Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... Lestal B'Chir a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 27 mars 2020 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de révocation de ses fonctions de conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation.
Par un jugement n° 2006071 du 30 novembre 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2023, Mme Lestal B'Chir, représentée par
Me Belaghlem, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de la réintégrer dans ses fonctions de conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation et de réexaminer sa situation, " y compris d'un point de vue disciplinaire " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 750 euros TTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la sanction de révocation est disproportionnée ;
- le grief tenant à la mise en danger de la sécurité de l'établissement n'est pas fondé ;
- il existe une différence de traitement entre son cas et celui d'une autre conseillère d'insertion et de probation, condamnée par la juridiction judiciaire à une peine plus lourde qu'elle et qui n'a fait l'objet que d'une sanction d'exclusion temporaire de six mois ;
- le ministre n'a pas pris en compte sa situation personnelle difficile, sa repentance à l'égard des faits commis ainsi que ses très bons états de service.
Par un mémoire, enregistré le 17 mai 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, la requête est irrecevable en ce qu'elle est dépourvue de moyens d'appel et ne contient aucune conclusion dirigée contre le jugement précité du
tribunal administratif de Melun ;
- à titre subsidiaire, les moyens de la requête ne sont pas fondés, par renvoi à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 20 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
12 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Lestal B'Chir, conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation affectée au centre pénitentiaire sud-francilien depuis 2015, a fait l'objet d'une mesure de révocation par arrêté de la garde des sceaux, ministre de la justice du 27 mars 2020, pris après avis du conseil de discipline du 6 mars 2020. Elle relève appel du jugement du 30 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. D'une part, en vertu de l'article 11 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, désormais codifié aux articles L. 113-1 et L. 120-1 du code pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire comprend des personnels de direction, des personnels de surveillance, des personnels d'insertion et de probation et des personnels administratifs et techniques. / Un code de déontologie du service public pénitentiaire, établi par décret en Conseil d'Etat, fixe les règles que doivent respecter ces agents (...) ". Selon l'article 13 de la même loi, désormais codifié à l'article L. 113-5 du code pénitentiaire : " Les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation sont chargés de préparer et d'exécuter les décisions de l'autorité judiciaire relatives à l'insertion et à la probation des personnes placées sous main de justice, prévenues ou condamnées. / A cette fin, ils mettent en œuvre les politiques d'insertion et de prévention de la récidive, assurent le suivi ou le contrôle des personnes placées sous main de justice et préparent la sortie des personnes détenues (...) ".
3. En application de ces dispositions, l'article 7 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, désormais codifié à l'article R. 122-1 du code pénitentiaire, dispose que : " Le personnel de l'administration pénitentiaire est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre, impartial et probe. Il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance ". En vertu de l'article 9 du même décret, aujourd'hui codifié à l'article
R. 122-3 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire doit s'abstenir de tout acte, de tout propos ou de tout écrit qui serait de nature à porter atteinte à la sécurité et au bon ordre des établissements et services et doit remplir ses fonctions dans des conditions telles que celles-ci ne puissent préjudicier à la bonne exécution des missions dévolues au service public pénitentiaire ". Selon l'article 10 de ce décret, repris à l'article R. 122-4 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire est astreint au devoir de réserve et au respect de la discrétion et du secret professionnels, dans les conditions prévues par les lois et règlements ". Selon l'article 19 dudit décret, repris à l'article R. 122-14 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire ne peut (...) se charger d'aucun message et d'aucune mission, acheter ou vendre aucun produit ou service pour le compte des personnes qui lui sont confiées. / Il ne peut leur remettre ni recevoir d'elles des sommes d'argent, objets ou substances quelconques en dehors des cas prévus par la loi. / Il ne doit permettre ni faciliter aucune communication non autorisée par les textes entre personnes détenues ou entre les personnes détenues et l'extérieur. (...) ". Selon l'article 20 du décret du 30 décembre 2010 précité, aujourd'hui codifié à l'article R. 122-15 du code pénitentiaire : " I. - Le personnel de l'administration pénitentiaire ne peut entretenir sciemment avec des personnes placées par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont il relève, ainsi qu'avec les membres de leur famille ou leurs amis, de relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités du service. (...) ". Enfin, selon l'article 6 de ce décret, désormais codifié à l'article R. 121-3 du code pénitentiaire : " Tout manquement aux devoirs définis par le (...) code [de déontologie du service public pénitentiaire] expose son auteur à une sanction disciplinaire ou au retrait, dans les conditions fixées par le code de procédure pénale, du titre en vertu duquel il intervient au sein des services de l'administration pénitentiaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable à la date de la décision en litige, désormais codifié à l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". En outre, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors applicable, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 533-1 du code général de la fonction publique : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : (...) / Deuxième groupe : (...) / Troisième groupe : la rétrogradation ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans / Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation (...) ".
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. Pour prononcer à l'encontre de Mme Lestal B'Chir la sanction de révocation,
la garde des sceaux, ministre de la justice s'est fondée sur des faits de communication illicite avec une personne détenue en sa qualité d'agent de la surveillance ou habilité au contact de personnes détenues, de remise irrégulière d'objets à une personne détenue en cette même qualité et de violation du secret professionnel, pour lesquels l'intéressée a été condamnée à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis par jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Melun du 9 décembre 2019.
7. En premier lieu, s'agissant des faits de remise irrégulière d'objets à une personne détenue, la requérante ne les conteste pas mais fait valoir que la remise d'un short à un détenu, qui était " détenu auxiliaire sport ", elle-même étant référente sport au centre pénitentiaire, doit être appréciée en considération de son implication, comme celle du détenu concerné, dans les activités sportives du centre pénitentiaire. Elle invoque en outre l'absence de dangerosité de cet objet. Toutefois, ces différentes circonstances sont sans incidence sur le caractère illicite de la remise de cet objet, en dehors des cas prévus par la loi, qui constitue un délit pénal. Par suite, ce manquement constitue une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.
8. En second lieu, s'agissant des faits de communication illicite avec une personne détenue, Mme Lestal B'Chir ne les conteste pas davantage mais soutient que la sanction de révocation est disproportionnée à leur égard, beaucoup de personnels chargés de la surveillance des détenus commettant le même type de faits n'étant pas, selon elle, sanctionnés aussi sévèrement. Toutefois, d'une part, il ressort de la décision attaquée que la sanction de révocation a été prise au regard de l'ensemble des manquements commis par l'intéressée et non pour les seuls faits de communication illicite avec une personne détenue dont il ne ressort en effet pas des pièces du dossier qu'ils auraient justifiés, à eux seuls, la sanction de révocation. D'autre part, la requérante, qui doit être regardée comme invoquant une rupture d'égalité de traitement, ne peut utilement se prévaloir de ce que d'autres personnels auraient été moins sévèrement sanctionnés pour des faits semblables, dès lors qu'elle n'établit pas que ces personnels se seraient trouvés, à supposer même établie cette sévérité moindre, dans la même situation qu'elle. Quant à la circonstance, à la supposer établie, que Mme Lestal B'Chir aurait indiqué à l'autorité administrative accepter d'être mutée sur un poste en milieu ouvert comme celui de référent du travail d'intérêt général (TIG), ne la mettant plus en contact direct avec des personnes placées sous main de justice, " le temps de faire ses preuves et de pouvoir regagner la confiance de son administration ", elle est également sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
9. En troisième lieu, Mme Lestal B'Chir doit être regardée comme soutenant que les faits de violation du secret professionnel qui lui sont reprochés ne sont pas établis dès lors qu'elle ne les a pas reconnus, n'ayant donné, selon elle, aucune information secrète au détenu et ce dernier étant parfaitement informé qu'il risquait une fouille de sa cellule du fait qu'il n'utilisait pas la cabine téléphonique. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment des énonciations du jugement correctionnel mentionné au point 6, que la requérante, qui ne conteste pas avoir entretenu depuis le mois de mai 2019 une relation avec un détenu, en méconnaissance de l'article 20 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, a envoyé à ce dernier, entre le 19 et le 20 septembre 2019, le message suivant : " J'espère que tu fais de beaux rêves. Je sais plus de quelle heure tu es au gymnase que j'essaye de passer au moment où tu y vas ou au moment où tu finis stp. Et au fait y'a eu ta cpu (commission pluridisciplinaire unique) suivi et ils ont révélé ton compte de téléphone inactif donc fais attention qu'ils ne prévoient pas une fouille bientôt ". Il résulte de ce message que Mme Lestal B'Chir a révélé au détenu l'information selon laquelle la commission pluridisciplinaire unique avait mis en lumière l'absence d'utilisation de son compte téléphonique, afin de le prévenir de la probabilité d'une fouille prochaine de sa cellule. Cette information, alors même que le détenu ne pouvait ignorer que le défaut d'utilisation de ce compte l'exposait particulièrement à une fouille, constitue, contrairement à ce que soutient la requérante, une violation du secret professionnel.
10. En quatrième lieu, Mme Lestal B'Chir invoque une rupture du principe d'égalité en ce qu'une autre conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation, qui aurait été, selon elle, condamnée à une peine d'emprisonnement de six mois assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve, soit une peine plus sévère que la sienne, " pour avoir détourné des milliers d'euros avec une personne qu'elle suivait ", se serait vu infliger une sanction moins sévère que la sienne, à savoir une exclusion temporaire de six mois. Toutefois, à supposer même cette dernière circonstance établie, Mme Lestal B'Chir n'est pas fondée à invoquer une disproportion dans la différence de traitement au regard d'une personne, fût-elle également conseillère d'insertion et de probation, dont elle n'établit pas qu'elle se serait trouvée dans la même situation qu'elle.
11. Enfin, pour soutenir que la sanction de révocation prononcée par la garde des sceaux à son égard est disproportionnée aux faits en cause, Mme Lestal B'Chir invoque le profil carcéral du détenu, qui ne serait ni un détenu radicalisé ni un détenu particulièrement dangereux, l'absence d'atteinte à la sécurité de l'établissement, ainsi qu'en atteste l'absence de transfèrement de ce détenu vers un autre établissement, modalité qui serait pourtant, selon elle, d'usage en cas de découverte de communications non autorisées entre un agent et un détenu, l'absence de prise en compte des éléments tenant à sa situation personnelle, pourtant mis en avant par la garde des sceaux elle-même dans l'arrêté attaqué, ainsi que ses "très bons états de service et un passif disciplinaire vierge". Elle invoque également les conséquences de la sanction sur son avenir professionnel, s'étant vu notamment refuser la nomination en tant que stagiaire du corps des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse dont elle déclare avoir réussi le concours d'entrée externe, du fait de sa révocation. Toutefois, les obligations déontologiques de loyauté, d'intégrité, d'impartialité, de dignité et de probité " en toute circonstance " assignées par le code de déontologie du service public pénitentiaire au personnel de l'administration pénitentiaire tout comme l'interdiction pour ce dernier d'entretenir avec les personnes détenues des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités du service répond à des impératifs tenant à la préservation de la sécurité à l'intérieur de l'établissement, à l'égalité de traitement entre les personnes détenues, ainsi qu'à la nécessité de protéger les droits et libertés de la personne détenue, placée, lorsqu'elle est en détention, dans une situation de vulnérabilité
vis-à-vis des personnes concourant au service public pénitentiaire. Par suite, eu égard, d'une part, à ces exigences déontologiques qui incombent en toutes circonstances au personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, et, d'autre part, à la particulière gravité des manquements reprochés à la requérante commis dans le cadre de relations avec un détenu qui n'étaient pas justifiées par les nécessités du service, la sanction de révocation n'est pas entachée de disproportion.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que Mme Lestal B'Chir n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ainsi qu'au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme Lestal B'Chir est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Lestal B'Chir et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 février 2025.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
M. DOUMERGUELa greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00425