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14/03/2025 | FRANCE | N°23PA03084

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 14 mars 2025, 23PA03084


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi en raison de la situation de harcèlement moral dont il estime avoir été victime.



Par un jugement no 2105605 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête e

nregistrée le 11 juillet 2023, et un mémoire enregistré le 17 février 2025, non communiqué, M. B..., représenté par Me Gu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi en raison de la situation de harcèlement moral dont il estime avoir été victime.

Par un jugement no 2105605 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2023, et un mémoire enregistré le 17 février 2025, non communiqué, M. B..., représenté par Me Guerreau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 5 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a écarté, au terme d'une erreur manifeste d'appréciation, l'existence d'une situation de harcèlement moral, alors qu'il justifie de la dégradation de ses conditions de travail et de comportements vexatoires de la part de sa hiérarchie ;

- en ne lui fournissant pas les chaussures orthopédiques de sécurité adaptées recommandées par le service de la médecine du travail, son employeur a en outre manqué à son obligation de sécurité concernant la santé de ses employés ; la dégradation de son état physique est en lien direct avec la défaillance de son employeur ;

- l'indemnité sollicitée en réparation de son préjudice moral doit être portée à la somme de 15 000 euros pour tenir compte des éléments vexatoires complémentaires et de harcèlement qu'il a subis postérieurement à l'année 2021 et qui n'étaient pas inclus dans la requête présentée devant le tribunal le 15 mars 2021.

Par un mémoire enregistré le 12 novembre 2024, la ville de Paris, représentée par Me Bazin, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. B... d'une somme de 1 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 20 février 2025 :

- le rapport de Mme Milon,

- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Jacquemin, représentant la ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., éboueur principal de classe supérieure exerçant ses fonctions à la ville de Paris, a été victime, le 28 août 2016, d'un premier accident de service en manipulant une benne. Il a, par un arrêté du 25 juillet 2017, été placé en congé de maladie au titre de cet accident de service pour la période du 29 août au 12 décembre 2016. Son état a été déclaré guéri à compter de cette date. Après avoir repris ses fonctions, M. B... a, par un arrêté du 1er juillet 2019, été placé, du 16 janvier 2019 au 19 juin 2019, en congé de maladie au titre d'un nouvel accident de service dont il a été victime le 15 janvier 2019. M. B... présentant, depuis cet accident, d'importantes douleurs au niveau du genou gauche, il a été reconnu définitivement inapte aux fonctions que son grade lui donne vocation à occuper, et, par un arrêté du 31 janvier 2020, il a été placé en congé de maladie imputable au service, au titre de cet accident, pour la période allant du 1er octobre 2019 jusqu'à l'engagement de la procédure de reclassement. M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi en raison de la situation de harcèlement moral dont il estime avoir été victime. M. B... fait appel du jugement du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande et demande à la Cour de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi.

Sur la situation alléguée de harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

4. Au titre des éléments de fait susceptibles, d'après lui, de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, M. B... fait valoir, dans un premier temps, que la ville de Paris n'aurait pas entièrement respecté l'aménagement préconisé par le médecin du travail lors de la visite de reprise du 27 mars 2017 consécutive à son accident de service du 28 août 2016. Il lui reproche de ne pas lui avoir remis une paire de chaussures de sécurité orthopédiques et produit, à l'appui, un certificat de son médecin traitant recommandant la fourniture de chaussures de sécurité orthopédiques. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le médecin du travail a préconisé, non la fourniture d'une paire de chaussures de sécurité orthopédiques, mais des chaussures de sécurité adaptées accompagnées de semelles orthopédiques. M. B... ne conteste pas avoir été mis en possession d'une paire de semelles orthopédiques, et il ressort des pièces du dossier qu'une paire de chaussures de sécurité lui a été remise le 5 avril 2017, soit quelques jours seulement après la visite médicale de reprise, l'intéressé ayant par ailleurs confirmé, lors de l'essayage, que le modèle lui convenait. Il est donc établi que les préconisations émises par le médecin du travail le 27 mars 2017 ont été respectées par la ville de Paris. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la préconisation a été réitérée par le médecin du travail lors du rendez-vous du 8 octobre 2018 et que les semelles orthopédiques, renouvelées le 21 janvier 2019, ont été remises à l'intéressé, qui ne le conteste pas et qui n'apporte aucun élément tendant à établir l'état d'usure des semelles au terme d'une année d'usage. Par suite, les allégations de M. B... tenant à l'absence de mise en œuvre des préconisations émises par le service de médecine du travail, qui sont démenties par les pièces du dossier, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

5. M. B... fait valoir, dans un deuxième temps, que, compte tenu des douleurs qu'il présentait au niveau des genoux et alors qu'il aurait été dépourvu du matériel adapté, il se serait présenté à son poste de travail sans toutefois être affecté à la benne et sans bénéficier d'aucune autre affectation et qu'il aurait été " abusivement sommé " par son supérieur hiérarchique de reprendre son travail à la benne le 15 janvier 2019, date à laquelle il a été victime d'un nouvel accident de service. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, M. B... avait été mis en possession du matériel adéquat au début du mois d'avril 2017 et il n'est pas établi que les semelles orthopédiques fournies au cours de l'année 2017 auraient été hors d'usage avant leur renouvellement au cours du mois de janvier 2019, l'empêchant ainsi d'exercer son activité. Par ailleurs, M. B..., qui n'étaye pas son allégation selon laquelle il aurait été sommé de reprendre son activité à la benne le 15 janvier 2019, n'apporte aucun élément tendant à établir qu'il aurait été privé d'une affectation, ce que conteste en défense la ville de Paris, qui fait valoir qu'il était affecté à l'atelier 2-12 depuis le 1er juin 2011. Ces faits, non établis, ne sont donc pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de l'intéressé.

6. M. B... fait valoir, dans un troisième temps, qu'après avoir été déclaré définitivement inapte à l'exercice des fonctions correspondant à son emploi, ce dont l'informe un courrier du 31 janvier 2020, il n'aurait reçu aucune proposition de reclassement pertinente, tenant compte notamment de ses douleurs ressenties au niveau du genou, à l'origine de son inaptitude. Toutefois, d'une part, il ressort des précisions, non contestées, de la ville de Paris que l'agent a été placé en congé de maladie au cours de l'année 2020, faisant obstacle à toute possibilité de reprise. Il ne peut donc être reproché à la ville de Paris de n'avoir adressé aucune proposition visant à engager la procédure de reclassement au cours de l'année 2020. La ville de Paris fait ensuite valoir, sans être davantage contredite, qu'au cours d'un entretien téléphonique organisé le 6 mai 2021 dans le cadre de la procédure de reclassement engagée suite à l'amélioration de l'état de santé de M. B..., ce dernier a précisé qu'il ne souhaitait pas s'orienter vers des postes de type administratif, mais vers les métiers de conducteur ou dans le secteur des douanes, et a même demandé à son employeur de prendre en charge le financement de formations afin d'obtenir des permis C et D, nécessaires à son projet de reconversion dans un métier de chauffeur, ce que la ville a refusé. A cet égard, à supposer que, pour refuser d'accéder à cette demande, la hiérarchie de M. B... aurait opposé, à tort, un motif tenant à sa manière de servir, une telle erreur n'entache pas d'illégalité la procédure de reclassement et n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. De même, il ne peut être reproché à la ville d'avoir adressé à M. B... des propositions de formations ne correspondant à son projet de reconversion dès lors que ces formations étaient destinées à permettre un reclassement sur des postes dont la ville pouvait disposer. Le requérant ne soutient pas, par ailleurs, que la ville de Paris aurait été en mesure de lui proposer des postes correspondant à son projet de reconversion dans le secteur des transports. Enfin, M. B... ne conteste pas que son employeur lui a transmis deux fiches correspondant respectivement à un poste d'agent opérationnel chargé du suivi des bonnes pratiques de collecte et à un poste d'agent chargé de l'accueil, de la surveillance et de la sécurité des musées, sans qu'il n'y donne suite. Dès lors, il n'est pas établi que la ville de Paris aurait manqué à son obligation d'engager des démarches permettant le reclassement de M. B... et les éléments dont celui-ci se prévaut, à cet égard, ne sont donc pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

7. M. B... soutient, dans un quatrième temps, que son employeur aurait refusé illégalement de prendre en charge, au cours des années 2020 et 2021, des soins de kinésithérapie en rapport avec son accident de service. Il fait référence à des frais de rééducation exposés postérieurement à la consolidation de son état, datée du 6 janvier 2020, alors qu'il n'en aurait pas été informé. Toutefois, les frais mentionnés dans le courrier produit par l'intéressé, émanant de son organisme de mutuelle et daté du 24 novembre 2022, concernent des soins dispensés au cours de l'année 2022, soit postérieurement à la consolidation de l'état imputable à l'accident de service. Le refus de prise en charge de ces frais, opposé par la ville de Paris, ne peut donc être regardé comme entaché d'illégalité. M. B... évoque par ailleurs la prétendue incohérence d'un tel refus de prise en charge avec l'indication, dans le courrier du 31 janvier 2020 émanant du service compétent de la ville, selon laquelle les soins devaient être pris en charge jusqu'au 30 juillet 2020. Toutefois, M. B... n'établit aucunement que son employeur aurait refusé la prise en charge de soins antérieurs au 30 juillet 2020. Ces faits, non établis, ne sont donc pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

8. Enfin, à supposer qu'il ait été évalué favorablement avant la survenue du premier accident de service en 2016, M. B... n'établit par aucune pièce la prétendue dégradation de ses conditions de travail et l'adoption à son égard de comportements vexatoires de la part de sa hiérarchie. Ces faits, non établis, ne sont donc pas davantage susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

9. Il résulte de ce qui précède que M. B... ne peut être regardé comme soumettant à la cour des éléments de fait qui, même pris dans leur ensemble, sont susceptibles de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. La responsabilité de la ville de Paris ne peut donc être engagée à ce titre.

Sur l'autre faute invoquée :

10. Au regard des motifs énoncés au point 3 du présent arrêt, M. B... n'est pas fondé à soutenir que, faute de lui avoir fourni le matériel recommandé par le service de la médecine du travail, la ville de Paris aurait manqué à son obligation de sécurité concernant la santé de ses employés. La faute ainsi alléguée, non établie, doit être écartée.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais non compris dans les dépens :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la ville de Paris, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. B... la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il convient, en revanche, de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros sollicitée par la ville de Paris sur ce même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à la ville de Paris la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 20 février 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- Mme Milon, présidente assesseure,

- Mme Lellig, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 14 mars 2025.

La rapporteure,

A. MILONLe président,

A. BARTHEZ

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03084


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03084
Date de la décision : 14/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Audrey MILON
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : SELARL BAZIN & ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-14;23pa03084 ?
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