Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) A... Dutertre A... a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités mis à sa charge au titre des années 2015 à 2017.
Par un jugement n° 2010544 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 février 2024, la SARL A... Dutertre A..., représentée par la SELARL Acte avocats associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 21 décembre 2023 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge à hauteur de 36 358 euros au titre de la période du 1er avril 2015 au 31 octobre 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en s'abstenant de faire droit à sa demande de communication des documents obtenus auprès de tiers qui ont servi de base aux impositions en litige, l'administration fiscale a entaché la procédure d'imposition d'une irrégularité substantielle ;
- aucun système de fausse facturation n'a été mis en place ;
- les quatre factures émises par la société VND ne suffisent pas à remettre en cause le caractère probant de sa comptabilité et son rejet au titre de la période courant du 1er avril 2015 au 31 mars 2016 ;
- l'administration n'a pas répondu à sa demande d'explication des motifs justifiant la rectification de son erreur de liquidation relative au taux d'imposition réduit appliqué aux rehaussements ;
- la proposition de rectification établie le 26 juin 2018 méconnaît les dispositions de l'article L. 80 E du livre des procédures fiscales, faute de comporter le visa de l'inspectrice principale ;
- l'application d'une majoration de 80 % pour manœuvre frauduleuse n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL A... Dutertre A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) A... Dutertre A... (MDM), qui exerce une activité de négoce et de vente au détail de viande de boucherie, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er avril 2015 au 31 mars 2017, à l'issue de laquelle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été notifiés par une proposition de rectification du 26 juin 2018, annulée et remplacée par une nouvelle proposition du 4 décembre 2018. Par la présente requête, la société MDM relève régulièrement appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rehaussements mis à sa charge.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
3. Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.
4. La société MDM soutient que le service s'est abstenu de lui communiquer les documents dont elle avait sollicité la communication par des demandes formulées les 4 septembre 2018 et 6 février 2019. D'une part, il résulte de l'instruction que pour procéder aux redressements en litige, l'administration fiscale s'est fondée sur des chèques qu'elle avait obtenus à la suite de l'exercice de son droit de communication auprès de la Banque Populaire Rives de Paris. Ces chèques, dont les copies ont été annexées à la proposition de rectification du 4 décembre 2018, ont ainsi été transmis à la société MDM. D'autre part, elle ne conteste pas que ces mêmes copies de chèques, comme les factures émises par la société VDN qui avaient été obtenues dans le cadre du contrôle de cette société, lui ont également été transmises à l'appui de la réponse à ses observations en date du 4 mars 2019. Enfin et contrairement à ce qu'elle soutient, il ne résulte pas de l'instruction que les redressements contestés auraient été établis sur la base de documents obtenus auprès de la société Agrocom dont la communication aurait été rendue obligatoire. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Aux termes du 2ème alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " (...) la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge ". Il résulte de ces dispositions que le contribuable supporte la charge de la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par l'administration lorsque, d'une part, la comptabilité comporte de graves irrégularités et, d'autre part, l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. D'une part, il résulte de l'instruction que le service a retenu l'existence de charges fictives remettant en cause le caractère probant de la comptabilité de la SARL MDM. D'autre part, les impositions contestées ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 27 janvier 2020. Par suite, la charge de la preuve du caractère exagéré des bases d'imposition incombe à la société.
6. En premier lieu, en cas de défaut de valeur probante de la comptabilité, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration fiscale de procéder à une reconstitution globale et extra-comptable du chiffre d'affaires d'une entreprise. En l'espèce, le service a écarté la comptabilité de la SARL MDM en remettant en cause son caractère probant après avoir établi l'existence de charges fictives correspondant à des factures émises par la société VDN qui ne correspondaient à aucune prestation de service réellement fournie et dont le paiement avait été crédité sur des comptes bancaire autres que ceux de cette société prestataire. Il n'a toutefois pas été procédé à une reconstitution extra-comptable des recettes de la SARL MDM. Par suite, le moyen tiré de ce que les factures émises par la société VDN seraient insuffisantes pour remettre en cause le caractère probant de sa comptabilité, doit être écarté comme étant inopérant.
7. En deuxième lieu, si la SARL MDM soutient qu'aucun système de fausse facturation n'a été mis en place, elle ne justifie aucunement la nature et la réalité des prestations qui lui ont été facturées par la société VDN et n'apporte aucune explication sur les encaissements des factures correspondantes créditées, non sur le compte de cette société ainsi qu'il vient d'être dit, mais sur le compte bancaire personnel de M. A..., dirigeant des sociétés VDN et MDM, sur celui de la SCI Résidence 57 dont il est le gérant ou sur ceux de deux autres sociétés.
8. En dernier lieu, si la société requérante soutient que l'administration fiscale ne lui a apporté aucune explication sur les motifs justifiant la modification du taux d'imposition opéré par la proposition de rectification du 4 décembre 2018 annulant et remplaçant celle établie le 26 juin 2018, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision suffisante de nature à en apprécier le bien-fondé.
Sur les pénalités :
9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 80 E du livre des procédures fiscales : " La décision d'appliquer les majorations et amendes prévues aux articles 1729, 1732,1735 ter et 1740 A bis du code général des impôts est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités ". Aux termes de l'article R. 80 E-1 du même livre : " La décision d'appliquer les majorations et amendes mentionnées à l'article L. 80 E est prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire ".
10. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 4 décembre 2018, qui s'est substituée à celle établie le 26 juin 2018 ainsi qu'il a été dit au point 8, comporte la signature de l'inspectrice principale. Par suite, la circonstance que la proposition de rectification du 26 juin 2018 initialement adressée à la société MDM n'ait pas comporté la signature d'un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire n'entache pas d'irrégularité la décision par laquelle l'administration a assorti les rehaussements en litige de la pénalité pour manœuvre frauduleuse prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ". Les pénalités pour manœuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration. Par ailleurs, l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales dispose que : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
12. La SARL MDM soutient de nouveau en appel que l'administration n'apporte pas la preuve de l'intention frauduleuse qui lui est reprochée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les juges de première instance au point 10 du jugement entrepris et non critiqués par de nouveaux arguments.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL MDM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL MDM est rejetée.
Article 2°: Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée A... Dutertre A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 11 avril 2025.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00816