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11/04/2025 | FRANCE | N°24PA02347

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 11 avril 2025, 24PA02347


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une ordonnance du 21 avril 2021, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Compiègne chargé de la procédure de sauvegarde de la société par actions simplifiée (SAS) Pivert s'est déclaré incompétent pour connaître de la contestation de cette société de la créance déclarée le 13 mars 2020 par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Il a invité l'ANR à saisir la juridiction compétente.



L'ANR a demandé au tribunal administratif de Paris d

e déclarer fondée la créance déclarée à titre chirographaire, pour un montant de 12 503 410 euros, dans l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une ordonnance du 21 avril 2021, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Compiègne chargé de la procédure de sauvegarde de la société par actions simplifiée (SAS) Pivert s'est déclaré incompétent pour connaître de la contestation de cette société de la créance déclarée le 13 mars 2020 par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Il a invité l'ANR à saisir la juridiction compétente.

L'ANR a demandé au tribunal administratif de Paris de déclarer fondée la créance déclarée à titre chirographaire, pour un montant de 12 503 410 euros, dans le cadre de la procédure de sauvegarde de la SAS Pivert.

Par un jugement n° 2109754 du 27 mars 2024, le tribunal administratif de Paris a déclaré l'Agence nationale de la recherche fondée à invoquer l'existence d'une créance sur la SAS Pivert à concurrence d'un montant de 12 503 410 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mai 2024 et 28 novembre 2024, la SAS Pivert, représentée par Mes Guénaire et Coulange, demande à la Cour :

1°) d' annuler le jugement n° 2109754 du tribunal administratif de Paris en date du 27 mars 2024 ;

2°) à titre principal, de déclarer l'Agence nationale de la recherche non fondée à invoquer l'existence d'une créance d'un montant de 12 503 410 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de dire que la créance s'élève à la somme de 1 204 021 euros ou de désigner un expert chargé d'apprécier le quantum de la créance déclarée à son passif par l'Agence nationale de la recherche ;

4°) de mettre à la charge de l'Agence nationale de la recherche la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de condamner l'Agence nationale de la recherche aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- la circonstance que le titre exécutoire émis le 22 mars 2021 n'ait pas été contesté est par elle-même sans incidence et ne fait pas obstacle à ce que le bien-fondé de la créance déclarée par l'Agence nationale de la recherche soit contesté ;

- la somme de 2 500 000 euros ne faisait pas partie du montant des subventions apportées au titre de la première tranche triennale du projet " Genesys " et, par suite, n'entrait pas dans le champ de la procédure de reversement prévue à l'article 9.3 de la convention du 6 juin 2013, les apports en capital des partenaires publics ne constituant pas des subventions sans contrepartie attendue ;

- en tout état de cause, la somme de 2 500 000 euros ne peut pas être entièrement intégrée dans le calcul du trop-perçu alors qu'elle a connu une réduction de capital, son capital ayant été porté à 1 760 516 euros le 24 décembre 2019, et que cette somme ne lui bénéficie plus depuis cette date ;

- la somme de 1 589 930 euros résulte d'un changement de méthode de ventilation entre les activités de recherche fondamentale et de recherche industrielle, ce changement étant imputable à l'Agence nationale de la recherche ; elle ne supportait pas la responsabilité de l'engagement, du suivi et de la justification des dépenses engagées dans le cadre du projet de recherche " Genesys " ; elle conteste l'inclusion de cette somme dans la créance de l'Agence nationale de la recherche ;

- le montant des frais d'environnement et de gestion facturés par les partenaires techniques du programme " Genesys " ne peut être réduit à la somme de 3 778 296 euros alors que ces frais constituent des coûts admissibles au sens de l'article 58 du règlement (UE) n° 651-2014 ; les frais en cause se sont élevés à la somme totale de 5 136 755 euros ; elle conteste à ce titre l'inclusion de la somme de 1 358 459 euros dans la créance de l'Agence nationale de la recherche ;

- la créance de l'Agence nationale de la recherche doit tenir compte des amortissements relatifs à la construction de l'infrastructure de recherche " Biogis Center ", qui constituent des coûts éligibles du projet " Genesys " ; elle conteste à ce titre l'inclusion de la somme de 5 800 000 euros dans la créance de l'Agence nationale de la recherche.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2024, l'Agence nationale de la recherche, représentée par Mes Gaudemet et Delarousse, conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement n° 2109754 du tribunal administratif de Paris en date du 27 mars 2024 en tant qu'il décide que l'introduction de sa demande a eu pour effet d'interrompre le délai de recours de la SAS Pivert pour la contestation du titre exécutoire émis à son encontre, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SAS Pivert de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre exécutoire émis le 22 mars 2021 matérialisant sa créance n'a pas été contesté et est devenu définitif, de sorte que la SAS Pivert ne peut pas valablement en critiquer le bien-fondé ;

- les moyens soulevés par la SAS Pivert ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de l'ANR tendant à l'annulation du jugement n° 2109754 du tribunal administratif de Paris en date du 27 mars 2024, qui a fait droit aux conclusions de sa demande.

Des observations, enregistrées le 11 mars 2025, ont été présentées pour la SAS Pivert sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemaire,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- les observations de Me Coulange, représentant la SAS Pivert,

- et les observations de Me Delarousse, représentant l'ANR.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Pivert, créée en 2012, représente et exploite l'Institut d'Excellence dans le domaine des Energies Décarbonées (" IEED ") " Picardie, Innovations Végétales, Enseignements et Recherches Technologiques ". Spécialisé dans la chimie du végétal, cet institut a bénéficié du programme " Investissements d'Avenir ", qui assure des financements publics, à raison du projet de recherche et développement intitulé " Genesys ", qui avait pour objectif de développer une troisième génération de bioraffineries " "zéro déchet" à énergie positive ", notamment grâce à une infrastructure de recherche dite " Biogis Center ". Par une décision du 15 mai 2013, la Commission européenne a considéré que cette aide, d'un montant prévisionnel d'environ 40 millions d'euros, était compatible avec le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, par une convention signée le 6 juin 2013, l'Agence nationale de la recherche (" ANR ") s'est engagée à accorder ce financement en contrepartie de son affectation à la réalisation des activités éligibles de recherche fondamentale et de recherche industrielle. En cours d'exécution de cette convention, l'ANR a fait réaliser plusieurs audits, par ses propres services en novembre 2018 et par le cabinet spécialisé Equation en septembre 2019. Ces audits ayant conclu à l'existence de trop-perçus, l'ANR a demandé à la SAS Pivert, par une lettre du 28 octobre 2019, de lui reverser la somme totale de 15 300 000 euros en application de l'article 9 de la convention du 6 juin 2013.

2. Par un jugement du 19 février 2020, le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la SAS Pivert et, par un courrier du 13 mars 2020, l'ANR a déclaré sa créance à titre chirographaire. Toutefois, la SAS Pivert contestant le bien-fondé de cette créance, ramenée à la somme de 12 503 410 euros, dont l'ANR a exigé le paiement par un titre exécutoire du 22 mars 2021, le juge-commissaire à la procédure de sauvegarde de cette juridiction a invité l'ANR, par une ordonnance du 21 avril 2021, à saisir la juridiction compétente pour statuer sur ce bien-fondé. Par un jugement du 27 mars 2024, le tribunal administratif de Paris, saisi par l'ANR conformément à l'ordonnance, a déclaré qu'elle était fondée à invoquer l'existence de cette créance sur la SAS Pivert. Cette société relève régulièrement appel de ce jugement.

Sur l'appel principal de la SAS Pivert :

3. Le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur l'acte par lequel une personne morale de droit public déclare une créance au mandataire judiciaire dans le cadre d'une procédure de sauvegarde ouverte à l'encontre d'une entreprise, dès lors qu'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire, en vertu des articles L. 624-2 à L. 624-4 du code de commerce, de statuer sur l'admission ou le rejet des créances déclarées. En revanche, le juge administratif est compétent pour statuer sur l'existence et le montant d'une créance publique. Tel est notamment le cas lorsque le juge-commissaire a décidé, en application des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, que ne relevait pas de sa compétence la contestation portant sur la créance déclarée par une personne morale de droit public, matérialisée par l'émission d'un titre de recettes, résultant de l'obligation faite au bénéficiaire d'une subvention publique de la reverser en tout ou partie, lorsque celui-ci n'a pas respecté les conditions mises à l'octroi de cette subvention.

4. En premier lieu, la circonstance que la SAS Pivert n'ait pas contesté le titre exécutoire émis par l'ANR le 22 mars 2021 pour le recouvrement de la somme de 12 503 410 euros ne fait pas obstacle à ce qu'elle conteste le bien-fondé de la créance dans l'instance engagée par l'Agence devant le juge administratif, conformément à l'ordonnance du juge-commissaire du tribunal de commerce de Compiègne en date du 21 avril 2021.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9.3 de la convention conclue le 6 juin 2013 par l'ANR et la SAS Pivert : " En cas de décision de suspension et sans préjudice de l'article 9.1, l'Etat ou l'ANR se réserve la possibilité de réclamer chaque année, le reversement (ou restitution) de tout ou partie des subventions versées au titre de cette période triennale. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, et en particulier des articles 3.1 et 3.2.1 de la convention du 6 juin 2013, que l'ANR a accordé à la SAS Pivert, au titre de la première tranche du financement attribué dans le cadre du programme " Investissements d'Avenir ", une somme totale de 28 147 010 euros, qualifiée de subvention par les parties. Les stipulations de ces articles prévoient le versement direct à l'IEED de la somme de 25 647 010 euros, " complétée par une subvention de 2 500 000 euros versée par l'ANR aux Actionnaires Publics de l'IEED afin que ces derniers puissent compléter le capital de l'IEED. Cette subvention fait l'objet de conventions ad hoc entre l'ANR et les Actionnaires Publics ". Ainsi que l'a relevé la Commission européenne au point 146 de la décision du 15 mai 2013 mentionnée au point 1, cette somme de 2,5 millions d'euros constitue une " dotation en capital ", comprise dans la subvention totale de 39,8 millions d'euros que la SAS Pivert était appelée à recevoir de l'ANR. L'article 4.3.2 du règlement relatif aux modalités d'attribution des aides au titre de l'appel à projets IEED prévoit à cet égard que : " Les financements destinés à l'IEED et versés aux organismes publics membres ou associés de l'IEED prennent la forme de subventions, que ces organismes doivent apporter en fonds propres, quasi-fonds propres ou subventions à l'IEED ". Dans ces conditions, la somme de 2,5 millions d'euros indirectement attribuée à la SAS Pivert ayant été comprise dans le montant total de la subvention accordée par l'ANR à cette société conformément à la convention du 6 juin 2013, dont l'article 9.3 prévoyait le reversement en cas de manquement aux obligations prévues par cette convention, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que cette somme ne pouvait pas être prise en compte pour le calcul du montant à restituer, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle ait fait l'objet d'une réduction de capital le 24 décembre 2019, son capital ayant alors été porté à 1 760 516 euros.

7. En troisième lieu, la SAS Pivert soutient qu'à concurrence de 1 589 930 euros, le trop-perçu dont le reversement lui a été réclamé par l'ANR résulte d'un changement de méthode de ventilation entre les activités de recherche fondamentale et les activités de recherche industrielle, qui lui a été imposé par l'ANR en 2017, en cours d'exécution de la convention du 6 juin 2013. Toutefois, alors qu'en vertu de l'article 2.1 de cette convention, il appartient à la SAS Pivert de justifier de l'affectation des aides à des activités éligibles, la circonstance dont elle se prévaut, à la supposer établie, n'est pas de nature à établir qu'à concurrence de cette somme, la subvention accordée a été utilisée conformément aux stipulations de la convention et, par suite, que son reversement ne pouvait pas être réclamé par l'ANR.

8. En dernier lieu, si la SAS Pivert soutient que les coûts éligibles se sont élevés à la somme totale de 5 136 755 euros, s'agissant des frais d'environnement et de gestion facturés par les partenaires techniques du programme " Genesys ", et à la somme de 8 220 879 euros, s'agissant des amortissements relatifs à la construction de l'infrastructure de recherche " Biogis Center ", elle ne verse au dossier aucune pièce de nature à établir que les montants éligibles retenus à ces titres par l'ANR sont erronés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Pivert n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déclaré que l'ANR était fondée à invoquer l'existence à son encontre d'une créance de 12 503 410 euros.

Sur l'appel incident de l'ANR :

10. L'ANR demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant que celui-ci estime que l'introduction de sa demande a eu pour effet d'interrompre le délai de recours ouvert à la SAS Pivert pour contester le titre exécutoire émis le 22 mars 2021 pour le recouvrement de la somme de 12 503 410 euros. Ainsi, l'ANR se borne à contester l'un des motifs du jugement du tribunal administratif de Paris, et non le dispositif de ce jugement, qui fait au demeurant intégralement droit à ses conclusions tendant à ce que soit déclarée fondée la créance correspondante. Dès lors, l'appel incident doit être rejeté comme irrecevable.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ANR, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la SAS Pivert de la somme qu'elle demande au titre des frais qu'elle a exposés. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette société le versement à ce titre d'une somme de 1 500 euros.

Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'ANR aux dépens de l'instance :

12. En l'absence de dépens, les conclusions de la SAS Pivert tendant à la condamnation de l'ANR aux dépens de l'instance doivent, en tout état de cause, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Pivert est rejetée.

Article 2 : La SAS Pivert versera à l'ANR une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de l'ANR est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile professionnelle Angel-Hazane-Duval, mandataire liquidateur de la société Pivert et à l'Agence nationale de la recherche.

Copie en sera adressée au tribunal de commerce de Compiègne.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Lemaire, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 11 avril 2025.

Le rapporteur,

O. LEMAIRE

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02347


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02347
Date de la décision : 11/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Olivier LEMAIRE
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CABINET JOFFE & ASSOCIES (SELARL)

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-11;24pa02347 ?
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