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15/05/2025 | FRANCE | N°24PA05041

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 15 mai 2025, 24PA05041


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 7 décembre 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de son nom en celui de B... C..., ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux du 21 février 2023.



Par un jugement n° 2308910 du 24 octobre 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Mesnil, demande à la Co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 7 décembre 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de son nom en celui de B... C..., ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux du 21 février 2023.

Par un jugement n° 2308910 du 24 octobre 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Mesnil, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2308910 du 24 octobre 2024 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 7 décembre 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à adjoindre à son nom celui de " C... " afin de se nommer " Lumeau-d'Hauterives " et la décision du 21 février 2023 portant rejet de son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de sa situation et de l'autoriser à changer son nom en " Lumeau-d'Hauterives " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du 7 décembre 2022 est insuffisamment motivée ;

- les formalités de publication de sa demande ont été valablement effectuées ;

- la décision litigieuse méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifie d'un intérêt légitime à changer de nom, tant au regard de l'usage constant et continu qu'il a du nom de B... C... qu'au regard de motifs d'ordre affectifs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 4 février 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 février 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né le 23 octobre 1967, a demandé, par une requête publiée au Journal officiel de la République Française du 9 juillet 2021, au garde des sceaux, ministre de la justice, de l'autoriser à substituer à son nom de " B... " celui de " B... C... ". Par une décision du 7 décembre 2022, confirmée sur recours gracieux le 21 février 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande. M. A... B... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 24 octobre 2024, dont il relève appel, ce tribunal a rejeté sa requête.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :

2. Aux termes de l'article 6 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom : " Le refus de changement de nom est motivé. Il est notifié au demandeur par le garde des sceaux, ministre de la justice. ". Il ressort de la décision litigieuse qu'elle vise les dispositions de l'article 61 du code civil et mentionne également le fait qu'il est insuffisamment établi que l'intéressé a utilisé le nom " B... C... " de façon constante et ininterrompue depuis plusieurs dizaines d'années, que le nom choisi comporte une particule " d'" alors qu'aucun élément ne le justifie et qu'il existe une erreur quant au lieu de naissance de l'intéressé dans la publication de sa requête au Journal Officiel de la République Française. Dès lors que la décision litigieuse expose ainsi les considérations de fait et de droit qui la fondent, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de cette décision manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré (...) ".

4. D'une part, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

5. En l'espèce, M. B... fait état des manquements de ses parents à son égard durant son enfance, en particulier du caractère toxique de sa mère qui a été reconnue indigne par les autorités judiciaires, et du désintérêt ainsi que de la violence de son père. En outre, sa mère lui aurait indiqué qu'il serait en réalité le fils biologique d'un certain M. C.... Toutefois, M. B..., qui n'a jamais souhaité ni se départir du nom de B... ni chercher à connaître celui dont il désire porter le nom, n'est dans ces conditions pas fondé à se prévaloir de motifs d'ordre affectif qui auraient pu constituer des circonstances exceptionnelles de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pas l'article 61 du code civil. Le moyen doit être écarté.

6. D'autre part, la possession d'état qui résulte du caractère constant et ininterrompu, pendant plusieurs dizaines d'années, de l'usage d'un nom, peut caractériser l'intérêt légitime requis par les dispositions de l'article 61 du code civil.

7. Si M. B... fait valoir qu'il a commencé à porter le nom C..., accolé à celui de B..., à compter de l'âge de ses 17 ans environ, il ne l'établit pas pour ces premières années. Les attestations qu'il a produit de sa sœur et d'un ami sont insuffisantes à cet égard. Par ailleurs, pour établir le fait qu'il porte le nom de B... C..., l'intéressé verse un document lié à ses activités de peintre daté de 1994, un autre document qui lui a été adressé par l'Ordre des frères prêcheurs en 1997, puis plusieurs documents pour les années 2000 à 2022, tels des relevés bancaires et plusieurs factures, des documents médicaux, des avis d'imposition, divers documents administratifs dont un PACS, un constat d'huissier et la copie de son passeport délivré en 2017, des courriers personnels, ainsi que des invitations et articles de presse liés à son activité de peintre restaurateur. S'il ressort ainsi des pièces du dossier que M. B... a fait un usage fréquent du nom de " B... C... " à compter de 2000, celui-ci ne présente pas toutefois un caractère suffisamment ancien pour justifier le changement de nom sollicité. M. B... ne justifiant pas de la possession d'état résultant du caractère constant et ininterrompu de l'usage du nom sollicité pendant plusieurs dizaines d'années, le moyen doit donc être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Si, en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, le nom d'une personne concerne sa vie privée et familiale, les stipulations précitées ne font pas obstacle à ce que les autorités compétentes de l'État puissent en réglementer l'usage, notamment pour assurer une stabilité suffisante de l'état civil.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 7 du présent arrêt, que la décision refusant le changement de nom sollicité porterait au droit au respect de M. B... de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte excessive au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

10. En dernier lieu, M. B... fait valoir qu'il ne peut être tenu pour responsable de l'erreur matérielle commise dans la publication de sa requête, le 9 juillet 2021, au Journal officiel de la République française quant à son lieu de naissance, alors que le garde des sceaux a retenu ce motif pour rejeter sa demande. La régularité des formalités de publication est une condition de recevabilité de la demande de changement de nom, qui prévaut à son instruction. Toutefois, le motif tiré de ce que le lieu de naissance de l'intéressé serait erroné dans la publication produite du Journal officiel de la République française est superfétatoire, de sorte que l'éventuelle erreur de droit dont il est susceptible d'être entaché est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Il en va de même en ce qui concerne le motif tiré de ce que le nom choisi comporte la particule " d' ".

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par l'intéressé ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Hélène Brémeau-Manesme, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.

La rapporteure,

H. BREMEAU-MANESMELe président,

I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA05041


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24PA05041
Date de la décision : 15/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Hélène BRÉMEAU-MANESME
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : MESNIL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-15;24pa05041 ?
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