Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) Bonheur a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015.
Par un jugement n° 2103658 du 19 octobre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2023, la SCI Bonheur, représentée par Me Chabane et Me Michaud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2023 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la méthode de reconstitution de son bénéfice est radicalement viciée dans son principe dès lors que le service s'est appuyé sur les règles de la comptabilité d'encaissement, alors qu'elle relevait d'une comptabilité d'engagement ;
- la méthode de détermination des charges consistant à retenir seulement celles qui ont été justifiées par des factures est erronée dès lors que le service aurait dû retenir un montant de charges correspondant à la réalité de son activité économique ;
- c'est à tort que le service n'a pas admis la totalité de la taxe sur la valeur ajoutée déductible ;
- la taxe sur la valeur ajoutée déductible aurait dû être calculée en appliquant un ratio de 92 % par rapport à la taxe sur la valeur ajoutée collectée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 septembre 2014, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 septembre 2024 à 12 heures.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la SCI Bonheur ne peut être assujettie à l'impôt sur les sociétés dès lors qu'elle entre, à raison de son objet et de la nature des activités qu'elle exerce depuis la modification de ses statuts le 4 février 2012 jusqu'au terme de la période vérifiée, dans le champ d'application des dispositions du I de l'article 239 ter du code général des impôts.
La SCI Bonheur, représentée par Me Chabane et Me Michaud, et le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ont répondu au moyen d'ordre public par des mémoires, enregistrés respectivement les 15 avril 2025 et 17 avril 2025, qui ont été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt C-664/16 de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, clôturée par une proposition de rectification du 3 juillet 2017, l'administration fiscale, après avoir considéré que la SCI Bonheur, qui exerçait alors une activité de vente d'appartements d'un immeuble qu'elle avait construit, accusait un déficit reportable de 8 210 euros au titre des résultats de son exercice clos en 2014 et était titulaire d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 012 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, lui a assigné une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2015 ainsi qu'un rappel de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015. La SCI Bonheur fait appel du jugement du 19 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires.
Sur les impositions :
En ce qui concerne le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
2. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts relatif au champ d'application de l'impôt sur les sociétés, dans sa rédaction alors applicable : " (...) / 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (...) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 / (...) ". Aux termes du I de l'article 35 de code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : / (...) / 1° bis Personnes qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux / (...) ". Le I de l'article 239 ter du même code, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que : " Les dispositions du 2 de de l'article 206 ne sont pas applicables aux sociétés civiles créées après l'entrée en vigueur de la loi (...) du 23 décembre 1964 et qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, à la condition que ces sociétés ne soient pas constituées sous la forme de sociétés par actions ou à responsabilité limitée et que leurs statuts prévoient la responsabilité indéfinie des associés en ce qui concerne le passif social / Les sociétés civiles visées au premier alinéa sont soumises au même régime que les sociétés en nom collectif effectuant les mêmes opérations ; leurs associés sont imposés dans les mêmes conditions que les membres de ces dernières sociétés ".
3. Les dispositions précitées du I de l'article 239 ter du code général des impôts limitent l'exemption d'impôt sur les sociétés qu'elles instituent au profit des sociétés civiles qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente et qui réalisent de telles opérations. En vertu du c du 1 de l'article 239 du code général des impôts, les dispositions permettant l'exercice d'une option à l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés ne sont pas applicables aux sociétés civiles mentionnées à l'article 239 ter du même code.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes mêmes de la proposition de rectification du 3 juillet 2017, que la SCI Bonheur s'est donnée pour objet social la gestion de locaux immobiliers lors de son immatriculation, le 12 janvier 2006, auprès du greffe du tribunal de commerce de Créteil, et qu'elle a acquis le 16 février 2006 un terrain sur l'assiette duquel elle a démarré, le 14 octobre 2009, des travaux de construction d'un immeuble en vue de le revendre par locaux. Il résulte également de l'instruction qu'elle a modifié ses statuts le 4 février 2012 afin de se donner pour nouvel objet social celui de construction-vente, et qu'après cette modification et jusqu'au terme de la période vérifiée, son activité a consisté à vendre, en 2012, 2013 et 2015, sept des dix appartements composant l'immeuble dont la construction s'est achevée le 20 avril 2012. Dans ces conditions, et dès lors que les statuts de la société requérante prévoient la responsabilité indéfinie de ses associés en ce qui concerne le passif social et que celle-ci n'a pas été constituée sous la forme d'une société par actions ou à responsabilité limitée, c'est à tort que le service a considéré que la SCI Bonheur relevait de l'impôt sur les sociétés au titre de ses exercices clos en 2014 et 2015, alors que, après la modification de ses statuts en 2012 et jusqu'au terme de la période vérifiée, cette société entrait, à raison de son objet et de la nature des activités qu'elle exerçait, dans le champ d'application du I de l'article 239 ter du code général des impôts.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
5. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable / (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures / (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière, notamment, de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 novembre 2018, Lucretiu Hadrian Vadan c/ Agentia Nationala de Administrare Fiscala - Directia Generala de Solutionare a Contestatiilor, Directia Generala Regionala a Finantelor Publice Brasov - Administratia Judeteana a Finantelor Publice Alba (C-664/16), aux termes duquel, s'il ressort de l'article 178, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en ce qui concerne les conditions formelles du droit à déduction, que l'exercice de ce droit est subordonné à la détention d'une facture établie conformément à l'article 226 de cette directive, le principe fondamental de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les conditions matérielles sont satisfaites, même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis, lorsque l'administration fiscale dispose de toutes les données pour vérifier que les conditions de fond relatives à ce droit sont satisfaites. Il incombe ainsi à l'assujetti de fournir des preuves objectives que des biens et des services lui ont effectivement été fournis en amont par des assujettis, pour les besoins de ses propres opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, et à l'égard desquels il s'est effectivement acquitté de la taxe sur la valeur ajoutée.
7. Il résulte de l'instruction que, pour refuser le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé, au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, des factures d'achats de biens et services, à hauteur de la somme globale de 56 394 euros, le service s'est fondé sur l'absence de production, par la SCI Bonheur, des factures correspondantes. Si cette dernière fait valoir que cette circonstance ne suffit pas à remettre en cause son droit à déduction, dès lors que les conditions de fond de ce droit n'ont pas été remises en cause lors du contrôle, elle n'apporte, devant le juge de l'impôt, aucune pièce justificative de nature à établir, ainsi qu'il lui incombe, que la taxe en litige a trait à des biens et des services qui lui ont effectivement été fournis en amont par des assujettis, pour les besoins de ses propres opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, et à l'égard desquels elle s'est effectivement acquittée de la taxe sur la valeur ajoutée, ce que l'administration fiscale conteste en défense. Par ailleurs, si la société requérante demande que le montant de la taxe sur la valeur ajoutée déductible soit calculé en appliquant un ratio de 92 % par rapport à la taxe sur la valeur ajoutée collectée, elle ne justifie pas de la pertinence de ce ratio qui ne résulte d'aucun élément propre tiré du fonctionnement de l'entreprise, le ratio correspondant à une moyenne établie, par ses propres soins, à partir des résultats réalisés en 2015 par quatre entreprises spécialisées dans le secteur de la construction de biens immobiliers, alors que, par ailleurs, la somme globale de 56 394 euros correspond au montant total des factures telles qu'elles ont été comptabilisées dans les écritures de la société requérante. Dans ces conditions, la SCI Bonheur n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a refusé d'admettre en déduction la taxe sur la valeur ajoutée en litige.
Sur les pénalités :
8. La SCI Bonheur n'articule aucun moyen spécifique dirigé contre la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts qui lui a été appliquée en matière de taxe sur la valeur ajoutée dans le présent litige. Par suite, ses conclusions tendant à la décharge de cette pénalité ne peuvent qu'être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Bonheur est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun ne lui a pas accordé la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SCI Bonheur et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La SCI Bonheur est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015, ainsi que des pénalités et intérêts de retard correspondants.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun n° 2103658 du 19 octobre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SCI Bonheur une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI Bonheur est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Bonheur et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2025.
Le rapporteur,
M. Desvigne-Repusseau
La présidente,
V. Chevalier-Aubert
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05245