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19/03/2025 | FRANCE | N°24PA03492

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 19 mars 2025, 24PA03492


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 juin 2024 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, en fixant le pays de destination, et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2416579/8 du 4 juillet 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa deman

de.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 2 août 2024, M. B....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 juin 2024 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, en fixant le pays de destination, et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2416579/8 du 4 juillet 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 août 2024, M. B... C..., représenté par Me Garcia, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris du 4 juillet 2024 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté de la préfète du Val-de-Marne du 18 juin 2024, mentionné ci-dessus ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne, d'une part, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de le munir, dans cette attente, d'une autorisation provisoire de séjour, et, d'autre part, de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne le jugement attaqué :

- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a estimé, pour l'application de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que son comportement constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre et à la sécurité publics, et, pour l'application de l'article L. 251-2 du même code, qu'il ne disposait pas d'un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français ;

En ce qui concerne l'arrêté attaqué :

- cet arrêté a été pris en méconnaissance de son droit à être entendu, des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure préalable, qui impliquaient qu'il soit informé de la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un avocat avant d'être entendu ; l'administration a de plus fait preuve de déloyauté à son égard en procédant à son audition sans l'avoir informé des enjeux de cette même audition et sans l'avoir invité à justifier de sa situation personnelle ; la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent si ses droits avaient été respectés ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est insuffisamment motivée, et n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation ;

- elle a été prise en méconnaissance des articles L. 234-1 et L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en l'absence de menace actuelle pour l'ordre public ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de circuler sur le territoire français :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2025, le préfet du Val-de-Marne, représenté par Me Termeau, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les observations de Me Suarez Pedroza, pour le préfet du Val-de-Marne.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 18 juin 2024, la préfète du Val-de-Marne a obligé M. B... C..., ressortissant portugais né le 13 avril 1968 à Lisbonne, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... C... fait appel du jugement du 4 juillet 2024, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le bien-fondé du jugement attaqué est sans incidence sur sa régularité. Les moyens selon lesquels le comportement de M. B... C... ne constituerait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre et à la sécurité publics, et selon lesquels il disposerait d'un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français, sont donc inopérants.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit à être entendu :

3. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013 visé ci-dessus, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

4. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014 visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

5. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 10 septembre 2013 cité au point 3, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant étranger en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... C... a été auditionné par les services de police le 18 juin 2024. S'il conteste avoir alors pu porter à la connaissance de l'administration l'ensemble des informations pertinentes relatives à sa situation personnelle, faute d'avoir été invité à produire des justifications, et s'il fait valoir qu'il n'aurait pas été informé de la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un avocat, et des enjeux de son audition, il ne se prévaut en tout état de cause d'aucune information pertinente qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la décision en litige et qui, si elle avait pu être communiquée à temps aurait été de nature à faire obstacle à cette décision. Dans ces conditions, le droit d'être entendu de M. B... C... n'a pas été méconnu.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, les moyens tirés de l'insuffisance de la motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de l'absence d'examen particulier de la situation de M. B... C... doivent être écartés par adoption des motifs retenus par le premier juge.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) ". Aux termes de l'article 27 de la directive 2004/38/CE du parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 : " (...) les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union (...). Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ".

9. Lorsqu'elle entend prendre une mesure d'éloignement sur le fondement du 2° des dispositions précitées de l'article L. 251-1, il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

10. Pour caractériser une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre et la sécurité publics, pour l'application du 2°) de l'article L. 251-1, la préfète du Val-de-Marne fait valoir que M. B... C... a été condamné par le tribunal correctionnel de Créteil le 12 février 2024 à une peine d'emprisonnement délictuel de 18 mois dont 10 mois avec sursis probatoire pendant 30 mois pour des faits de violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un PACS aggravé par une autre circonstance. Ainsi, compte tenu de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné et de leur caractère récent, et en dépit de leur caractère isolé, de sa présence en France alléguée depuis 2003 et de son insertion professionnelle, la préfète du Val-de-Marne a pu légalement estimer que la présence en France de M. B... C... constituait, du point de vue de l'ordre et de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Le moyen tiré d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1 ". Aux termes de l'article L. 234-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français (...) ".

12. Il est constant qu'à la date du 18 juin 2024, date de l'arrêté attaqué, M. B... C... était incarcéré depuis le 10 février 2024. Or, cette période d'incarcération ne saurait être prise en compte dans le calcul de la durée de résidence légale et ininterrompue en France de cinq années, précédant celle au cours de laquelle il a fait l'objet de la mesure d'éloignement en litige, prévue à l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne saurait utilement se prévaloir de l'aménagement de peine sous forme de semi-liberté dont il a bénéficié à compter du 21 février 2024 et de son activité professionnelle pendant sa période de semi-liberté. Ainsi, il n'est pas fondé à soutenir qu'il bénéficiait d'un droit au séjour permanent selon l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen qu'il tire d'une erreur de droit au regard des articles L. 234-1 et L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit donc être écarté.

Sur la décision d'interdiction de circuler sur le territoire français :

13. Les moyens tirés, à l'encontre de la décision d'interdiction de circuler sur le territoire français, de l'insuffisance de la motivation de cette décision, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste d'appréciation, doivent être écartés par adoption des motifs retenus par le premier juge.

14. Il résulte de ce qui précède que M. B... C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête, y compris les conclusions à fin d'injonction et les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2025.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

2

N° 24PA03492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA03492
Date de la décision : 19/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : SELARL GARCIA & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-19;24pa03492 ?
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