Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 14 février 2022 par lequel la préfète du Val-de-Marne a refusé de renouveler sa carte de séjour pluriannuelle, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2205472 du 26 décembre 2024, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 14 février 2022, et a enjoint au préfet de délivrer à M. A..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable un an, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2025, le préfet du Val-de-Marne, représenté par Me Termeau, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Melun du 26 décembre 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté en litige avait porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la demande de M. A... devant le tribunal administratif a été présentée tardivement ;
- les autres moyens soulevés par M. A... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2025, M. A..., représenté par Me Chrétien, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de rejeter la requête du préfet du Val-de-Marne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chrétien d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 mars 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 mars 2025 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les observations de Me Chrétien, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant russe né le 2 septembre 1997 à Chelkovskaia (Russie), qui a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français au mois de novembre 2010 et s'y être maintenu depuis lors, s'est vu délivrer le 15 avril 2016 une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable jusqu'au 7 septembre 2016, puis une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 7 septembre 2018, et enfin une carte de séjour pluriannuelle valable du 13 août 2019 au 12 août 2021. Par un arrêté du 14 février 2022, la préfète du Val-de-Marne a refusé de renouveler ce titre de séjour, et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi. M. A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 26 décembre 2024, le tribunal administratif a fait droit à sa demande. Le préfet du Val-de-Marne fait appel de ce jugement.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, visée ci-dessus : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application de ces dispositions, l'admission provisoire de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la requête du préfet du Val-de-Marne :
4. Aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. "
5. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
6. Pour refuser le renouvellement du titre de séjour de M. A..., la préfète du Val-de-Marne s'est, dans l'arrêté en litige, fondée sur les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et s'est attachée, notamment, aux circonstances que M. A... a été condamné, par le tribunal correctionnel de Rouen, le 26 mars 2018, à six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours (en réunion et en état d'ivresse) et, le 25 octobre 2019, à dix mois d'emprisonnement ferme pour des faits de détention non autorisée de stupéfiants et d'offre ou de cession non autorisée de stupéfiants.
7. Pour estimer que l'arrêté en litige avait porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal administratif a relevé que M. A... est arrivé en France accompagné de sa mère, au mois de novembre 2010, à l'âge de treize ans, et a été scolarisé dans l'académie de Rouen jusqu'en 2016, qu'après le décès de sa mère survenu le 23 février 2011, il a été placé sous la tutelle de sa sœur, qu'il a emménagé chez sa cousine en janvier 2019 puis dans son propre logement en janvier 2021, et qu'il indique avoir le centre de ses intérêts familiaux en France et n'avoir plus aucun lien avec sa région natale en Russie, ni avec son père qu'il n'a jamais connu. Enfin, le tribunal a relevé qu'à la date de la décision attaquée, M. A... démontrait avoir débuté son insertion professionnelle par la production d'un contrat de travail à durée indéterminée puis de récents contrats d'intérim.
8. Toutefois, il est constant qu'ainsi que le préfet du Val-de-Marne le fait valoir, M. A... est célibataire, sans charge de famille, et ne justifie pas avoir conservé des liens avec sa sœur et avec sa cousine, elles-mêmes de nationalité russe, qui résident en France. Dans ces conditions, compte tenu de la menace que sa présence en France représente pour l'ordre public, et en dépit de la durée de sa présence et de son jeune âge lors de son arrivée sur le territoire français, le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que le tribunal administratif ne pouvait se fonder sur une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, pour annuler l'arrêté en litige.
9. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties devant le tribunal administratif.
Sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun :
10. En premier lieu, le préfet du Val-de-Marne soutient que la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Melun aurait été présentée tardivement le 1er juin 2022, alors que le pli contenant l'arrêté en litige avait été envoyé à M. A... à l'adresse de la cousine qui l'avait hébergé, qu'il avait indiquée sur la fiche de renseignements remplie lors du dépôt de sa demande de titre de séjour, le 30 août 2021, et alors que le pli, présenté à cette adresse le 17 février 2022, a été retourné à l'expéditeur, revêtu de la mention " pli avisé, non réclamé ". Toutefois, le récépissé de demande de titre de séjour délivré à M. A... le 2 septembre 2021 comporte une autre adresse, à laquelle il établit avoir résidé depuis le mois de janvier 2021 dans une résidence de jeunes actifs à Ivry-sur-Seine. Dès lors, il appartenait aux services de la préfecture d'adresser l'arrêté en litige à cette dernière adresse dont ils avaient connaissance. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux ouvert contre cet arrêté n'a commencé à courir qu'à compter de sa remise effective au guichet de la préfecture, le 23 mai 2022. La fin de non-recevoir doit donc être écartée.
11. En second lieu, compte tenu de ce qui vient d'être dit, il appartenait aux services de la préfecture d'adresser la convocation de M. A... devant la commission du titre de séjour, datée du 10 janvier 2022, à sa nouvelle adresse dont ils avaient connaissance. Dans ces conditions, et même si le pli a été remis le 21 janvier suivant à l'adresse de sa cousine, à une personne dont la signature ne permet pas d'établir l'identité avec certitude, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêté refusant le renouvellement de son titre de séjour, est entaché d'un vice de procédure qui l'a privé d'une garantie, et à demander l'annulation de cet arrêté.
12. Il résulte de ce qui précède que préfet du Val-de-Marne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté en litige.
13. Le motif d'annulation retenu ci-dessus implique seulement que le préfet du Val-de-Marne réexamine la situation de M. A.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Chrétien renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chrétien d'une somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : M. A... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2205472 du tribunal administratif de Melun du 26 décembre 2024 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne ou au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet du Val-de-Marne est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à Me Chrétien une somme de 1 000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Chrétien renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au préfet du Val-de-Marne et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mars 2025.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 25PA00380