Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 janvier 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande tendant à la levée du gel sur les avoirs de A... (LIA), ensemble les décisions des 30 juillet 2020 rejetant ses recours gracieux et hiérarchique.
Par un jugement n° 2015775 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 juin 2023, 3 octobre 2023, 29 décembre 2023 et 8 février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils, représentée par Me de Monsembernard, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 avril 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 17 janvier 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande tendant à la levée du gel sur les avoirs de A... (LIA), ensemble les décisions des 30 juillet 2020 rejetant ses recours gracieux et hiérarchique ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique d'autoriser le déblocage des fonds dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées par la LIA sur le fondement des mêmes dispositions.
Elle soutient que :
- le jugement contesté a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- il est insuffisamment motivé ;
- les juges de première instance ont omis de statuer sur la qualité d'émanation de l'Etat de A... (LIA) et sur l'opportunité de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur l'interprétation du paragraphe 2 de l'article 11 du règlement (UE) 2016/44 ;
- ils ont entaché leur jugement d'erreurs de droit et d'appréciation et d'erreur de qualification juridique des faits ;
- la qualification de la société LIA comme émanation de l'Etat libyen par les juridictions civiles a nécessairement une incidence sur l'obligation souscrite par cette entité à l'encontre de la société Al-Kharafi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif et n'a pas été remise en cause par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 septembre 2022 dans un précédent litige de même nature l'opposant à la LIA ;
- le règlement (UE) 2016/44 ne conditionne pas le déblocage des fonds à l'existence d'un contrat conclu par l'entité sanctionnée elle-même ; en exigeant l'intervention personnelle de l'entité concernée à la conclusion du contrat, la décision attaquée a ajouté à l'article 11 paragraphe 2 du règlement une condition non prévue par le texte ;
- les décisions attaquées ont été prises en méconnaissance du droit au recours effectif incluant l'exécution d'une décision juridictionnelle, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- à titre subsidiaire, il appartient à la Cour de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de la question préjudicielle suivante : " la dérogation prévue au paragraphe 2 de l'article 11 du règlement (UE) 2016/44 se rapportant à un accord ou une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le conseil de sécurité ou le comité des sanctions, s'applique-t-elle à une demande de saisie portant sur des actifs considérés par l'autorité judiciaire d'un Etat membre comme relevant, au titre de la théorie de l'émanation, du patrimoine de l'Etat signataire du contrat ' "
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Al-Kharafi ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que le litige relève de la seule compétence du ministre chargé de l'économie.
Par des mémoires en intervention volontaire enregistrés les 3 janvier 2024 et 23 janvier 2024, A... (LIA), représentée par Me Bazille, conclut au rejet de la requête de la société Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils et à ce que soit mise à la charge de la société Al-Kharafi une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code monétaire et financier ;
- le règlement (UE) 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 11 novembre 2021, Bank Sepah c/Overseas Financial Limited, Oaktree Finance Limited (C-340/20) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- les observations de Me Audit pour la société requérante,
- et les observations de Me Bazille pour la LIA.
Une note en délibéré présentée pour la société Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils a été enregistrée le 6 mai 2025 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit koweïtien Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils (ci-après société Al-Kharafi) a conclu en 2006 un contrat avec l'Etat libyen portant sur la location de parcelles de terrain en vue de la réalisation d'un projet d'investissement touristique. A la suite de la résiliation unilatérale de ce contrat par le gouvernement libyen en 2010, la société Al-Kharafi a obtenu, par sentence arbitrale du 22 mars 2013, la condamnation du gouvernement libyen à lui verser une somme de 936 940 000 dollars US, majorée d'intérêts au taux de 4 % en réparation de l'inexécution de ce contrat. En l'absence d'exécution de cette sentence arbitrale, la société Al-Kharafi a entrepris son exécution forcée sur les biens détenus en France par la Libye et obtenu l'exequatur de cette sentence arbitrale par une ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 13 mai 2013, confirmée en appel par un arrêt du 28 octobre 2014 et par la Cour de cassation le 8 juin 2016. La société Al-Kharafi a ainsi initié plusieurs mesures de saisies-attributions sur les fonds déposés sur un compte ouvert à la Société Générale par A... (LIA) soumise à des mesures de gel des avoirs en application de la résolution n° 1973 (2011) prise par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 17 mars 2011 et mise en œuvre au sein de l'UE par le règlement (UE) 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 alors applicable, abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2016/44 du 18 janvier 2016. Par une décision du 17 janvier 2020, confirmée sur recours gracieux et hiérarchique par des décisions du 30 juillet 2020, le directeur général du Trésor a rejeté la demande présentée le 12 novembre 2019 par la société Al-Kharafi tendant à la levée des fonds de la LIA détenus par la Société Générale. Par la présente requête, la société Al-Kharafi relève régulièrement appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de ces trois décisions.
Sur l'intervention de Libyan Investment Authority (LIA) :
2. A... (LIA) a intérêt au maintien du jugement attaqué. Ainsi son intervention est recevable.
Sur la demande de mise hors de cause du ministre de l'intérieur et des outre-mer :
3. Il résulte des dispositions des articles L. 562-3 et L. 562-11 du code monétaire et financier que seul le ministre chargé de l'économie peut décider le gel des fonds et ressources économiques résultant d'une résolution des Nations unies ou d'un acte pris en application de l'article 75 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et autoriser le déblocage et la mise à disposition d'une partie des fonds ou ressources économiques faisant l'objet d'une telle mesure. Par suite, il y a lieu de mettre le ministre de l'intérieur hors de cause.
Sur la régularité du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". L'absence de communication à une partie, en temps utile pour y répondre, d'un mémoire ou de pièces jointes à un mémoire, sur lesquels le tribunal administratif a fondé son jugement, entache la procédure suivie d'irrégularité.
5. La société requérante soutient que le caractère contradictoire de la procédure a été méconnu par le tribunal qui s'est abstenu de lui communiquer deux mémoires de la LIA produits les 5 octobre 2022 et 24 mars 2023, postérieurement à la clôture d'instruction intervenue le 24 mars 2022 et sur lesquels les juges de première instance se sont fondés aux points 6 et 8 de leur jugement en se référant à deux arrêts de la Cour de cassation du 7 septembre 2022 produits à l'appui du premier de ces deux mémoires.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier de première instance que le mémoire du 5 octobre 2022 auquel étaient annexés deux arrêts de la Cour de cassation du 7 septembre 2022, a été communiqué à la société Al-Kharafi le 21 mars 2023, cette communication ayant eu pour effet de rouvrir implicitement l'instruction, laquelle a été clôturée à nouveau trois jours francs avant l'audience, soit le 27 mars 2023. La société qui avait introduit l'un des pourvois jugés par la Cour de cassation et avait la qualité de défendeur dans le second, n'a pas attiré l'attention du tribunal sur le délai de quatre jours dont elle a disposé pour répliquer à ce mémoire, n'a pas présenté de demande de délai supplémentaire ou de report d'audience et n'a pas relevé à l'appui de la note en délibéré produite à l'issue de l'audience, une difficulté particulière à présenter le cas échéant un mémoire en réplique dans le délai qui lui avait été réservé. Par ailleurs, et contrairement à ce qu'elle soutient, il ne ressort pas des motifs énoncés aux points 6 et 8 du jugement contesté que les arrêts de la Cour de cassation du 7 septembre 2022 auraient été déterminants sur la solution du litige. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, le délai, même bref, dont la société Al-Kharafi a disposé, doit être regardé comme ayant été suffisant pour qu'elle puisse y répondre. D'autre part, les répliques et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux susceptibles d'avoir une incidence sur l'issue du litige, conditions qui en l'espèce n'imposaient pas la communication du mémoire produit le 24 mars 2023. Dans ces conditions, le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été méconnu.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort du jugement contesté que les juges de première instance ont répondu de manière suffisamment complète et précise à l'ensemble des moyens qui étaient soulevés devant eux. Si la société Al-Kharafi soutient que les juges de première instance n'ont pas précisé les considérations de droit et de fait permettant de justifier que la qualification d'émanation de l'Etat libyen appliquée à la LIA par des juridictions civiles saisies de l'exécution de la sentence arbitrale, était sans incidence sur l'issue du litige, ils n'étaient toutefois pas tenus de répondre à cet argument avancé par la société au soutien des moyens d'erreurs de droit et d'appréciation qui leur étaient soumis, dès lors qu'ils jugeaient cette qualification inopérante sur les questions de droit qu'ils avaient à trancher. Ce moyen qui tend en réalité à contester le bien-fondé du raisonnement tenu par les juges de première instance et non la régularité du jugement contesté, doit par suite être écarté.
8. En troisième lieu, d'une part, il résulte de ce qui vient d'être énoncé au point précédent que les juges de première instance ont retenu que la qualification de la LIA comme constituant une émanation de l'Etat libyen, était sans incidence sur l'issue du litige. Par suite, la société Al-Kharafi ne saurait soutenir qu'ils auraient omis de se prononcer sur cette qualification qui relève au demeurant de la compétence exclusive du juge de l'exécution en vertu des dispositions de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. D'autre part, si la société requérante a invité le tribunal à saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'application de la dérogation prévue à l'article 11 paragraphe 2 du règlement (UE) 2016/44 du 18 janvier 2016 dans le cas d'une demande de saisie portant sur des actifs considérés par l'autorité judiciaire d'un Etat membre comme relevant, au titre de la théorie de l'émanation, du patrimoine de l'Etat signataire d'un contrat, le caractère inopérant de cette qualification retenue par les premiers juges rendait la question préjudicielle nécessairement sans intérêt pour la solution du litige et par suite sans objet. Au demeurant, aucune obligation de renvoi ne s'imposait aux juges de première instance qui dirigent seuls l'instruction, et disposaient des éléments nécessaires pour former leur conviction et statuer en toute connaissance de cause sur le litige qui leur était soumis, sans procéder à ce renvoi. La société Al-Kharafi n'est par suite pas fondée à soutenir que le tribunal aurait omis de se prononcer sur une telle demande.
9. En dernier lieu, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé de la décision en litige. Par suite, la société Al-Kharafi ne peut utilement soutenir que le jugement contesté est entaché d'erreurs de droit et d'appréciation et d'erreur de qualification juridique des faits pour en obtenir l'annulation.
Sur le bien-fondé du jugement :
10. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016, " 4. Tous les fonds et ressources économiques qui appartenaient aux entités énumérées à l'annexe VI ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés ". Aux termes de l'article 11 du même règlement, " 2. Par dérogation à l'article 5, paragraphe 4, et pour autant qu'un paiement soit dû au titre d'un contrat ou d'un accord conclu ou d'une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l'annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu'elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies : / a) l'autorité compétente concernée a établi que le paiement n'enfreint pas l'article 5, paragraphe 2, ni ne profite à une entité visée à l'article 5, paragraphe 4; / b) l'État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l'avance, son intention d'accorder une autorisation. ".
11. D'une part, il résulte de ces dispositions citées au point 10 que l'autorisation de déblocage de fonds ou ressources économiques gelés, susceptible d'être accordée par le directeur général du Trésor, constitue nécessairement un préalable obligatoire à la mise en œuvre d'une mesure d'exécution forcée qui peut être initiée notamment par la voie de saisies-attributions.
12. D'autre part, par un arrêt (C-340/20) du 11 novembre 2021, la Cour de justice de l'Union européenne, saisie d'une question préjudicielle de la Cour de cassation, a dit pour droit que le mécanisme de gel de fonds défini à l'égard de l'Iran en des termes similaires à celui adopté pour la Libye, s'opposait à ce que soient diligentées, sur des fonds ou des ressources économiques gelés dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, des mesures conservatoires instaurant au profit du créancier concerné un droit d'être payé par priorité par rapport à d'autres créanciers, même si de telles mesures n'avaient pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur et que l'importance des objectifs poursuivis par un acte de l'Union établissant un régime de mesures restrictives était de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables pour certains créanciers affectés par de telles mesures.
13. Il ressort des pièces du dossier que la LIA a fait l'objet d'une mesure de gel des fonds et ressources économiques en sa possession, détenus ou contrôlés par elle hors du territoire de la Libye à la date du 16 septembre 2011, sur le fondement de l'article 5 paragraphe 4 du règlement (UE) 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 alors applicable, abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2016/44 du 18 janvier 2016. Pour rejeter la demande de levée de cette mesure présentée par la société Al-Kharafi, les décisions attaquées ont retenu que les conditions dérogatoires à cette mesure de gel, prévues au paragraphe 2 de l'article 11 de ce même règlement n'étaient pas réunies. Il est constant que la LIA n'est pas signataire du contrat conclu en 2006 portant sur un projet d'aménagement touristique sur le territoire de la Libye. Il ressort également de la sentence arbitrale, rendue en 2013 dans le cadre du litige relatif à la résiliation de ce contrat et rendue exécutoire en France, que la LIA a été expressément mise hors de cause et n'a pas, par conséquent, été associée à la condamnation conjointe et solidaire du paiement des sommes dues à la société. Enfin, il n'est ni établi ni même allégué qu'une obligation de paiement incombe à la LIA au profit de la société Al-Kharafi au titre des fonds ou ressources ayant fait l'objet de la mesure de gel en cause. Par suite, la condition dérogatoire fixée à l'article 11 paragraphe 2 du règlement du 18 janvier 2016 qui impliquerait en particulier qu'un paiement soit dû par la LIA au titre d'un contrat conclu avec la société Al-Kharafi, n'est en l'espèce pas satisfaite. Ainsi, les décisions attaquées ont pu légalement opposer à la société l'absence de signature d'un contrat avec la LIA pour rejeter sa demande, sans ajouter une condition non prévue par ces dispositions. Si la société Al-Kharafi fait valoir que, dans le cadre de contentieux d'exécution de la sentence arbitrale prononcée en sa faveur devant les juridictions civiles françaises, la LIA a été reconnue comme étant une émanation de l'Etat libyen, cette qualification n'a toutefois aucune incidence sur la légalité des décisions attaquées qui constituent la phase préalable aux mesures d'exécution forcée susceptibles d'être mises en œuvre par la société par la voie de saisies-attributions et ne répondent pas aux mêmes objectifs. De telles mesures d'exécution sont d'ailleurs conditionnées à l'obtention d'une autorisation accordée par le directeur général du Trésor, ainsi qu'il ressort tant de l'arrêt (C-340/20) du 11 novembre 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur le mécanisme de gel de fonds adopté par l'Union européenne, que des arrêts de la Cour de cassation du 7 septembre 2022 ou encore de l'arrêt rendu postérieurement le 9 mars 2023 par la Cour d'appel de Paris auquel la société se réfère. A ce titre et contrairement à ce qu'elle soutient, l'arrêt de la Cour de cassation du 7 septembre 2022 qui a annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu le 5 septembre 2019 et les motifs qui en sont le soutien nécessaire, n'a au demeurant pas confirmé la qualification d'émanation de l'Etat appliqué à la LIA. Par suite, la société Al-Kharafi n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées rejetant sa demande de déblocage des fonds déposés par la LIA sur un compte ouvert à la Société Générale.
14. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. ". Aux termes de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la
possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice. ".
15. D'une part, les décisions attaquées, qui refusent la levée du gel des avoirs détenus par la LIA en France, n'ont pas pour objet de permettre l'exécution de la sentence arbitrale rendue en 2013 en faveur de la société Al-Kharafi, laquelle ne constitue pas davantage un préalable obligatoire à une mesure de déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés. Par suite, la société requérante ne saurait utilement soutenir que ces décisions constitueraient un obstacle à l'exécution de cette sentence arbitrale en méconnaissance du droit à un recours effectif. D'autre part, eu égard à l'indépendance des procédures judiciaires d'exécution et d'autorisation administrative en vue du déblocage de fonds ou ressources objet de mesures de gel, la circonstance que la LIA aurait été reconnue comme une émanation de l'Etat libyen par les juridictions civiles dans le cadre de contentieux d'exécution n'a, ainsi qu'il a été dit au point 13, aucune incidence sur les décisions attaquées prises en application du règlement européen du 18 janvier 2016. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société Al-Kharafi n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tenant aux frais liés à l'instance. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Al-Kharafi la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la LIA, laquelle aurait eu qualité pour faire tierce opposition, et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de A... est admise.
Article 2 : Le ministre de l'intérieur est mis hors de cause.
Article 3: La requête de la société Al-Kharafi est rejetée.
Article 4 : La société Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils versera une somme de 1 500 euros à A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils, à A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 23 mai 2025.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02683