Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat national unitaire territorial du département de la Seine-Saint-Denis (SNUTER 93) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part d'annuler la décision du 25 octobre 2019 par laquelle le président du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a refusé de diligenter une enquête sur les accidents de travail survenus au sein de la cellule d'accompagnement des mineurs non accompagnés ainsi que la décision du 20 décembre 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a refusé de diligenter une enquête sur ces mêmes accidents de travail et, d'autre part, d'enjoindre à ces autorités de diligenter une enquête sur ces accidents de travail ou de prendre une nouvelle décision.
Par un jugement n° 2002814 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du président du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis du 25 octobre 2019, a enjoint à ce comité de réaliser une enquête sur les mesures prises par le département pour remédier aux incidents survenus en 2019, a mis les frais de l'instance à la charge du département et a rejeté le surplus des conclusions de la requête du SNUTER93.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 16 juin 2023, le 12 juillet 2023 et le 8 septembre 2023, le département de la Seine Saint-Denis, représenté par Me Carrere, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002814 du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la demande présentée par le syndicat national unitaire territorial du département de la Seine-Saint-Denis devant le tribunal administratif de Montreuil ;
3°) de mettre à la charge de ce syndicat le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant méconnu le principe du contradictoire en ayant fondé leur jugement sur un moyen soulevé d'office sans en avoir informé les parties en violation de l'article L. 611-7 du code de justice administrative ;
- le tribunal a méconnu son office en prononçant une injonction de prendre des mesures que n'impliquait pas nécessairement l'annulation prononcée, en méconnaissance de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;
- la situation dont faisait état le syndicat ne remplissait pas les conditions posées par l'article 4.5.3 du règlement intérieur du CHSCT pour rendre obligatoire une enquête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, le syndicat national unitaire territorial du département de la Seine-Saint-Denis, représenté par Me Lacroix, demande à la cour :
- de rejeter la requête du département de la Seine-Saint-Denis ;
- d'ordonner l'exécution immédiate du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- de mettre à la charge du département de la Seine Saint-Denis le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- le département n'a pas procédé à l'exécution du jugement dans le délai imparti par l'injonction prononcée.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que le département de la Seine-Saint-Denis n'a pas d'intérêt à faire appel d'un jugement rejetant les conclusions dirigées contre la décision dont il est l'auteur et qui annule une décision dont il n'est pas l'auteur.
Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2024, le département de la Seine-Saint-Denis a répondu à ce courrier.
Il soutient qu'il a intérêt à agir contre le jugement en tant qu'il annule la décision du président du CHSCT du 25 octobre 2019 et enjoint à ce comité de réaliser une enquête portant sur le fonctionnement des services du département, dès lors que ce comité ne dispose pas de la personnalité morale et que les CHSCT n'existaient plus à la date du jugement attaqué.
Par un mémoire enregistré le 18 mars 2024, le SNUTER93 a répondu à ce courrier. Il soutient que le département, qui ne vient pas aux droits du CHSCT, n'a pas intérêt pour agir contre un jugement qui a fait droit à ses demandes.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 84 ;
- la loi 2019-828 du 6 août 2019 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le décret n° 2021-1427 du 10 mai 2021 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- les observations de Me Cadoux pour le département de la Seine-Saint-Denis ;
- et les observations de M. A... pour le SNUTER93.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courriel en date du 18 octobre 2019, un des représentants du personnel au comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) du département de la Seine-Saint-Denis, estimant que des atteintes étaient portées à la santé mentale et aux conditions de travail des agents de la cellule d'accompagnement des mineurs non accompagnés (CAMNA) créée en novembre 2018, a demandé au président de ce comité d'ouvrir une enquête sur les accidents survenus dans cette cellule. Le président du CHSCT a rejeté cette demande par un courrier en date du 25 octobre 2019. Par une lettre en date du 26 novembre 2019, le syndicat national unitaire territorial du département de la Seine-Saint-Denis (SNUTER93) a adressé une mise en demeure de procéder à cette enquête au département de la Seine-Saint-Denis. Par un courrier en date du 20 décembre 2019, l'avocat du département de la Seine-Saint-Denis a informé le syndicat Snuter93 du refus de son client de diligenter cette enquête. Par un jugement du 14 avril 2023 le tribunal administratif de Montreuil, saisi par le syndicat Snuter93, a rejeté les conclusions par lesquelles celui-ci demandait l'annulation du courrier du 20 décembre 2019 et a fait droit à ses conclusions dirigées contre le courrier du 25 octobre 2019. Par la présente requête, le département de la Seine-Saint-Denis doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du président du CHSCT du 25 octobre 2019 et enjoint à ce comité de réaliser une enquête sur les mesures prises par le département pour remédier aux incidents survenus en 2019, et mis les frais de l'instance à sa charge.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article 41 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail dans la fonction publique territoriale, alors en vigueur, relatif au rôle et attribution des CHSCT : " Le comité procède, dans le cadre de sa mission d'enquête en matière d'accidents du travail, d'accidents de service ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel, à une enquête à l'occasion de chaque accident du travail, chaque accident de service ou de chaque maladie professionnelle ou à caractère professionnel au sens des 3° et 4° de l'article 6. / Les enquêtes sont réalisées par une délégation comprenant un représentant de la collectivité ou de l'établissement et un représentant du personnel. La délégation peut être assistée d'un médecin du service de médecine préventive, de l'agent mentionné à l'article 5 et de l'assistant ou du conseiller de prévention. / Le comité est informé des conclusions de chaque enquête et des suites qui leur sont données ".
3. Il ne résulte ni de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, en vigueur à la date de la décision en litige, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire et notamment pas du décret précité du 10 juin 1985, que les CHSCT instaurés dans les collectivités territoriales, qui ne sont pas régis par le code du travail, disposent de la personnalité morale. Par suite la décision du 25 octobre 2019 du président du CHSCT annulée par le jugement attaqué, laquelle refuse de faire diligenter une enquête sur les conditions de travail au sein de la CAMNA par le CHSCT, doit être regardée comme ayant été prise par le département de la Seine-Saint-Denis, et l'injonction prononcée par ce même jugement comme mettant l'obligation de diligenter une enquête à la charge de ce même département.
4. En conséquence, le département de la Seine-Saint-Denis justifie d'un intérêt à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé la réponse faite le 25 octobre 2019 par le président du CHSCT au syndicat Snuter93 et a prononcé une injonction de procéder à une enquête.
Sur la régularité du jugement :
5. Contrairement à ce que soutient le département, les premiers juges n'ont pas méconnu le principe du contradictoire ni fondé leur jugement sur un moyen irrégulièrement soulevé d'office, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 4.5 et 4.5.3 du règlement intérieur du CHSCT qu'ils ont accueilli ayant été expressément soulevé dans ses écritures par le syndicat Snuter93.
Sur la légalité de la décision du 25 octobre 2019 :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :
6. Aux termes de l'article 4.5.3 du règlement intérieur du CHSCT du département de la Seine Saint-Denis : " L'autorité territoriale met à disposition des représentants du personnel les documents relatifs aux accidents de travail et maladies professionnelles et notamment un bilan annuel, présenté lors de la réunion ordinaire du CHSCT/ Des enquêtes peuvent être menées. / Les enquêtes sont relatives à / Un accident de travail quelle que soit sa gravité. Toutefois, elles deviennent obligatoires, en cas d'accident grave. / Une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave en vue de rechercher des mesures préventives quelle que soit la situation. Toutefois, elles deviennent obligatoires en cas d'incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave ".
7. Il n'est pas établi par les pièces du dossier que des accidents déclarés par des agents de la CAMNA ont été reconnus imputables au service et il ressort des pièces du dossier qu'au sein des douze fiches " santé sécurité au travail " produites par le syndicat Snuter93, extraites du registre de santé sécurité au travail et rédigées entre février et octobre 2019 par des agents de la CAMNA ou des représentants du personnel au CHSCT, six sont illisibles et certaines se bornent à décrire une situation de tension. Toutefois les fiches décrivant un coup de pied dans une porte à deux reprises, les 20 mai 2019 puis 25 mai 2019 et l'agression d'un mineur non accompagné dans les locaux le 20 mai 2019 relatent des faits qui peuvent recevoir la qualification d'" incidents répétés " au sens des dispositions précitées du règlement intérieur, rendant obligatoire l'engagement d'une enquête. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, est à cet égard sans incidence et n'était pas de nature à dispenser le département de l'ouverture d'une enquête la circonstance que celui-ci avait pris, au cours de l'année 2019, plusieurs mesures destinées à répondre aux incidents survenus au sein de la CAMNA et à améliorer la sécurité de ses agents. Par suite le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision du 25 octobre 2019 refusant de diligenter une enquête du CHSCT relative à ces incidents répétés, dont le caractère professionnel grave n'est pas contesté.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
9. Dès lors qu'à la date à laquelle le tribunal s'est prononcé sur les conclusions aux fins d'injonction dont il était saisi, le département de la Seine-Saint-Denis avait pris au cours de l'année 2019 plusieurs mesures destinées à remédier aux causes des incidents survenus au sein de la CAMNA, dont il ne ressortait pas de l'instruction qu'elles n'auraient pas produit d'effets, l'exécution du jugement du 14 avril 2023 n'impliquait pas nécessairement que le CHSCT diligente une enquête afin de déterminer si les mesures ainsi prises par le département ont été suffisantes. Par suite, le département de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est en méconnaissance des dispositions précitées du code de justice administrative que les premiers juges ont prononcé une telle injonction. Par ailleurs il n'y a pas lieu, en l'absence de tout élément laissant supposer l'existence, à la date du présent arrêt, d'incidents répétés ou de risques graves au sein de la CAMNA réorganisée, d'enjoindre au département de diligenter une enquête.
10. Il résulte de ce qui précède que le département de la Seine-Saint-Denis est seulement fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué et le rejet des conclusions aux fins d'injonction du syndicat Snuter93, le surplus de ses conclusions devant être rejeté.
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du département de la Seine-Saint-Denis présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2002814 du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : Les conclusions du syndicat Snuter93 aux fins d'injonction présentées devant le tribunal administratif de Montreuil sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du département de la Seine-Saint-Denis est rejeté.
Article 4 : Les conclusions du département de la Seine-Saint-Denis présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Seine-Saint-Denis et au syndicat Snuter93.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025
La rapporteure,
P. HamonLa présidente,
V. Chevalier-Aubert
La greffière,
C. BuotLa République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02662