Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Somater a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner solidairement la commune de Pantin et la société Jean-Jacques Deslorieux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ouvrages Franciliens, à lui verser la somme de
533 339,20 euros hors taxes (HT), assortie des intérêts et de la capitalisation de ces intérêts et, subsidiairement, de condamner solidairement la commune de Pantin et la société Jean-Jacques Deslorieux à lui verser la somme de 228 110,53 euros HT, assortie des intérêts.
Par un jugement n° 2110386 du 14 décembre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 février 2024 et régularisée le 14 mars 2024 et un mémoire enregistré le 3 décembre 2024, la société Somater, représentée par la SELARL Altilex avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de condamner la commune de Pantin à lui verser la somme totale de
545 234,73 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2021 et capitalisation des intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Pantin à lui verser la somme de 533 339,20 euros ou a minima de 292 628,95 euros, correspondant aux frais qu'elle a engagés pour la réalisation du chantier, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2021 et capitalisation des intérêts ;
4°) de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Ouvrages francilien sa créance à hauteur de 533 339,20 euros, avec intérêts au taux légal du 21 février 2021 au
17 novembre 2021 ;
5°) à titre encore subsidiaire, de lui allouer une provision de 292 000 euros et d'ordonner une mesure d'expertise destinée à arrêter la quantité des travaux réalisés suivant le contrat de sous-traitance, les travaux supplémentaires et les dépenses engagées ;
6°) de mettre à la charge de la commune de Pantin une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- sa demande de paiement est régulière dès lors que l'article 8.5 du CCAP ne lui est pas opposable et que sa demande était fondée sans ambiguïté sur le droit au paiement direct ;
- sa situation n° 5 a été validée par le titulaire du marché, et la commune de Pantin ne saurait lui opposer un constat non contradictoire pour contester la réalité des prestations réalisées, laquelle est attestée par le constat d'un huissier de justice ;
- elle est intervenue sur le chantier postérieurement au 30 juillet 2020, comme le prouve la présence de quatre salariés ;
- la commune de Pantin n'a pas pu l'agréer sans connaître la consistance des prestations sous-traitées ;
- elle a réalisé des travaux supplémentaires à la demande de la société Ouvrages franciliens, à qui ils avaient été demandés en cours de chantier par la commune de Pantin et elle a alors proposé au maître d'ouvrage un DC4 modifié, mais celui-ci ne l'a pas retourné ;
- ces travaux étaient rendus nécessaires par des sujétions imprévues et ont bouleversé l'économie du contrat, étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, et ont engendré des coûts supplémentaires pour elle ;
- subsidiairement, elle peut prétendre, sur un fondement quasi-délictuel, à une indemnisation de 228 110,53 euros au titre des frais qu'elle a engagés pour la réalisation des travaux au cours de l'année 2020 ;
- si la Cour estimait ne pas disposer d'éléments suffisants pour statuer sur ses demandes, elle devrait ordonner une expertise.
Par des mémoires en défense enregistrés les 24 juin et 28 octobre 2024, la commune de Pantin, représentée par Me Marcantoni, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Somater une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de paiement de la société Somater est irrégulière ;
- la demande de paiement de la situation n° 5 est infondée : les prestations sous-traitées à la société Somater ne sont pas précisées ; le constat réalisé par son maître d'œuvre le
22 mars 2021 montre le faible état d'avancement des prestations réalisées au titre du lot 2 ; le chantier était à l'arrêt depuis le 30 juillet 2020 ; la réalité des travaux supplémentaires n'est pas établie ;
- s'agissant de la demande de paiement de travaux supplémentaires au titre de l'évolution des modalités d'intervention sur le chantier, la société Somater ne justifie pas de l'existence de sujétions imprévues alors que le marché conclu entre la commune de Pantin et la société Ouvrages franciliens était à prix forfaitaire ; les prestations en litige n'ont pas été demandées par le maître d'ouvrage ; les modifications alléguées n'ont pas eu d'incidence sur l'intervention de la société Somater et ne correspondent pas à la réalité du chantier ;
- la demande de condamnation fondée sur sa responsabilité quasi-délictuelle est irrecevable en ce qu'elle n'a pas été précédée d'une demande préalable ;
- elle est infondée, dès lors qu'elle n'a commis aucune faute et que le préjudice allégué n'est pas établi ;
- la demande d'expertise est inutile.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur trois moyens relevés d'office, tirés de ce que les conclusions de la société Somater tendant à la fixation de sa créance au passif de la société Ouvrages franciliens étaient portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, de l'irrégularité du jugement en ce qu'il a statué sur les conclusions aux fins de condamnation de la société Ouvrages franciliens, portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, et de l'irrecevabilité des conclusions de la société Somater fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle de la commune de Pantin en ce qu'elles sont nouvelles en appel.
Par un mémoire enregistré le 11 février 2025, la société Somater soutient que le moyen tiré de l'irrecevabilité de ses conclusions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle de la commune de Pantin n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le décret n° 2016-260 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Pantin a confié le 27 décembre 2018 à la société Ouvrages franciliens le lot n° 2 " gros œuvre " des travaux de construction et de rénovation de l'école maternelle Diderot, dans le cadre d'un marché à prix forfaitaires d'un montant de
1 973 386,66 euros HT. La société Ouvrages franciliens a sous-traité le 29 novembre 2019, pour un montant de 1 076 908,92 euros HT, les prestations " fondations - superstructure - voiles par passe - dallage - chappe " à la société Somater, qui a été agréée par la commune de Pantin le 21 janvier 2020. La commune de Pantin a résilié pour faute le marché conclu avec la société Ouvrages franciliens le 11 février 2021. La société Somater a mis en demeure,
le 21 février 2021 et le 25 février 2021, la société Ouvrages franciliens puis la commune de Pantin de lui verser la somme de 533 339,20 euros au titre du paiement des prestations qu'elle aurait réalisées. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de condamnation du titulaire du marché et du maître d'ouvrage à l'indemnisation des prestations réalisées et non payées.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer sur l'admission ou la non-admission des créances nées avant la mise en redressement judiciaire. Par suite, les conclusions de la société Somater tendant à la fixation de sa créance à hauteur de
533 339,20 euros au passif de la liquidation judiciaire de la société Ouvrages francilien doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur la régularité du jugement :
3. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. En l'espèce, la société Somater était unie par un contrat de droit privé à la société Ouvrages franciliens, et sa demande de condamnation concernait l'exécution de ce contrat. Dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement n° 2110386 du 14 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de la société Somater tendant à la condamnation de la société Ouvrages franciliens et, statuant par voie d'évocation, de rejeter cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur le bien-fondé de la demande de paiement de la société Somater :
En ce qui concerne la situation n° 5 :
4. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution (...) ". Aux termes de l'article 8 de la même loi : " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. / Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées (...) ".
5. Dans l'hypothèse d'une rémunération directe du sous-traitant par le maître d'ouvrage, ce dernier peut contrôler l'exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant. Au titre de ce contrôle, le maître d'ouvrage peut s'assurer que la consistance des travaux réalisés par le sous-traitant correspond à ce qui est prévu par le marché.
6. La commune de Pantin produit un constat établi par son maître d'œuvre le
22 mars 2021, relatif aux travaux réalisés par la société Ouvrages franciliens, qui révèle un état d'avancement des ouvrages allant de 0 % pour nombre d'entre eux à 37 %. Si la société Somater conteste la valeur de ce constat au motif qu'il n'a pas été réalisé de manière contradictoire, il résulte de l'instruction que la société Ouvrages franciliens, absente lors de ce constat, y avait été convoquée le 2 mars 2021. En tout état de cause, elle ne peut sérieusement soutenir que l'accès au chantier lui aurait été interdit le jour de ce constat dès lors qu'elle a fait établir, le même jour et à la même heure, un constat par un huissier de justice, qui n'inclut aucune mention en ce sens, comporte au contraire des photos du chantier, et fait en outre état de la présence du représentant du maître d'ouvrage et de l'architecte, lesquels réalisaient, dans le même temps, le constat dont se prévaut la commune de Pantin. Il se déduit de ce qui précède que la société Somater a volontairement établi un constat distinct de celui du maître d'œuvre. Le constat qu'elle a fait établir ne présente aucune valeur probante, dès lors qu'il se borne pour partie à reprendre les dires de l'intéressée et que son auteur n'avait pas connaissance des prestations attendues du marché. Enfin, la société requérante n'apporte pas d'éléments de nature à remettre en cause le constat du maître d'œuvre, ni ne démontre ou même n'allègue que la somme de 129 036,85 euros qui lui a déjà été versée serait insuffisante au regard des prestations qu'elle a effectivement réalisées. Dans ces conditions, et en tout état de cause, elle n'est pas fondée à demander le paiement d'une somme de 317 124,20 euros au titre des prestations réalisées.
En ce qui concerne les travaux supplémentaires :
7. Il ressort du rapport de l'analyse, par le maître d'œuvre, de la demande de paiement de la société Somater qu'une évolution des modes opératoires et de l'ordonnancement des travaux, impliquant notamment une sectorisation et un échelonnement des travaux, a été décidée. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment de ce même rapport d'analyse, que cette évolution ne s'est finalement pas produite. D'ailleurs, la facture 18-01-2021 du
28 septembre 2020 d'un montant de 192 775 euros HT dont la société Somater demande le paiement, qui fait état d'une " nouvelle organisation de chantier qui va augmenter le nombre d'heures d'exécution des travaux et locations matériels ", et le devis du 9 novembre 2020 de la société Ouvrages franciliens incluant ce coût de 192 775 euros HT, qui indique que " l'infrastructure sera réalisée en 5 zones selon la nouvelle organisation de chantier ce qui a pour effet d'augmenter considérablement le nombre d'heures d'exécution des travaux et de location de matériels ", font seulement état de coûts futurs. Dans ces conditions, et en tout état de cause, la société Somater n'est pas fondée à demander le paiement de la facture 18-01-2021 et de la facture 19-01-2021 d'un montant de 23 440 euros HT.
Sur la demande de condamnation présentée sur un fondement quasi-délictuel :
8. L'objet d'une action en paiement direct engagée par le sous-traitant à l'égard du maître d'ouvrage devant le juge administratif n'est pas de poursuivre sa responsabilité
quasi-délictuelle, mais d'obtenir le paiement des sommes qu'il estime lui être dues.
9. Ainsi que le fait valoir la commune de Pantin, il ne résulte pas de l'instruction que la société Somater aurait formé une demande indemnitaire sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune. En outre, cette demande est nouvelle en appel. Par suite, la demande de condamnation de la commune de Pantin, présentée à titre subsidiaire sur un fondement quasi-délictuel, ne peut qu'être rejetée.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société Somater n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de condamnation de la commune de Pantin.
Sur les frais du litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Pantin, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Somater demande sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Somater une somme de
1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Pantin et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement ° 2110386 du tribunal administratif de Montreuil du 14 décembre 2023 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Somater tendant à la condamnation de la société Ouvrages franciliens.
Article 2 : La demande présentée par la société Somater devant le tribunal administratif de Montreuil tendant à la condamnation de la société Ouvrages franciliens et sa demande présentée devant la Cour tendant à la fixation de sa créance au passif de la société Ouvrages franciliens sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La société Somater versera une somme de 1 500 euros à la commune de Pantin en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Somater, à la commune de Pantin et à la société Jean-Jacques Deslorieux, en qualité de liquidateur de la société Ouvrages franciliens.
Délibéré après l'audience du 18 avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente de chambre,
Mme Bruston, présidente-assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00698 2