Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Maupiti à lui verser la somme de 3 990 000 F CFP, en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait de l'abstention du maire de cette commune à le réintégrer dans ses fonctions d'adjoint au maire et de mettre à la charge de cette commune la somme de 565 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2300010 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de la
Polynésie française a, notamment, condamné la commune de Maupiti à verser à M. A... la somme de 150 000 F CFP en réparation de son préjudice moral, mis à la charge de cette commune la somme de 150 000 F CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 août 2023, M. A..., représenté par Me Usang, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a limité à la somme de 150 000 F CFP la condamnation de la commune de Maupiti au titre de la réparation intégrale de son préjudice et à la somme de 150 000 F CFP la somme mise à la charge de la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner la commune de Maupiti à lui verser un surplus de 4 958 000 F CFP, au titre de la réparation intégrale du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'abstention du maire de cette commune à le réintégrer dans ses fonctions de premier adjoint, ainsi qu'au regard des frais exposés par lui en première instance et non compris dans les dépens ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Maupiti la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de base légale et d'une insuffisance de motivation en ce que, d'une part, le tribunal lui a seulement accordé la somme de 150 000 F CFP au titre de la réparation intégrale du préjudice et, d'autre part, en ce qu'il ne précise pas les modalités selon lesquelles a été fixée cette somme ;
- son préjudice total s'élève à la somme de 5 258 000 F CFP, soit 329 000 F CFP correspondant à son préjudice " financier " et 4 929 000 F CFP correspondant à son préjudice " moral " au titre de la perte d'indemnité due aux adjoints ;
- le montant alloué par les premiers juges au titre de la perte de ses indemnités d'adjoint au maire est dérisoire.
Une mise en demeure a été adressée, le 17 octobre 2023, à la commune de Maupiti, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 20 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
4 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler, d'une part, l'arrêté du 18 avril 2017 par lequel le maire de la commune de Maupiti a révoqué ses délégations de fonctions de premier adjoint à compter du 19 avril 2017 et, d'autre part, la délibération du 27 avril 2017 par laquelle le conseil municipal de la commune de Maupiti a décidé de ne pas le maintenir dans ses fonctions d'adjoint au maire. Par un jugement du
12 décembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé ces deux décisions. Par un arrêt du 12 juin 2018, la Cour a rejeté la requête de la commune de Maupiti tendant à l'annulation de ce jugement. Par une décision du 10 mai 2019, le Conseil d'Etat n'a pas admis le pourvoi en cassation formé par la commune de Maupiti à l'encontre de cet arrêt.
M. A... ayant vainement demandé à la commune de Maupiti de le réintégrer, en exécution du jugement du 12 décembre 2017, dans ses fonctions de premier adjoint au maire, a saisi le
Conseil d'Etat d'une demande tendant à l'exécution de ce jugement, transmise à la Cour par lettre du 23 juin 2020 du délégué à l'exécution du Conseil d'Etat. Par une lettre du
15 février 2022, le premier vice-président de la Cour a informé M. A... de ce que compte tenu du renouvellement du conseil municipal de la commune de Maupiti, depuis l'intervention du jugement précité du tribunal administratif, sa demande de réintégration dans les fonctions d'adjoint au maire était devenue sans objet et qu'il procédait, dès lors, au classement administratif de sa demande. Estimant que les procédures juridictionnelles entreprises pour assurer l'exécution du jugement du 12 décembre 2017 et le refus persistant de la collectivité de le réintégrer dans ses fonctions lui avaient causé des préjudices, M. A... a demandé à la commune de Maupiti, par une lettre du 26 juillet 2022, reçue par cette dernière le
13 septembre 2022, de lui verser une somme de 3 990 000 F CFP en réparation de ceux-ci. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par la commune de Maupiti sur cette demande. M. A... relève appel du jugement du 13 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a limité à 150 000 F CFP la condamnation de la commune de Maupiti au titre de la réparation de son préjudice moral et à 150 000 F CFP la somme qui a été mise à la charge de la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, M. A... soutient qu'en lui accordant seulement 150 000 F CFP " au titre de la réparation intégrale du préjudice subi ", sans préciser en outre les modalités de fixation de cette somme, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement. Il résulte toutefois de ce dernier que les premiers juges, après avoir retenu l'abstention fautive de la commune de Maupiti à réintégrer M. A... dans ses fonctions de premier adjoint au maire, ont considéré que l'intéressé, qui avait seulement demandé en première instance la réparation de son préjudice moral, était fondé à être indemnisé de celui-ci et que, dans les circonstances de l'espèce, il y avait lieu de faire une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. A... une somme de 150 000 F CFP. Cette motivation, qui précise la nature du préjudice indemnisé, à savoir le préjudice moral, objet de la demande, et le niveau d'appréciation mis en œuvre pour en fixer le montant, est suffisante. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement doit être écarté.
3. En second lieu, le moyen tiré de ce que le jugement, du fait de la prétendue insuffisance de sa motivation, serait entaché d'un défaut de base légale, à le supposer même opérant, doit en tout état de cause, compte tenu de ce qui a été dit au point 2, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
4. Il résulte de l'instruction, notamment du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 12 décembre 2017, devenu définitif à la suite de la décision du
Conseil d'Etat du 10 mai 2019 mentionnée au point 1, que la décision du 18 avril 2017 du maire de Maupiti portant révocation des délégations de fonctions de premier adjoint de M. A... et la délibération du 27 avril 2017 du conseil municipal de cette commune de ne pas maintenir ce dernier dans ses fonctions d'adjoint au maire ont été jugées illégales et annulées. Cette annulation, eu égard au motif retenu par le jugement et confirmé par la Cour dans son arrêt du
12 juin 2018, impliquait nécessairement que M. A... soit réintégré dans ses fonctions de premier adjoint au maire. La Cour ayant été saisie, dans les conditions mentionnées au point 1, d'une demande tendant à obtenir l'exécution de ce jugement, soit la réintégration de M. A..., a demandé, par lettre du 1er juillet 2020, à la commune de Maupiti de justifier des mesures prises pour assurer cette exécution. La commune n'a ni répondu à cette demande, ni procédé à la réintégration de M. A.... Dès lors, en s'abstenant de prendre cette mesure de réintégration de M. A... jusqu'à ce que celle-ci devienne impossible du fait du renouvellement du conseil municipal, la commune de Maupiti a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne le préjudice :
5. D'une part, le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction.
6. D'autre part, en vertu de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire dans le cadre de l'instruction n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti à cet effet, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut lui adresser une mise en demeure. Aux termes de l'article R. 612-6 du même code : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".
7. Il résulte de l'instruction que la commune de Maupiti, mise en demeure, le
17 octobre 2023, de produire un mémoire en défense dans un délai de 21 jours, en application des dispositions de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et informée des conséquences d'une éventuelle absence de production de sa part sur la suite de la procédure, n'a produit aucun mémoire en défense dans la présente instance. Ainsi, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans la requête de M. A.... Il appartient toutefois à la cour de vérifier que ces faits ne sont pas contredits par les pièces du dossier. En outre, l'acquiescement aux faits est sans conséquence sur leur qualification juridique au regard des textes qui fondent la décision en litige et sur le contrôle, par le juge, de l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration.
8. M. A... demande la condamnation de la commune de Maupiti à lui verser un surplus de 4 958 000 F CFP au titre de la réparation intégrale du préjudice qu'il aurait subi du fait de l'abstention du maire de cette commune à le réintégrer dans ses fonctions de premier adjoint. Cette somme se décompose, selon lui, en une somme de 4 929 000 F CFP correspondant au préjudice financier calculé en considération de la perte globale de ses indemnités de fonctions entre le mois de mai 2019 et le mois de septembre 2023, somme qui demeure dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, et un surplus de 29 000 F CFP au titre de la somme qui lui a été allouée par le tribunal en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A... n'a pas répondu à la mesure d'instruction diligentée par la Cour, visant notamment à ce qu'il justifie du montant de l'indemnité de fonctions dont il bénéficiait au titre de ses fonctions de premier adjoint au maire de la commune de Maupiti et de la date du dernier renouvellement du conseil municipal de la commune, date au-delà de laquelle il ne saurait se prévaloir d'un préjudice financier lié à la perte d'indemnités de fonctions qu'il n'avait plus vocation à percevoir. A cet égard, M. A... fait valoir, dans sa requête, que son indemnité de fonctions de premier adjoint au maire s'élevait à la somme mensuelle de 93 000 F CFP. Ce montant n'étant contredit par aucune pièce du dossier doit être regardé, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, suite à l'acquiescement aux faits de la commune de Maupiti, comme établi.
10. En second lieu, le préjudice financier invoqué par M. A..., résultant de la privation des indemnités liées à sa fonction d'adjoint au maire de la commune de Maupiti, doit être regardé comme réparable selon les mêmes règles que celles applicables aux agents publics irrégulièrement évincés du service, selon lesquelles ces derniers ont droit à la réparation intégrale du préjudice qu'ils ont effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à leur encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.
11. A cet égard, d'une part, il résulte de l'instruction que M. A... avait une chance sérieuse de bénéficier de ces indemnités qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, ne sont pas seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions, mais seulement pour la période d'éviction allant de " mai 2019 " au 28 juin 2020, date du deuxième tour des élections municipales de la commune de Maupiti, ainsi qu'il résulte des informations disponibles sur Internet. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est ni justifié ni même allégué par la commune de Maupiti que M. A... aurait perçu une somme quelconque destinée à l'indemniser de l'absence de versement de ses indemnités de fonctions d'adjoint au maire entre " mai 2019 " et le
28 juin 2020.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui a été dit aux points 5 à 11 que M. A... est fondé à demander l'indemnisation du préjudice financier lié à la perte de ses indemnités de fonctions, pour la période allant de " mai 2019 " au 28 juin 2020, sur la base d'un montant mensuel net de 93 000 F CFP. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme globale de 1 209 000 F CFP, correspondant à une privation de treize mois d'indemnités de fonctions.
13. Enfin, si M. A... demande un surplus de 29 000 F CFP en regard du montant qui lui a été alloué par les premiers juges au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative aux termes duquel " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ", il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal, en allouant au requérant une somme de 150 000 F CFP, aurait fait une inexacte appréciation du montant de ces frais, alors au demeurant que celui-ci n'a produit aucun justificatif de la somme globale qu'il demande à cet égard. Par suite, ses conclusions concernant cette demande doivent être rejetées.
14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a limité le montant de la réparation intégrale de son préjudice à la somme de
150 000 F CFP, et à demander que cette somme soit portée à la somme de 1 359 000 F CFP, soit un surplus de 1 209 000 F CFP.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Maupiti la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Maupiti est condamnée à verser à M. A... est portée à 1 359 000 F CFP.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 13 juin 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Maupiti versera la somme de 1 500 euros à M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune de Maupiti.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 avril 2025.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
M. DOUMERGUELa greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23PA03651