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09/05/2025 | FRANCE | N°23PA02309

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 09 mai 2025, 23PA02309


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande du 3 mars 2021 de modification de l'état signalétique et des services de son père décédé, M. D... A..., en tant qu'il indique une date d'embarquement sur le navire Circassia fixée à tort au 1er novembre 1944 et non au

4 novembre 1944.



Par un jugement n° 2110514/6-1 du 24 mars 2023, le tribunal administrat

if de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mém...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande du 3 mars 2021 de modification de l'état signalétique et des services de son père décédé, M. D... A..., en tant qu'il indique une date d'embarquement sur le navire Circassia fixée à tort au 1er novembre 1944 et non au

4 novembre 1944.

Par un jugement n° 2110514/6-1 du 24 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 mai 2023 et le 4 avril 2024, M. A..., représenté par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 mars 2023 ;

2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 22 décembre 2021 refusant de modifier l'état signalétique et des services de M. D... A... en tant qu'il mentionne son embarquement à Morlaix le 1er novembre 1944 ;

3°) d'enjoindre à la ministre des armées de modifier sans délai cette date dans l'état signalétique et des services de M. D... A..., sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'est pas démontré que la minute du jugement a été signée conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la décision de refus de modifier l'état signalétique de son père lui fait grief et est susceptible de recours ;

- le caractère erroné de la mention de l'état signalétique relative à la date d'embarquement de son père est démontré ;

- le ministre ne pouvait pas fonder son refus sur les dispositions de l'article L. 211-4 du code du patrimoine définissant le rôle du service historique de la défense dès lors que sa demande n'a pas été adressée à ce service ;

- l'état signalétique et des services de son père a déjà été modifié par une décision du directeur du cabinet de la secrétaire d'Etat aux armées du 18 décembre 2019 ;

- la décision du 22 décembre 2021, comporte elle-même plusieurs erreurs matérielles et ne peut en conséquence pallier les mentions erronées de l'état signalétique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 10 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du patrimoine,

- le code des pensions civiles et militaires de retraite,

- le décret 2005-36 du 17 janvier 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bruston,

- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A... est le fils de M. D... A..., né en 1913 à Diakhao (Sénégal). M. D... A... a incorporé le 6ème régiment d'artillerie coloniale (RAC) en 1933 comme appelé pour une durée de trois ans. Il a rejoint de nouveau le 6ème RAC le 3 septembre 1939 conformément à l'ordre de mobilisation générale. Il a servi en France au cours de la

Seconde Guerre mondiale, a été fait prisonnier de guerre et retenu captif au Frontstalag de Rennes jusqu'à la Libération. Embarqué à Morlaix sur le Circassia le 4 novembre 1944 avec plusieurs centaines d'autres tirailleurs sénégalais, il a débarqué à Dakar le 21 novembre suivant. Il a alors été maintenu au camp de Thiaroye, près de Dakar, lequel accueillait ces tirailleurs dans l'attente de leur démobilisation. Il est constant qu'il est décédé le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye, victime de tirs de l'armée française dans le cadre d'une opération plus vaste de répression. Par un courrier du 3 mars 2021, réceptionné le 5 mars suivant, M. C... A... a demandé à la ministre des armées de modifier l'état signalétique de son père en tant qu'il indique à tort qu'il a embarqué à Morlaix le 1er novembre 1944 et non le 4 novembre 1944. Cette demande a été implicitement rejetée par la ministre. Puis, la ministre des armées ayant expressément refusé le 22 décembre 2021 de procéder à la modification de l'état signalétique de M. D... A... en tant qu'il mentionne son embarquement à Morlaix le 1er novembre 1944, au motif de l'impossibilité de modifier l'état signalétique en litige compte tenu de sa nature d'archive publique et de trésor national au sens du code du patrimoine, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C... A... devant le tribunal ont été regardées comme dirigées contre cette décision expresse de refus en date du 22 décembre 2021. M. A... relève appel du jugement du 24 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur la recevabilité de la requête de première instance :

2. Si un état signalétique et des services établi par l'autorité militaire ne constitue pas une décision faisant grief, le refus de modifier un tel acte dans le but de rétablir la réalité des faits qu'il a pour objet de mentionner est susceptible d'être déféré au juge de l'excès de pouvoir par une personne justifiant d'un intérêt direct et certain à son annulation, sans qu'il soit nécessaire qu'elle démontre qu'un tel refus aurait une incidence sur ses droits pécuniaires. Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, dans les circonstances rappelées au point 1, le refus ministériel de modifier la date d'embarquement à Morlaix, sur le Circassia, de M. D... A... indiquée dans son état signalétique, alors que cette date est entachée d'une erreur, au demeurant reconnue par le ministère des armées, fait grief à ses ayants droit.

3. Il résulte de ce qui précède que M. C... A..., fils de M. D... A..., est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête comme irrecevable. Le jugement du tribunal administratif de Paris doit, dès lors, être annulé. Il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par M. A....

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 211-4 du code du patrimoine : " Les archives publiques sont : 1° Les documents qui procèdent de l'activité de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public. Les actes et documents des assemblées parlementaires sont régis par l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ; / 2° Les documents qui procèdent de la gestion d'un service public ou de l'exercice d'une mission de service public par des personnes de droit privé ; / 3° Les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels et les registres de conventions notariées de pacte civil de solidarité. ". L'article L. 111-1 du même code dispose : " Sont des trésors nationaux : 1° Les biens appartenant aux collections des musées de France ; / 2° Les archives publiques issues de la sélection prévue aux articles L. 212-2 et L. 212-3, ainsi que les biens classés comme archives historiques en application du livre II ; / 3° Les biens classés au titre des monuments historiques en application du livre VI ; / 4° Les autres biens faisant partie du domaine public mobilier, au sens de l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, à l'exception de celles des archives publiques mentionnées au 2° du même article L. 2112-1 qui ne sont pas issues de la sélection prévue aux articles L. 212-2 et L. 212-3 du présent code ; / 5° Les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie ou de la connaissance de la langue française et des langues régionales. ". Selon l'article 2 du décret du 17 janvier 2005 portant création du service historique de la défense : " Le service historique de la défense exerce les attributions d'un service d'archives définitives prévues au 2° de l'article R. 212-6 du code du patrimoine. / A ce titre il assure, pour les archives de la défense relevant de sa compétence dans des conditions précisées par arrêté du ministre de la défense : (...) 2° La collecte, la conservation et la gestion des archives intermédiaires de ses centres d'archives ; / 3° La collecte, la conservation et la gestion des archives définitives de la défense ; (...). ".

5. D'une part, aucune des dispositions précitées du code du patrimoine et du décret du 17 janvier 2005 ne fait obstacle à la modification par le ministre des armées, et non par le service historique de la défense, d'un état signalétique entaché d'erreur matérielle et il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état signalétique et des services de M. D... A... aurait été reconnu comme trésor national. D'autre part, il est constant que l'état signalétique et des services de M. D... A... comporte une erreur quant à sa date d'embarquement à Morlaix, l'information selon laquelle il aurait embarqué le 1er novembre étant au demeurant en contradiction avec la mention, dans la décision de rejet du 22 décembre 2021, de sa présence à bord du " Circassia ", dont les passagers ont embarqué le 4 novembre, sans avoir reçu le paiement de leur solde, et qui a quitté Morlaix le 5 novembre 1944. Dès lors, M. C... A... est fondé à demander l'annulation la décision de la ministre des armées du 22 décembre 2021 refusant de modifier l'état signalétique et des services de M. D... A... en tant qu'il mentionne son embarquement à Morlaix le

1er novembre 1944.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu des motifs d'annulation qu'il retient, que le ministre des armées procède à la modification de l'état signalétique et des services de M. D... A... pour faire apparaître sa date d'embarquement à Morlaix le

4 novembre 1944. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2110514/6-1 du 24 mars 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision de la ministre des armées du 22 décembre 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de procéder à la modification de l'état signalétique et des services de M. D... A... pour faire apparaître sa date d'embarquement à Morlaix le 4 novembre 1944, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Doumergue, présidente,

Mme Bruston, présidente assesseure,

M. Mantz, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2025.

La rapporteure,

S. BRUSTON

La présidente,

M. DOUMERGUELa greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA02309


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02309
Date de la décision : 09/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: Mme Servane BRUSTON
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SCP FABIANI - LUC-THALER & PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-09;23pa02309 ?
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