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06/02/2025 | FRANCE | N°24PA00475

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 06 février 2025, 24PA00475


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





L'association des commerçants accueillants a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021 du conseil de Paris portant règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.



Par un jugement n° 2210841 du 30 novembre 2023,

le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :





Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association des commerçants accueillants a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021 du conseil de Paris portant règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 2210841 du 30 novembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 janvier 2024 et des mémoires enregistrés les 9 juillet, 6 août, 11 octobre et 12 novembre 2024, l'association des commerçants accueillants, représentée par Me Bineteau (SELARL Horus avocats), demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 novembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la délibération du conseil de Paris du 15 décembre 2021 ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise ayant pour objet d'étudier les effets de la transformation des locaux commerciaux en hébergements hôteliers sur les conditions d'accès à l'offre de commerce de proximité et du quotidien dans les secteurs concernés à Paris, et de se prononcer sur le caractère significatif ou non significatif de ces transformations en la matière ;

4°) de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande est recevable, dès lors que son intérêt à agir n'est pas contestable, eu égard à son objet social ;

- la délibération a été adoptée en méconnaissance de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales dès lors que les membres du conseil de Paris ont été irrégulièrement convoqués et n'ont pas été rendus destinataires d'une note de synthèse ;

- elle méconnaît l'article R. 324-1-5 du code du tourisme dès lors qu'elle interdit totalement la location de meublés de tourisme sur les linéaires commerciaux et artisanaux faisant l'objet d'une protection au plan local d'urbanisme ;

- elle méconnaît ces mêmes dispositions dès lors que les critères qu'elle prévoit sont dépourvus de tout élément permettant de connaître les modalités de leur appréciation, en contrariété avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est illégale en tant qu'elle ne prévoit pas de régime transitoire à sa mise en œuvre et qu'elle méconnaît ainsi le principe de sécurité juridique ;

- elle est incompatible avec les orientations du schéma régional de développement du tourisme et des loisirs 2017-2021 relatives au tourisme et méconnaît en outre la répartition des compétences en matière de tourisme entre les communes et les régions, telles qu'elles résultent des articles L. 131-1 et L. 133-1 du code du tourisme.

Par des mémoires en défense enregistré les 11 juillet, 27 septembre et 30 octobre 2024, la Ville de Paris, représentée par la société civile professionnelle d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'association requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'incompatibilité du règlement avec le " schéma régional de développement du tourisme et des loisirs 2017-2021 " est inopérant ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires distincts, enregistrés les 6 août, 11 octobre et 6 novembre 2024, l'association des commerçants accueillants demande à la Cour de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme issues de l'article 55 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique

Elle soutient que :

- ces dispositions ont été adoptées en méconnaissance du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution et du principe de sécurité juridique, méconnaissent le droit de propriété et la liberté d'entreprendre et sont entachées sur ce point d'incompétence négative ;

- elles sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 septembre et 29 octobre 2024, la Ville de Paris conclut au rejet de la question prioritaire de constitutionnalité.

Elle soutient que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 45 de la Constitution est inopérant et que les dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme ne méconnaissent aucun droit que la Constitution garantit.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du tourisme ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ;

- le décret n° 2021-757 du 11 juin 2021 relatif à la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,

- et les observations de Me Froger, avocat de la Ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021, le conseil de Paris a adopté le règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme en application de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme. L'association des commerçants accueillants relève appel du jugement du 30 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette délibération et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Elle présente au soutien de ses conclusions d'appel une question prioritaire de constitutionnalité

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". L'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose, dans le premier alinéa de son article 23-1, que : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Selon son article 23-2 : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure (...) ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3. La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ".

3. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans leur rédaction issue du III (1°) de l'article 55 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, aux termes desquelles : " Sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement prévue au III, une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. / Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local. / Lorsque la demande porte sur des locaux soumis à autorisation préalable au titre d'un changement de destination relevant du code de l'urbanisme, l'autorisation prévue au premier alinéa tient lieu de l'autorisation précitée dès lors que les conditions prévues par le code de l'urbanisme sont respectées. / Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application du présent IV bis ". Ces dispositions sont applicables à la Ville de Paris en application du deuxième alinéa de l'article L. 2512-1 du code général des collectivités territoriales, en vertu duquel cette collectivité exerce de plein droit sur son territoire les compétences attribuées par la loi à la commune et au département.

4. L'association requérante soutient que ces dispositions, d'une part, méconnaissent l'article 45 de la Constitution et le principe de sécurité juridique et, d'autre part, portent atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre et sont entachées d'incompétences négative.

5. En premier lieu, le grief tiré de la méconnaissance de la procédure d'adoption d'une loi ne peut être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, le grief tiré de ce que le Parlement aurait adopté la disposition critiquée en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution et du principe de sécurité juridique, au motif qu'elle est issue d'un amendement dont la teneur serait sans lien avec le texte initial de la proposition de loi dans laquelle il a été inséré, est inopérant et ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi détermine les principes fondamentaux (...) du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales (...) ". La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

7. En outre, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

8. Il résulte des dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme qu'en permettant aux communes mettant en œuvre la procédure d'enregistrement des meublés de tourisme de soumettre à autorisation la mise en location en meublés de tourisme des locaux à usage commercial et en prévoyant que cette autorisation est délivrée par le maire au regard des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, le législateur a entendu permettre aux communes marquées par d'importantes tensions sur le marché immobilier de lutter contre la pénurie de locaux commerciaux ainsi que de prévenir les atteintes à l'environnement urbain qui pourraient résulter d'une concentration excessive de locations touristiques dans certains quartiers, notamment au regard de la diversité et de la physionomie des commerces et de la qualité de vie des habitants. En permettant au maire d'instituer un tel régime d'autorisation, après délibération du conseil municipal, et en prévoyant que l'autorisation en cause est délivrée, à l'issue d'un examen au cas par cas de chaque demande et sous le contrôle du juge administratif, en considération de ces objectifs, qui ne sont ni imprécis, ni équivoques, le législateur n'a pas entaché les dispositions litigieuses d'incompétence négative. Par suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu sa propre compétence dans des conditions portant atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre est dépourvu de caractère sérieux.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ". L'article 17 de la même Déclaration dispose : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". En l'absence de privation du droit de propriété, droit naturel et imprescriptible selon l'article 2 de la Déclaration de 1789, les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux de la propriété et des droits réels, de définir les modalités selon lesquelles les droits des propriétaires doivent être conciliés avec les limites apportées à leur exercice.

10. L'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen dispose que : " La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ". Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

11. Il résulte de ce qui précède au point 8 qu'en adoptant les dispositions litigieuses, le législateur a entendu poursuivre un objectif d'intérêt général. En créant un régime d'autorisation de la mise en location d'un local à usage commercial en meublé de tourisme, dont la mise en œuvre est facultative et réservée aux communes mettant en œuvre la procédure d'enregistrement des meublés de tourisme, et en prévoyant que l'autorisation est délivrée par le maire après examen de chaque demande au regard des objectifs précités, ces dispositions, qui ont entendu répondre aux conséquences pouvant résulter de telles mises en location sur la disponibilité de locaux à usage commercial et sur l'environnement urbain, n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit et à la liberté invoqués par l'association requérante, au regard de l'objectif poursuivi. Par suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre est dépourvu de caractère sérieux.

Sur la légalité externe de la délibération critiquée :

12. Aux termes de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, applicable à la Ville de Paris en vertu de l'article L. 2512-2 du même code : " (...) une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. (...) Le délai de convocation est fixé à cinq jours francs. En cas d'urgence, le délai peut être abrégé par le maire sans pouvoir être toutefois inférieur à un jour franc. (...) ". L'article L. 2121-10 du même code dispose en outre que : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est transmise de manière dématérialisée ou, si les conseillers municipaux en font la demande, adressée par écrit à leur domicile ou à une autre adresse ".

13. Le défaut d'envoi, avec la convocation aux réunions du conseil de Paris, de la note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour prévue à l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n'ait fait parvenir aux membres du conseil, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.

14. Il ressort des pièces du dossier que les conseillers de Paris ont été destinataires le 30 novembre 2021, par l'intermédiaire d'une application informatique dédiée dénommée " outil de dématérialisation de la séance ", de la convocation à la séance ainsi que des documents relatifs à la délibération 2021 DLH 460, soit un exposé des motifs, un projet de délibération et un projet de règlement à adopter, qui avaient préalablement été mis à la disposition des élus, par cette même application, le 22 novembre. Si la Ville de Paris n'établit pas que les membres du conseil de Paris ont accusé réception de ces envois, l'association requérante n'apporte à l'appui de son moyen aucun élément qui permettrait de douter de leur réalité. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales doit, dans ces conditions, être écarté.

Sur la légalité interne de la délibération contestée :

15. Aux termes du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans sa rédaction issue de la loi du 27 décembre 2019 : " Sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement prévue au III, une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. / Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local. (...) ". L'article R. 324-1-5 du même code dispose que : " La délibération mentionnée au premier alinéa du IV bis de l'article L. 324-1-1 précise, sur le fondement d'une analyse de la situation particulière de la commune : / 1° Les principes de mise en œuvre des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ; / 2° Les critères utilisés pour délivrer l'autorisation prévue au même alinéa. Ces critères peuvent être mis en œuvre de manière différenciée sur le territoire de la commune, en fonction de la situation particulière de certains quartiers ou zones ".

16. L'article 1er de la délibération litigieuse dispose, au titre du " Champ d'application de l'autorisation ", que : " La location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme est soumise à autorisation préalable délivrée par la Maire de Paris. / Conformément aux dispositions du code du tourisme, jusqu'à l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Plan Local d'Urbanisme dont la révision a été prescrite par la délibération 2020 DU 104 des 15, 16 et 17 décembre 2020, les locaux à usage commercial s'entendent des locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce, l'hébergement hôtelier ou l'artisanat au sens de l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure au décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015. / (...).". Son article 2 dispose, au titre des " Conditions de délivrance de l'autorisation ", que : " La location d'un local tel que défini à l'article 1er en tant que meublé de tourisme est autorisée dans les conditions suivantes : / - le local ne doit pas être situé sur un linéaire commercial et artisanal faisant l'objet d'une protection au Plan Local d'Urbanisme ; / - la transformation du local ne doit pas contribuer à rompre l'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, au regard : / a/ de la densité de meublés touristiques, appréciée au vu notamment : / • du nombre de numéros d'enregistrement délivrés sur le fondement du III de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme par rapport au nombre de résidences principales ; / • du nombre de demandes d'autorisations d'urbanisme de changement de destination de commerce en hébergement hôtelier au cours des cinq dernières années. / b/ de la densité et de la diversité de l'offre commerciale du secteur appréciées au vu notamment : / • de la présence d'une zone de redynamisation commerciale ; / • de la densité commerciale par types de commerces sur le secteur. / c/ de la densité de l'offre hôtelière existante. / - La location ne doit pas entraîner de nuisances pour l'environnement urbain, appréciées notamment au vu / a/ des caractéristiques envisagées du meublé de tourisme : surface, nombre de pièces, nombre maximum de personnes accueillies et moyens d'accès ; lorsque le local fait partie d'un immeuble comportant plusieurs locaux, l'absence de nuisance sera également appréciée selon la consistance de cet immeuble et de la localisation du meublé au sein de celui-ci. / b/ de la bonne insertion dans le tissu urbain, appréciée notamment au vu des caractéristiques du quartier ".

En ce qui concerne l'erreur manifeste d'appréciation :

17. Il ressort de l'exposé des motifs de la délibération contestée que la Ville de Paris a entendu réagir aux incidences négatives de la transformation d'un nombre élevé de commerces en meublés de tourisme sur l'environnement urbain et sur l'offre de commerces pour la population permanente, qui l'affectent particulièrement, en instaurant, dans le cadre des dispositions législatives l'y habilitant, une réglementation subordonnant à autorisation la location d'un local à usage commercial en meublé touristique. En adoptant cette réglementation, au vu d'éléments d'information nombreux, comprenant des études extérieures à ses services, dont il n'apparaît pas qu'ils seraient fondés sur des faits matériellement inexacts ou sérieusement critiquables du fait d'un prétendu défaut d'impartialité de leurs auteurs, le conseil de Paris n'a pas entaché d'erreur manifeste l'appréciation qu'il a portée sur l'opportunité d'édicter la réglementation litigieuse.

En ce qui concerne l'interdiction applicable aux linéaires commerciaux et artisanaux :

18. L'interdiction de la location, en meublés de tourisme, des locaux à usage commercial situés sur les linéaires commerciaux et artisanaux le long desquels l'article UG.2.2.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris alors en vigueur proscrit les changements de destination, qui, s'appliquant aux locaux à rez-de-chaussée situés en bordure des voies, n'a pas par elle-même pour effet d'interdire toute possibilité d'installer des meublés de tourisme dans de larges secteurs et répond à l'objectif d'intérêt général de protection de la commercialité de certains quartiers et artères où celle-ci est menacée, constitue une mise en œuvre différenciée en fonction de la situation particulière de certains quartiers ou zones au sens de l'article R. 324-1-5 du code du tourisme et n'est pas disproportionnée. Le moyen tiré de ce que la délibération litigieuse aurait instauré une interdiction générale et absolue et ainsi méconnu les dispositions de cet article R. 324-1-5 doit donc être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les critères retenus par la délibération sont insuffisamment précis :

19. La réglementation litigieuse entrant dans le champ d'application de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, le pouvoir d'appréciation des autorités compétentes doit être encadré par des critères clairs, non ambigus, objectifs, rendus publics à l'avance, transparents et accessibles, de sorte que leur compréhension ne laisse pas place au doute quant au champ d'application des conditions et des obligations ainsi arrêtées et qu'elles ne puissent pas faire l'objet d'une application arbitraire.

20. En l'espèce, en premier lieu, les dispositions de la délibération litigieuse mentionnées au point 16 visent à éviter la rupture de " l'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ", sans préciser, contrairement aux prévisions de l'article R. 324-1-5 du code du tourisme, " les principes de mise en œuvre " de cet objectif et ainsi caractériser l'équilibre à préserver. Dans ces conditions, les critères qu'elles retiennent à ce titre, qui sont destinés à apprécier la densité de meublés touristiques, celle de l'offre commerciale et celle de l'offre hôtelière mais ne sont assortis, notamment, d'aucune quantification absolue ou relative pour guider l'instruction et la délivrance des autorisations sollicités par les bailleurs, ne répondent pas à l'exigence de précision nécessaire pour écarter le risque d'une application arbitraire. Par suite, l'association requérante est fondée à soutenir qu'elles sont entachées d'illégalité.

21. En second lieu, la délibération prévoit que la location ne doit pas entraîner de nuisances pour l'environnement urbain, en énumérant les éléments dont doivent tenir compte les décisions de l'administration. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, les critères ainsi prévus, qui n'appellent pas de définition particulière et permettent un contrôle effectif du juge de l'excès de pouvoir, sont suffisamment précis au regard des dispositions législatives et réglementaires citées au point 15 et des exigences découlant de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil. Le moyen doit donc être écarté sur ce point.

En ce qui concerne la méconnaissance de la répartition des compétences en matière de tourisme entre les collectivités territoriales et l'incompatibilité de la décision litigieuse avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs 2017-2021 de l'Ile-de-France :

22. Aux termes de l'article L. 131-1 du code de tourisme : " Dans le cadre de ses compétences en matière de planification, la région définit les objectifs à moyen terme du développement touristique régional. / Le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs prévu à l'article L. 131-7 fixe les modalités et les conditions de mise en œuvre des objectifs ainsi définis par le plan régional, notamment en matière de financement. / Des conventions entre les collectivités territoriales concernées définissent, d'une part, les actions contribuant à l'exécution des objectifs fixés par le plan régional et, d'autre part, les modalités de mise en œuvre du schéma mentionné à l'alinéa précédent ". L'article L. 131-7 du même code dispose que : " À la demande du conseil régional, le comité régional du tourisme élabore le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs qui est ensuite soumis à l'approbation du conseil régional, après consultation du comité économique et social régional ainsi que des comités départementaux du tourisme et organismes assimilés ". Enfin, aux termes de l'article L. 133-1 de ce code : " Une commune peut, par délibération du conseil municipal, instituer un organisme chargé de la promotion du tourisme, dénommé office de tourisme, dans les conditions prévues aux articles L. 133-2 à L. 133-10 du présent code. (...) ".

23. En premier lieu, par les dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme issues de la loi du 27 décembre 2019, le législateur a donné compétence aux communes mettant en œuvre la procédure d'enregistrement des meublés de tourisme pour soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir qu'en adoptant la délibération litigieuse sur le fondement de ces dispositions, la Ville de Paris aurait méconnu la répartition des compétences entre collectivités territoriales en matière de tourisme telle qu'elle résulte des dispositions, antérieures à la loi du 27 décembre 2019, des articles L. 131-1 et L. 133-1 du même code.

24. En second lieu, aucune disposition législative n'impose que les mesures édictées par la Ville de Paris en vertu de la compétence qui lui est attribuée par le IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme soient compatibles avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs prévu par les dispositions des articles L. 131-1 et L. 131-7 du même code citées ci-dessus. Par suite et en tout état de cause, l'association requérante ne peut utilement soutenir que la délibération qu'elle attaque serait incompatible avec les orientations du schéma régional de développement du tourisme et des loisirs d'Ile-de-France 2017-2021.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe de sécurité juridique :

25. Aux termes de l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration : " L'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d'édicter des mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. (...) ". Aux termes de l'article L. 221-6 du même code : " Les mesures transitoires mentionnées à l'article L. 221-5 peuvent consister à : / 1° Prévoir une date d'entrée en vigueur différée des règles édictées ; / 2° Préciser, pour les situations en cours, les conditions d'application de la nouvelle réglementation ; / 3° Énoncer des règles particulières pour régir la transition entre l'ancienne et la nouvelle réglementation ". Ainsi que le rappellent ces dispositions, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il en va ainsi en particulier lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

26. La délibération litigieuse a été adoptée par le Conseil de Paris lors de sa séances du 15 décembre 2021, sur le fondement d'une disposition législative promulguée le 27 décembre 2019 et entrée en vigueur, par l'effet de l'article 3 du décret n° 2021-757 du 11 juin 2021 pris pour son application, le 1er juillet 2021. Elle ne prévoit pas de date différant son entrée en vigueur, laquelle, en vertu des dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux actes des communes, est intervenue, après sa transmission au représentant de l'État au titre du contrôle de légalité, avec son affichage à l'hôtel de Ville à compter du 7 janvier 2022.

27. L'entrée en vigueur immédiate de la délibération attaquée a ainsi eu pour effet de soumettre l'activité de location en tant que meublé de tourisme des locaux commerciaux qui en sont l'objet à un nouveau régime d'autorisation préalable, assorti d'une amende civile, sans prévoir le délai indispensable au dépôt des demandes, à leur instruction et à la délivrance des autorisations nécessaires à sa mise en œuvre, délai qui, dans les circonstances de l'espèce, ne pouvait être inférieur à trois mois. Alors, d'une part, que la possibilité de louer un bien est une composante de la libre disposition de celui-ci et, par suite, du droit constitutionnel de propriété et que, d'autre part, la location de biens meublés à usage touristique est opérée sur réservation, l'absence de dispositions transitoires différant la date d'entrée en vigueur du nouveau régime d'autorisation préalable, rendant illégale toute poursuite d'une location entrant dans le champ de la délibération dans l'attente de l'autorisation requise, a porté une atteinte excessive aux intérêts des acteurs économiques en cause. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation de la délibération litigieuse en tant qu'elle ne comporte pas de telles dispositions.

28. Il résulte de tout ce qui précède que l'association des commerçants accueillants est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021 du conseil de Paris portant règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme en tant qu'elle est dirigée contre les troisième à dixième alinéas de l'article 2, qui sont divisibles des autres dispositions du règlement, et en tant que cette délibération ne diffère pas son entrée en vigueur au 7 avril 2022.

Sur les frais de l'instance :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Ville de Paris en puisse invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge, sur ce même fondement, le versement à l'association requérante d'une somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité présentée par l'association des commerçants accueillants.

Article 2 : La délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021 du conseil de Paris est annulée en tant qu'elle adopte les troisième à dixième alinéas de l'article 2 du règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme et qu'elle ne diffère pas au 7 avril 2022 son entrée en vigueur.

Article 3 : Le jugement du 30 novembre 2023 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : La Ville de Paris versera à l'association des commerçants accueillants une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association des commerçants accueillants est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la Ville de Paris présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'association des commerçants accueillants et à la Ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Pascale Fombeur, présidente de la Cour,

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2025.

Le rapporteur,

S. A...La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 24PA00475


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