Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C..., épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 mai 2024 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être renvoyée.
Par un jugement n° 2412672 du 9 octobre 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de police ou à tout préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2024, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 3 du jugement du 9 octobre 2024 par lesquels le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 mai 2024 et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté attaqué a méconnu les dispositions de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration, alors que les signatures électroniques des actes administratifs font foi jusqu'à preuve du contraire et que, par les pièces qu'il verse, il justifie de la conformité de la signature électronique du signataire ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2025, Mme C..., représentée par Me Rosin, conclut :
1°) au rejet de la requête du préfet de police ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la confirmation de l'article 1er du jugement du 9 octobre 2024 par un moyen de légalité interne, à l'annulation de son article 2 par lequel il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction de délivrance d'un titre de séjour et à ce qu'il soit enjoint au préfet compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à venir ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'arrêté litigieux a été pris en méconnaissance de des dispositions de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration ; le préfet ne justifie pas de la fiabilité de cette signature et ne saurait se prévaloir d'une présomption de fiabilité de cette signature ;
- la décision portant refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et dans l'appréciation quant aux conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 3 avril 2025, Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- le décret n° 2010-112 du 2 février 2010 ;
- le décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 ;
- l'arrêté du 13 juin 2014 portant approbation du référentiel général de sécurité et précisant les modalités de mise en œuvre de la procédure de validation des certificats électroniques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laforêt, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 5 mai 2024, le préfet de police a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme C..., ressortissante camerounaise, née en 1959, lui a fait obligation de quitter le territoire français, dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination. Le préfet de police relève appel du jugement du tribunal administratif de Paris du 9 octobre 2024 en tant qu'il a annulé cet arrêté. Par la voie de l'appel incident, Mme C... demande la confirmation du jugement par un moyen de légalité interne et son annulation en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction de délivrance d'un titre de séjour.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne la compétence de son auteur :
2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. (...) ". Aux termes de l'article L. 212-3 du même code : " Les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Celle-ci n'est valablement apposée que par l'usage d'un procédé, conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au I de l'article 9 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, qui permette l'identification du signataire, garantisse le lien de la signature avec la décision à laquelle elle s'attache et assure l'intégrité de cette décision ".
3. D'une part, le I de l'article 9 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 dispose : " Un référentiel général de sécurité fixe les règles que doivent respecter les fonctions des systèmes d'information contribuant à la sécurité des informations échangées par voie électronique telles que les fonctions (...) de signature électronique (...). Les conditions d'élaboration, d'approbation, de modification et de publication de ce référentiel sont fixées par décret ". Le décret du 2 février 2010 pris pour l'application des articles 9, 10 et 12 de cette ordonnance prévoit, à son article 2, que ce référentiel, à l'élaboration duquel participe l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), est approuvé par arrêté du Premier ministre publié au Journal officiel de la République française et mis à disposition du public par voie électronique. Il dispose, à son article 9, que le directeur général de l'agence délivre la qualification d'un produit de sécurité, attestant ainsi de sa conformité aux exigences fixées par le référentiel. Par l'arrêté du 13 juin 2014 portant approbation du référentiel général de sécurité et précisant les modalités de mise en œuvre de la procédure de validation des certificats électroniques, le Premier ministre a approuvé la version 2.0 de ce référentiel et prévu qu'il serait disponible par voie électronique, notamment, sur le site internet de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Le chapitre 6 de ce référentiel, ainsi rendu public, précise les règles de sécurité auxquelles doit se conformer, en vue de sa validation par l'agence, une procédure de délivrance de certificats électroniques mis en œuvre pour assurer les fonctions de signature électronique.
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique : " La fiabilité d'un procédé de signature électronique est présumée, jusqu'à preuve du contraire, lorsque ce procédé met en œuvre une signature électronique qualifiée. / Est une signature électronique qualifiée une signature électronique avancée, conforme à l'article 26 du règlement [(UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur] et créée à l'aide d'un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l'article 29 dudit règlement, qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique répondant aux exigences de l'article 28 de ce règlement ".
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué a été signé électroniquement " le 5 mai 2024 14:33:50 GMT " par M. D... E..., sous-directeur du séjour et de l'accès à la nationalité à la préfecture de police, auquel le préfet de police a donné délégation de signature par l'arrêté n° 2024-00349 du 18 mars 2024 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris le même jour.
6. En outre, il ressort du catalogue des produits et services qualifiés, agréés, certifiés par l'ANSSI, disponible sur le site internet de cette agence, mentionné au point 3, de même que des informations disponibles sur le site internet de la Commission européenne, que le ministère de l'intérieur bénéficie, depuis le 1er décembre 2021, d'une qualification en ce qui concerne le service de délivrance de certificats de signature électronique " AC Personnes Signature eIDAS V1 ", et que ce service respecte les règles fixées par le règlement européen (UE) n° 910/2014. Il en résulte que le procédé de signature électronique utilisé par le ministère de l'intérieur est conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au I de l'article 9 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 et que sa fiabilité est présumée, en application de l'article 1er du décret du 28 septembre 2017 cité au point 4. Ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il appartient au préfet de police de justifier de la conformité de ce procédé de signature électronique au référentiel général de sécurité ou de sa fiabilité. Or Mme C..., qui n'apporte aucun élément de nature à établir que la signature électronique apposée sur l'arrêté attaqué ne répondrait pas aux exigences précitées, ne remet pas en cause cette présomption de fiabilité.
7. Le préfet de police est par conséquent fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, pour annuler l'arrêté du 5 mai 2024, se sont fondés, faute de production d'un document établissant que le procédé de signature utilisé garantisse l'authenticité de celle-ci et son lien avec la décision à laquelle elle s'attache et assure l'intégrité de cette décision, sur la méconnaissance des dispositions de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre la décision portant refus de séjour :
8. En premier lieu, pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme C..., le préfet a notamment indiqué que l'intéressée était entrée en France le 3 juin 2018 selon ses déclarations et que les éléments qu'elle faisait valoir ne pouvaient être regardés comme des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels de nature à justifier son admission exceptionnelle au séjour. En particulier, le préfet a estimé, d'une part, que les éléments professionnels produits n'étaient pas suffisants et, d'autre part, que Mme C..., veuve et sans charge de famille, ne justifiait pas être démunie d'attaches familiales à l'étranger et que la circonstance que ses enfants majeurs résideraient en France ne lui conférait aucun droit au séjour. Par suite, et quand bien même l'intégralité des éléments de fait dont se prévaut Mme C... n'y sont pas mentionnés, la décision rejetant sa demande de titre de séjour est suffisamment motivée. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que Mme C... avait seulement fait état, lors de sa demande, de la présence de deux de ses enfants en France.
9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police se serait abstenu d'examiner la situation particulière de Mme C..., qui avait sollicité son admission exceptionnelle au séjour en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et aurait ainsi commis une erreur de droit.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ". L'article L. 423-23 du même code dispose : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. D'une part, Mme C..., qui avait demandé son admission exceptionnelle au séjour au titre de son activité professionnelle, ne démontre pas son intégration professionnelle par les quelques mois d'activité salariée et les activités bénévoles dont elle se prévaut. D'autre part, Mme C... soutient être entrée en France le 3 juin 2018 munie d'un visa de court séjour valable du 1er juin au 29 août 2018 et y résider depuis lors et fait valoir qu'elle est veuve et que quatre de ses enfants majeurs vivent en France, dont l'un est Français et les autres désormais en situation régulière. Il ressort toutefois des pièces du dossier que son époux est décédé en 1991 et elle reconnaît avoir un cinquième enfant, sans en préciser le lieu de résidence. Quand bien même elle apporte des témoignages montrant qu'elle s'occupe de ses neuf petits-enfants et qu'elle est un soutien pour les membres de sa famille résidant en France, ces éléments ne sont pas suffisants au regard de la nature des relations, de l'âge de son arrivée en France et de la faible ancienneté de son séjour sur le territoire français, sur lequel elle s'est maintenue en situation irrégulière à l'expiration de son visa de court séjour. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste, dans l'appréciation de sa situation et des conséquences de la décision attaquée, au regard des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Pour les mêmes motifs, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination :
13. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés, par la voie de l'exception, de l'illégalité du refus de titre de séjour, soulevés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, doivent être écartés.
14. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 11 et 12 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dirigé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 mai 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation de Mme C..., n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction qu'elle a présentées par la voie de l'appel incident doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, la somme que le conseil de Mme C... demande à ce titre.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement du 9 octobre 2024 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Paris ainsi que les conclusions de son appel incident sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., épouse A..., et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la cour,
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- M. Laforêt, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2025.
Le rapporteur,
E. Laforêt La présidente,
P. Fombeur
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA04580