Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une ordonnance du 28 avril 2021, le président du tribunal administratif de Melun a renvoyé le dossier de la requête n° 2109312 au tribunal administratif de Paris en application de l'article R. 351-3 du code de la justice administrative.
Par une ordonnance du 27 juillet 2021, le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles a renvoyé le dossier de la requête n° 2116810 au tribunal administratif de Paris en application de l'article R. 351-3 du code de la justice administrative.
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Epione a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2018, pour un montant total de 119 925 euros.
Par un jugement nos 2109312 et 2116810 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Epione des impositions contestées.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de la société Epione les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été déchargée par le tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Epione des impositions en litige au motif que les prestations de service de ménage et repassage à domicile réalisées " en mode mandataire " bénéficient du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à 10 %, les premiers juges ayant ainsi méconnu les dispositions du i de l'article 279 du code général des impôts et de l'article 86 de l'annexe III à ce code en leur donnant une interprétation non conforme à la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- les autres moyens soulevés par la société Epione ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2024la société Epione, représentée par Me Brugière, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle fournit, au sens du II de l'article 86 de l'annexe III au code général des impôts, des prestations d'entretien de la maison et de travaux ménagers qui, bien qu'exercées " en mode mandataire ", sont éligibles au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 279 du code ;
- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la position exprimée par la direction générale des entreprises dans des courriers des 10 décembre 2018, 21 mai 2019 et 11 juin 2020 ainsi que dans le " récépissé de déclaration d'un organisme de services à la personne " qui lui a été délivré le 10 septembre 2013 par la préfecture de l'Essonne.
Une ordonnance du 7 janvier 2025 a prononcé la clôture de l'instruction avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Des mémoires présentés pour la société Epione par Me Brugière ont été enregistrés le 17 mars 2025 et le 18 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/11/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barthez,
- et les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Epione exploite une agence franchisée du réseau " Shiva ", spécialisée dans le service à la personne, notamment les prestations de services de ménage et de repassage à domicile. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2018, à l'issue de laquelle le service vérificateur a remis en cause le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée de 10 % appliqué par la société. A la suite d'une proposition de rectification du 30 octobre 2018, des rappels de taxe lui ont été notifiés, pour un montant total de 119 925 euros. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel de l'article 1er du jugement du 5 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Epione de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée.
Sur le motif de décharge retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, modifiée par la directive 2009/47/CE du 5 mai 2009 : " 1. Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits. / 2. Les taux réduits s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l'annexe III. / (...) ". Parmi les livraisons de biens et prestations de services mentionnées à l'annexe III figurent : " 20) les services de soins à domicile, tels que l'aide à domicile et les soins destinés aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes malades ou aux personnes handicapées ". Les services de soins à domicile visés par ces dispositions sont les services de nature non médicale rendus à domicile qui ont pour objet la satisfaction de besoins de la vie courante étroitement liés à la santé et au bien-être des personnes, ainsi que les services qui visent à répondre à des besoins spécifiques des personnes dépendantes ou fragiles.
3. Aux termes de l'article L. 7231-1 du code du travail : " Les services à la personne portent sur les activités suivantes : / (...) / 3° Les services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales ". Aux termes de l'article L. 7232-1-1 du même code, applicable au présent litige : " A condition qu'elle exerce son activité à titre exclusif, toute personne morale ou entreprise individuelle qui souhaite bénéficier des 1° et 2° de l'article L. 7233-2 et de l'article L. 7233-3 déclare son activité auprès de l'autorité compétente dans des conditions et selon des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat ". L'article
L. 7232-6 de ce code dispose que : " Les personnes morales ou les entreprises individuelles mentionnées aux articles L. 7232-1, L. 7232-1-1 et L. 7232-1-2 peuvent assurer leur activité selon les modalités suivantes : / 1° Le placement de travailleurs auprès de personnes physiques employeurs ainsi que, pour le compte de ces dernières, l'accomplissement des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs (...) ". L'article L. 7233-1 du même code, relatif aux dispositions financières, dispose que : " La personne morale ou l'entreprise individuelle qui assure le placement de travailleurs auprès de personnes physiques employeurs ou qui, pour le compte de ces dernières, accomplit des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs peut demander aux employeurs une contribution représentative de ses frais de gestion. " et l'article L. 7233-2 dispose que : " La personne morale ou l'entreprise individuelle déclarée qui exerce, à titre exclusif, une activité de services à la personne rendus aux personnes physiques bénéficie : / 1° Du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée sous les conditions prévues au i de l'article 279 du code général des impôts (...) ".
4. Aux termes de l'article 278 du code général des impôts : " Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé à 20 % ". Aux termes de l'article 279 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 10 % en ce qui concerne : (...) i. Les prestations de services fournies à titre exclusif, ou à titre non exclusif pour celles qui bénéficient d'une dérogation à la condition d'activité exclusive selon l'article L. 7232-1-2 du code du travail, par des associations, des entreprises ou des organismes déclarés en application de l'article L. 7232-1-1 du même code, et dont la liste est fixée par décret (...) ". Aux termes du II de l'article 86 de l'annexe III à ce code, pris pour l'application du i de l'article 279 : " Les activités de services à la personne soumises au taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 279 du code précité en application des dispositions du i du même article sont les suivantes : / 1° Entretien de la maison et travaux ménagers (...) ".
5. Enfin, aux termes de l'article 256 du code général des impôts, applicable au présent litige : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / (...) V. L'assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d'autrui, qui s'entremet dans une livraison de bien ou une prestation de services, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien, ou reçu et fourni les services considérés ". Aux termes de l'article 266 du même code : " 1. La base d'imposition est constituée : / (...) b. Pour les opérations ci-après, par le montant total de la transaction : / Opérations réalisées par un intermédiaire mentionné au V de l'article 256 (...) ".
6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les prestations de services d'entretien de la maison et de travaux ménagers réalisées au domicile des particuliers par les entreprises de services à la personne déclarées en application de l'article L. 7232-1-1 du code du travail bénéficient du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 279 du code général des impôts lorsque ces entreprises agissent en leur nom propre pour le compte d'autrui, à l'exclusion des prestations d'entremise assurées en qualité d'intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui.
7. Il appartient au juge de l'impôt d'apprécier, au vu de l'instruction, si les recettes réalisées par le contribuable entrent dans le champ d'application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée ou dans celui du taux normal de cette taxe, eu égard aux conditions dans lesquelles sont effectuées ses opérations.
8. Il résulte de l'instruction que la société Epione, qui est déclarée en application de l'article L. 7232-1-1 du code du travail auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, exerce une activité de placement de travailleurs auprès de personnes physiques employeurs et accomplit, pour le compte de ses clients, des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs, au sens du 1° de l'article L. 7232-6 du code du travail. Il est en effet constant qu'en vertu du " mandat de réalisation de formalités administratives et de paiement " conclu entre la société intimée et les employeurs particuliers qui font appel à ses services, les prestations de la société Epione portent sur des missions de présélection et présentation des intervenants à domicile, d'immatriculation du client en tant qu'employeur, de déclaration et paiement des cotisations dues à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), et de remise de la rémunération, des bulletins de paie et des attestations d'emploi au salarié du client particulier. La société est ainsi mandatée par son client particulier, bénéficiaire de la prestation de travaux ménagers, pour la recherche et la réalisation des tâches administratives liées à l'emploi du salarié employé de maison, ce salarié donnant également mandat à la société pour percevoir sa rémunération pour son compte. Dans cette configuration " en mode mandataire ", le client de la société franchisée Shiva est l'employeur du salarié qui effectue les travaux ménagers à son domicile et elle le rémunère, tandis que le service facturé par la société déclarée porte exclusivement sur la rémunération de ses prestations de gestion administrative. La prestation consistant à placer des travailleurs auprès de personnes physiques employeurs ainsi que, pour le compte de ces dernières, à accomplir des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs, ne figure pas parmi les prestations de services d'aide à la personne bénéficiant du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions combinées du i de l'article 279 du code général des impôts et du II de l'article 86 de l'annexe III à ce code. Par suite, la taxe qui porte sur cette prestation d'entremise au nom et pour le compte d'autrui relève du taux normal de taxe sur la valeur ajoutée.
9. La société Epione soutient qu'elle effectue au domicile de ses clients des interventions régulières, notamment des visites de contrôle de la qualité et des travaux ménagers. Toutefois, elle n'en justifie pas en se bornant à soutenir que des équipements siglés " Shiva " seraient remis au personnel de maison. Ces prestations à domicile ne sont d'ailleurs pas prévues par le mandat de réalisation de formalités administratives et de paiement qui lie la société à ses clients, mandat qui mentionne expressément le caractère limitatif et exhaustif des prestations assurées par le franchisé. Alors que le ministre soutient que la société n'emploie que du personnel administratif, tel que des chargés de clientèle et des responsables d'agence, et ne dispose pas de salariés en mesure de réaliser des prestations d'entretien de la maison, ni même de contrôle de la qualité de ces travaux ménagers, la société n'apporte aucun élément précis quant à la réalité des prestations qu'elle dit effectuer au domicile de ses clients.
10. C'est par suite à tort que les premiers juges ont accordé la décharge des rappels de taxe en litige au motif que la société Epione devait être regardée comme effectuant, pour le compte de ses clients, des prestations de service d'entretien de la maison et de travaux ménagers soumises au taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.
11. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer immédiatement sur les autres moyens présentés par la société Epione devant le tribunal administratif et devant la cour.
Sur les autres moyens :
12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration " et aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) ". Peuvent seuls se prévaloir de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales les contribuables qui se trouvent dans la situation sur laquelle l'appréciation invoquée a été portée, ainsi que les contribuables qui ont participé à l'acte ou à l'opération qui a donné naissance à cette situation.
13. La société Epione ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la position exprimée par la direction générale des entreprises dans des courriers des 10 décembre 2018, 21 mai 2019 et 11 juin 2020 dès lors qu'eu égard à leur contenu, ces courriers ne constituent pas une prise de position formelle de l'administration sur l'appréciation d'une situation de fait de l'entreprise au regard d'un texte fiscal et qu'au surplus, ces courriers ont été rédigés postérieurement à la date d'expiration du délai de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée. La société n'est pas davantage fondée à se prévaloir, sur le même fondement, de la mention : " ces activités (...) ouvrent droit au bénéfice des dispositions des articles L. 7233-2 du code du travail et L. 241-10 du code de la sécurité sociale " figurant sur le récépissé qui lui a été délivré, le 10 septembre 2013, pour le préfet de l'Essonne par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, dès lors que cette autorité n'est pas compétente en matière d'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Epione des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2018 pour un montant total de 119 925 euros.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Epione demande en application de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement nos 2109312 et 2116810 du 5 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la société Epione au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2018 sont remis à sa charge.
Article 3 : La demande de la société Epione présentée devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Epione.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- Mme Milon, présidente assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2025.
Le président-rapporteur,
A. BARTHEZ
L'assesseure la plus ancienne
dans l'ordre du tableau,
A. MILON
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA04533 2