuelle avec son employeur qui explique la dégradation de sa situation et la souffrance au travail qui peut être la sienne.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Peyret, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., militaire et ingénieur en chef de l'armement de première classe, a été affecté, à compter du 1er février 2013, à la structure permanente du Conseil général de l'armement (CGARM), en qualité de chargé de mission. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation des décisions des

20 avril et 27 juillet 2018 par lesquelles la ministre des armées a rejeté ses recours administratifs préalables obligatoires formés contre les décisions refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral dont il estime avoir été la victime, et de condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi.

2. Aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

3. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. En premier lieu, si M. B... se plaint d'une diminution de ses prérogatives, il est constant que les trois objectifs qui lui ont été fixés au titre de l'année 2016 datent de mars 2016, avant l'affectation du nouveau secrétaire général du CGARM, le 1er mai 2016, qui serait à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce dernier serait à l'origine de l'abandon, pour 2016, de l'objectif n° 2, relatif à la réalisation de l'étude " Dépendance Asie phase 2 ", s'agissant d'un projet interministériel pour lequel un mandat du ministre était nécessaire et qui n'a pas été octroyé en 2016 malgré les relances exercées par le nouveau secrétaire général. De plus, si M. B... soutient que l'objectif n° 3, relatif à " l'action NRBC ", aurait été confiée à un autre ingénieur en chef, il n'apporte aucun élément en ce sens, alors qu'il ressort du formulaire de fixation d'objectifs que celui-ci n'a pu être évalué faute pour l'intéressé d'avoir le droit d'en parler, celui-ci étant tenu par un accord de confidentialité, et non en raison de son transfert à un autre agent. S'agissant de l'année 2017, si M. B... soutient que l'objectif n°1, relatif à la finalisation du rapport d'étude sur le système national d'innovation en Chine, correspondait à une tâche déjà réalisée, il ressort des pièces du dossier que des compléments lui avaient été demandés à plusieurs reprises, en vain, en 2016. Il ressort également des pièces du dossier que l'objectif n° 3 relatif à la participation à l'étude Dépendance - Asie Pacifique concernait la phase 2 de cette étude, laquelle n'avait pas été réalisée compte tenu de son abandon au titre de l'année 2016. Par ailleurs, le requérant n'apporte aucun élément de nature à établir que la mise à jour de l'étude sur le système national d'innovation de l'Australie, correspondant à l'objectif n° 4, était dépourvue d'objet. De même, le ministre des armées expose sans être contredit que la constitution et la synthèse d'un premier fonds documentaire, en préparation de l'étude sur les futures dépendances Asie Pacifique, constitutifs de l'objectif n° 2, n'étaient pas sans objet, l'espoir que cette étude serait lancée en 2017, subsistant début 2017. Enfin, M. B... ne conteste pas le bien-fondé des objectifs n° 5 et 6 qui lui ont été fixés. Il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que sa charge de travail aurait été réduite en 2016 et 2017 par rapport aux années 2014 et 2015, comme le montrent les formulaires de fixation des objectifs au titre de ces quatre années, qui comportent des objectifs comparables.

5. Si M. B... soutient également avoir proposé au secrétaire général plusieurs sujets d'étude en coopération avec le CGEiet qui auraient tous été refusés sans raison apparente, le ministre des armées soutient sans être contredit que l'intéressé n'a pas été en mesure de présenter une invitation à coopérer en provenance de CGEiet, ni de justifier de l'intérêt du CGARM à contribuer à ces sujets. S'il soutient en outre que le secrétaire général aurait refusé toutes ses demandes de formation et de stages, il n'apporte aucune précision au soutien de ses allégations, alors qu'il ressort des pièces produites en défense qu'un financement de 588 euros lui a été accordé pour assister, le 9 novembre 2017, à une conférence à l'IHDEN sur les " nouvelles menaces ", et que des cours de langue lui ont effectivement été refusés, comme ne correspondant pas à un besoin professionnel, ce dans un contexte budgétaire contraint. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le poste occupé par M. B... au sein du CGARM était au nombre de ceux exigeant d'être habilité au niveau " secret défense " ou " secret OTAN ", et il ressort des courriels produits en défense qu'il lui a été demandé en vain de remplir le formulaire de renouvellement de son habilitation " confidentiel défense ". Dès lors, et en tout état de cause, les défauts d'habilitation dont il se plaint sont étrangers à tout agissement constitutif de harcèlement moral.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le niveau de valeur de

M. B... a été évalué à " Très bon " au titre de l'année 2015 et à " Bon " au titre de l'année 2016. Si le requérant critique cette baisse, il ne conteste pas le bien-fondé des appréciations circonstanciées portées sur son évaluation relative à la nécessité d'apporter des compléments à son étude sur le système national d'innovation en Chine et au caractère difficilement exploitable de ses comptes-rendus des réunions mensuelles du CGEiet. Par ailleurs, la circonstance qu'il a été privé, entre 2007 et 2016, de la possibilité de connaître l'évaluation de son potentiel de carrière dans le cadre de ses évaluations professionnelles ne saurait en tout état de cause être utilement invoquée pour critiquer les agissements du secrétaire général affecté au 1er mai 2016.

7. En troisième lieu, la circonstance que M. B... aurait subi plusieurs critiques de la part du secrétaire général lors d'une réunion de présentation de son étude sur le système national d'innovation en Chine le 1er juillet 2016, puis se serait vu reprocher de manière virulente, en présence de plusieurs agents, de ne pas avoir intégré ses remarques dans un document, n'est pas de nature à excéder l'exercice anormal de son pouvoir hiérarchique par le secrétaire général du CGARM, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ci aurait adopté de manière récurrente un comportement vexatoire à son égard, ni que les critiques formulées à son encontre étaient injustifiées. Par ailleurs, si M. B... soutient avoir été humilié et menacé lors d'une réunion qui s'est tenue le 19 mai 2017, l'attestation qu'il produit fait état d'une " prise à partie avec hostilité " de la part d'une personne extérieure au CGARM.

8. En quatrième lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a, dans la nuit du 27 au 28 septembre 2016, envoyé un courriel à la directrice des affaires juridiques du ministère de la défense, deux courriels au secrétaire général du CGARM et un courriel à ces deux personnes, au ton particulièrement déplacé, mêlant des reproches liés à leur refus d'intervenir pour l'aider à récupérer son permis de conduire, de graves problèmes d'ordre privé, des demandes d'aide, ainsi qu'une histoire humoristique au goût douteux. Compte tenu de son comportement à la fois inapproprié et alarmant, de ce qu'il a précisé dans un courriel être malade, et des courriels décousus qu'il a également envoyés dans la journée du

28 septembre 2016, le rappel à l'ordre par le secrétaire général du CGARM, le

28 septembre 2016, et sa demande de consultation d'un médecin relèvent de l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique par son supérieur. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces produites, et notamment du courrier du 12 septembre 2017 du docteur A..., que son supérieur hiérarchique aurait, à cette occasion, demandé au médecin de constater son inaptitude. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été arrêté par son médecin traitant du

19 juin au 16 juillet 2017 et que le médecin des armées qu'il a consulté le 19 juillet 2017 a prolongé son arrêt maladie jusqu'au 5 septembre 2017, en conditionnant sa reprise à la consultation d'un médecin psychiatre, ce qui explique que ce même médecin l'ait, le

6 septembre 2017, maintenu en arrêt maladie jusqu'au 20 septembre 2017 dès lors qu'il n'avait toujours pas consulté de médecin psychiatre. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que ce médecin psychiatre, consulté le 20 septembre 2017, a arrêté M. B... jusqu'au 13 octobre, puis jusqu'au 2 novembre 2017 et l'a reconnu apte au travail le 3 novembre 2017. Si le requérant produit un document présenté comme le verbatim de la consultation du 20 septembre 2017, faisant état d'un placement en congé de longue durée pour le protéger d'une réforme disciplinaire, il est en tout état de cause constant qu'il n'a pas été placé en congé de longue durée. De même, il ne ressort pas des conclusions du rapport d'enquête de commandement que sa hiérarchie aurait cherché à obtenir son placement en congé de longue durée ou sa réforme, ce rapport s'en remettant à l'appréciation des médecins consultés par M. B.... Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que son administration aurait cherché à le réformer et que les consultations médicales qui lui ont été demandées ainsi que les avis rendus par ces médecins aient eu d'autres motivations que son état de santé psychique.

9. En cinquième lieu, par une décision du 16 février 2018, M. B... a été muté à compter du 15 mars 2018 au centre d'analyse technico-opérationnelle de défense, situé à Arcueil. Outre la souffrance au travail dont il se plaignait, il ressort de plusieurs courriels des mois d'octobre et novembre 2017 qu'il était en conflit ouvert avec sa hiérarchie, dont il contestait de manière récurrente l'autorité et à laquelle il s'adressait de manière inadaptée, voire comminatoire, et qu'il avait adopté une attitude quérulante. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de mutation aurait été prise pour des motifs étrangers à l'intérêt du service.

10. En dernier lieu, si M. B... soutient qu'une situation de harcèlement moral généralisée existait au sein du CGARM, cette situation, à la supposer même avérée, ne serait pas de nature à établir qu'il aurait personnellement été victime de tels agissements. De même, les éléments se rapportant aux années 2023 et 2024 dont fait état le requérant sont sans incidence sur la légalité des décisions contestées.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de M. B..., c'est à bon droit que la ministre des armées a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à ce titre. Pour les mêmes motifs, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation des décisions des 20 avril et 27 juillet 2018 et de condamnation de l'Etat. Ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative, doivent également, par voie de conséquence, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Doumergue, présidente de chambre,

Mme Bruston, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2025.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. DOUMERGUE

La greffière,

E. FERNANDO

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA03655 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03655
Date de la décision : 30/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : Paul Peyret

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-30;23pa03655 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award