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11/03/2025 | FRANCE | N°24PA03292

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 11 mars 2025, 24PA03292


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 21 février 2024 par lesquels le préfet de l'Aisne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, l'a informé de son signalement aux fins de non admission dans le fichier d'information S

chengen et l'a placé en rétention administrative ainsi que la décision implicite de rejet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 21 février 2024 par lesquels le préfet de l'Aisne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, l'a informé de son signalement aux fins de non admission dans le fichier d'information Schengen et l'a placé en rétention administrative ainsi que la décision implicite de rejet du 24 mai 2023 née du silence gardé par le préfet de la Seine-Saint-Denis sur sa demande de titre de séjour.

Par ordonnance du 5 mars 2024, le premier vice-président du tribunal administratif de Lille a transmis la requête au tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 2403164 du 3 juillet 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 juillet 2024 et 17 janvier 2025, M. C..., représenté par Me Ngounou, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement ;

3°) d'annuler l'arrêté du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi, interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et l'informant de son signalement aux fins de non admission dans le fichier d'information Schengen ;

4°) d'annuler l'arrêté du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne portant placement en rétention administrative ;

5°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

6°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout autre préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ou, à titre infiniment subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;

- elles ont été prises en méconnaissance de son droit à être entendu, principe général du droit de l'Union européenne ;

- elles sont entachées de vices de procédure dès lors que le préfet aurait dû, préalablement à leur édiction, saisir la commission du titre de séjour ainsi que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit compte tenu de la non-application des stipulations de la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994 relative à la circulation et au séjour des personnes et des dispositions des articles L. 435-1 et L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que de l'absence de mentions propres à sa situation personnelle ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle dès lors que, compte tenu de son ancienneté sur le territoire français, de son intégration dans la société française et de son état de santé, il justifie de motifs exceptionnels et de considérations humanitaires permettant son admission exceptionnelle au séjour.

La requête a été communiquée au préfet de l'Aisne et au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'ont pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention entre la République français et la République du Cameroun relative à la circulation et au séjour des personnes du 24 janvier 1994 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba ;

- et les observations de Me Ngounou, avocat de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant camerounais né le 15 janvier 1967, entré en France le 20 août 2012 selon ses déclarations, a été mis en possession le 6 juin 2016 d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 17 avril 2018, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par un jugement du 12 novembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder au réexamen de la situation de M. C.... Par un arrêté du 2 juillet 2019, dont M. C... a contesté vainement la légalité devant le tribunal administratif de Montreuil et la cour administrative d'appel de Versailles, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de renouvellement et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Le 24 janvier 2023, M. C... a sollicité son admission exceptionnelle au séjour auprès des services de la préfecture de la Seine-Saint-Denis. Le 16 juin 2023, les services préfectoraux ont refusé d'enregistrer sa demande en raison du caractère incomplet de son dossier. Le 20 février 2024, M. C... a été interpellé dans le département de l'Aisne, à l'occasion d'un contrôle routier, démuni de tout document justifiant de son droit à circuler ou à séjourner en France. Par un premier arrêté du 21 février 2024, le préfet de l'Aisne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et l'a informé de son signalement aux fins de non admission dans le fichier d'information Schengen. Par un deuxième arrêté du 21 février 2024, le préfet de l'Aisne l'a placé en rétention administrative. M. C... relève appel du jugement du 12 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des deux arrêtés du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne portant obligation de quitter le territoire sans délai, fixation du pays de renvoi, interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen et placement en rétention administrative ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Seine-Saint-Denis sur sa demande de titre de séjour.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., déjà représenté par un avocat, n'a pas déposé de demande d'aide juridictionnelle depuis l'enregistrement de sa requête. Par suite et en l'absence d'urgence, il n'y a pas lieu de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision implicite de rejet de la demande de titre de séjour présentée le 24 janvier 2023 :

4. M. C... fait de nouveau valoir devant la cour que la décision par laquelle le préfet de Seine-Saint-Denis aurait implicitement rejeté sa demande d'admission exceptionnelle au séjour serait insuffisamment motivée, qu'elle aurait été prise en méconnaissance de son droit à être entendu et qu'elle serait entachée de vices de procédure, d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle. Cependant, il ressort des pièces du dossier que sa demande d'admission exceptionnelle au séjour a fait l'objet d'une décision implicite, puis d'une décision expresse de refus d'enregistrement, le 16 juin 2023, en raison du caractère incomplet de son dossier. Le refus d'enregistrer une demande de titre de séjour motif pris du caractère incomplet du dossier ne constitue pas une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque le dossier est effectivement incomplet, ce qui n'est pas contesté en l'espèce. Dans ces conditions, et à les supposer même dirigées contre le refus explicite d'enregistrement de sa demande, les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne l'arrêté de placement en rétention du 21 février 2024 :

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 741-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la contestation d'une décision de placement en rétention relève de la compétence du juge des libertés et de la détention. Dans ces conditions, et alors qu'il ressort au demeurant des pièces du dossier que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a statué par une ordonnance du 24 février 2024 sur la légalité de cet arrêté, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté de placement en rétention du préfet de l'Aisne du 21 février 2024 comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

En ce qui concerne la légalité des décisions du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée (...) ". De même, aux termes de l'article L. 613-2 du même code : " Les décisions relatives au refus et à la fin du délai de départ volontaire prévues aux articles L. 612-2 et L. 612-5 (...) sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. ". Enfin, aux termes de l'article L. 612-12 de ce code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721 3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office ".

7. Les décisions en litige visent la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8 ainsi que les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, elles précisent que M. C..., de nationalité camerounaise, a été interpellé et placé en retenue administrative le 20 février 2024 par les fonctionnaires de police de Soissons, pour la vérification de ses droits au séjour et que l'intéressé est entré en France le 20 août 2012, dépourvu de passeport revêtu de visa. De même, les décisions rappellent que M. C... s'est également soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité et qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. Enfin, les décisions mentionnent que M. C..., qui a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour le 24 janvier 2023, classée sans suite par la préfecture de la Seine-Saint-Denis, est sans ressource légale et sans adresse stable, qu'il se déclare célibataire et sans enfant à charge en France et qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine où vivent ses enfants ainsi que leur mère, de sorte qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée familiale. Dans ces conditions, et alors que le préfet de l'Aisne n'était pas tenu de reprendre l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressé ni de viser les stipulations de la convention entre la République français et la République du Cameroun relative à la circulation et au séjour des personnes du 24 janvier 1994 et les dispositions des articles L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les décisions en litige n'ont pas objet de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour, ces décisions comportent l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de leur insuffisante motivation doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".

9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

10. M. C... soutient qu'il n'a été en mesure de comprendre, lors de son audition par les forces de police dans le cadre de sa retenue administrative, qu'il pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors que, en raison de dépôt d'une demande de titre de séjour, la décision de l'éloigner du territoire français ne pouvait être regardée comme prévisible. Toutefois, d'une part, il n'est pas contesté que l'intéressé a été informé du refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour par les services de la préfecture de la Seine-Saint-Denis le 16 juin 2023 au motif de l'incomplétude de son dossier, de sorte qu'il ne pouvait ignorer le caractère irrégulier de son séjour en France. D'autre part, il ressort du procès-verbal d'audition de l'intéressé le 21 février 2024 par les forces de l'ordre que M. C... a été expressément invité à formuler ses observations en cas de prononcé d'une éventuelle décision d'éloignement prise à son encontre. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le droit de M. C... à être entendu n'aurait pas été respecté doit être écarté.

11. En troisième lieu, M. C... ne peut pas utilement se prévaloir, à l'encontre des décisions en litige, qui n'ont pas pour objet de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour, de ce que la commission du titre de séjour prévu à l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas été consultée.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". L'article R. 611-1 du même code dispose : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ".

13. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.

14. Contrairement à ce que soutient M. C..., il ne ressort pas du procès-verbal d'audition de l'intéressé le 21 février 2024 qu'il aurait fait part aux forces de l'ordre de l'aggravation de son état de santé, l'intéressé ayant uniquement indiqué, lorsqu'il a été invité à porter à la connaissance de l'administration des éléments relatifs à un éventuel état de vulnérabilité ou un handicap, qu'il était épileptique. Dans ces conditions, M. C... ne peut être regardé comme ayant porté à la connaissance du préfet des éléments d'information suffisamment précis et circonstanciés qui auraient dû conduire cette autorité à solliciter l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions en litige seraient entachées d'un vice de procédure, faute de saisine préalable du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, doit être écarté.

15. En cinquième lieu, les décisions en litige n'ayant pas pour objet de refuser à l'intéressé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des stipulations de la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994 et des dispositions des articles L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la circonstance qu'elles ne mentionnent pas ces dispositions n'est pas de nature à révéler une erreur de droit ou, à supposer que l'intéressé ait entendu soulever un tel moyen, un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle.

16. En sixième lieu, les pièces produites au dossier de l'instance, alors même qu'elles ne couvrent pas l'ensemble des mois pour la période de août 2012 à janvier 2024, forment, eu égard à leur nombre et à leur force probante, un ensemble cohérent de nature à établir le caractère habituel de la présence de M. C... en France depuis août 2012, soit depuis plus de onze années à la date des décisions en litige, dont une année en situation régulière, sous couvert d'un titre de séjour pour raisons de santé valable du 6 juin 2016 au 5 juin 2017. Toutefois si l'intéressé justifie avoir exercé une activité professionnelle sous contrat à durée indéterminée en qualité de déménageur du 1er juillet 2016 au 14 août 2017, puis, après avoir obtenu le 10 avril 2018 son diplôme d'agent de prévention et de sécurité, avoir effectué de nombreuses missions temporaires de janvier 2019 à juin 2020 en qualité d'agent de sécurité sur le site du Sacré-Cœur, ces expériences professionnelles restent relativement anciennes à la date des décisions en litige. Par ailleurs, si l'entreprise qui l'a employé en qualité d'agent de sécurité a déposé, le 18 février 2023, une demande d'autorisation de travail à son profit pour un emploi d'agent d'exploitation, il n'est pas contesté qu'à la date des décisions contestées, le recrutement n'a pas été effectué. En outre, si M. C... se prévaut d'une relation en concubinage avec une ressortissante française depuis 2016, la seule production d'une attestation établie par Mme A..., qui déclare être sa concubine depuis la date alléguée et que le couple est dans l'attente de son jugement de divorce pour pouvoir se marier, n'est pas suffisante pour établir, à elle seule, la réalité de cette allégation alors qu'il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'intéressé a déclaré tant aux forces de l'ordre lors de son audition de retenue administrative le 20 février 2024 qu'à l'occasion de sa demande de titre de séjour auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis le 23 janvier 2023 qu'il était célibataire et sans charge de famille en France. Enfin, s'il ressort des pièces médicales versées au dossier que l'intéressé souffre d'épilepsie depuis l'âge de dix ans, d'épisodes dépressifs sévères sans symptôme ainsi que d'un état de stress post-traumatique et que son état de santé nécessite une prise en charge psychiatrique et neurologique ainsi que la prise quotidienne d'un traitement anticonvulsivant à base de Lamictal, de Dépakine chrono et d'Amlodipine, la seule production de certificats médicaux qui ne se prononcent pas sur l'indisponibilité de son traitement au Cameroun, d'une attestation du 28 décembre 2018 d'un pharmacien de Douala (Cameroun) faisant état de difficultés d'approvisionnement en Dépakine en dehors des grandes villes de Douala et Yaoundé, d'une thèse soutenue en octobre 2018 sur la place et la qualité des antiépileptiques en Afrique subsaharienne, de documents généraux et anciens relatifs à la prise en charge de l'épilepsie au Cameroun, d'extraits de décisions juridictionnelles se prononçant sur le traitement des malades atteints de troubles psychiatriques au Maroc, au Sénégal ou en Tchétchénie, ainsi que de deux certificats médicaux établis par un médecin généraliste les 5 avril et 17 septembre 2024, postérieurs aux décisions contestées mais se référant à un état de fait antérieur, indiquant que son suivi médical " semble difficile à obtenir " et qu'il existe " un risque vital engagé en cas d'interruption du traitement médicamenteux ", n'est pas suffisante pour établir qu'il ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine, ni, en l'absence de production d'éléments relatifs à sa situation financière ainsi qu'aux possibilités de prise en charge des frais de santé par les autorités de santé camerounaises, qu'il ne pourrait y accéder en raison de son coût. Dans ces conditions, quand bien même l'intéressé justifie à la date des décisions d'une ancienneté de plus de onze années sur le territoire français ainsi que d'un engagement auprès d'une association d'aide aux sans-abris en région parisienne et aux populations démunies du village Batchingou au Cameroun, eu égard aux conditions de son séjour en France et à la nature de ses liens dans la société française, compte tenu de la circonstance qu'il n'est pas établi qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un suivi médical approprié à son état de santé dans son pays d'origine, où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de quarante-six ans et où résident ses trois enfants mineurs ainsi que leur mère, et alors qu'il ne conteste pas s'être soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement prononcée à son encontre le 2 juillet 2019, le préfet de l'Aisne, en décidant d'obliger M. C... à quitter le territoire français sans délai et en fixant le Cameroun comme pays de destination, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle du requérant.

En ce qui concerne la légalité de la décision du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :

17. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ". Et aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

18. S'il n'est pas contesté que l'intéressé s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, toutefois, compte tenu de la présence ancienne de M. C... sur le territoire français, de la volonté d'intégration dont il a fait preuve, tant par son engagement associatif que par ses expériences professionnelles passées, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que son comportement serait constitutif d'une menace pour l'ordre public, en prononçant à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, le préfet de l'Aisne a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

19. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français, que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Le jugement attaqué doit être donc être annulé dans cette mesure.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

20. L'annulation de la décision du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne prononçant à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, prononcée par le présent arrêt, n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour ni le réexamen de sa situation, mais seulement l'effacement de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de l'Aisne, ou tout autre préfet territorialement compétent, de faire procéder à cet effacement dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

21. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel.

22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. C... demande sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : M. C... n'est pas admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La décision du 21 février 2024 du préfet de l'Aisne prononçant à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans est annulée.

Article 3 : Le jugement n° 2403164 du 3 juillet 2024 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de l'Aisne, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de faire procéder à l'effacement du signalement de M. C... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... au préfet de l'Aisne et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Soissons.

Délibéré après l'audience du 3 février 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2025.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24PA03292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA03292
Date de la décision : 11/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : NGOUNOU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-11;24pa03292 ?
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