Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. Par une demande enregistrée sous le n° 2200342, la Sarlu C... et M. F... C... ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté n° 488 PR du 7 juin 2022, publié au Journal officiel de la Polynésie française le 14 juin 2022, portant autorisation de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue, au docteur H... B....
II. Par une demande enregistrée sous le n° 2200351, Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler ce même arrêté.
Par un jugement n° 2200342, 2200351 du 28 février 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé cet arrêté, mis à la charge de la Polynésie française le versement à la Sarlu C... et M. F... C..., d'une part, et à Mme E..., d'autre part, de la somme de 100 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et rejeté les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de ces mêmes dispositions.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 23PA02325, le 24 mai 2023 et le 26 janvier 2024, la Polynésie française, représentée par Me Jourdainne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de rejeter les demandes, d'une part, de la Sarlu C... et de M. C... et, d'autre part, de Mme E....
Elle soutient que :
- n'ayant pas déposé de demande de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie pendant la période d'ouverture des dépôts de demandes de création d'officine en février 2022, Mme E... ne justifie pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté du 7 juin 2022 ; sa demande est irrecevable ;
- le projet de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie doit s'apprécier au regard de l'ensemble des critères fixés par l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 et de l'article 67 de l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 ;
- le nombre d'habitants de la commune de Bora Bora comptabilisés lors du recensement de 2017 comme de celui de 2022, permet l'ouverture d'une seconde officine ; la circonstance que le nombre d'habitants n'a pas progressé entre 2017 et 2022 est sans incidence dès lors que le quota de population est atteint ;
- la commune de Nunue est la commune la plus peuplée de l'île ; sa population augmente comme l'atteste le nombre de permis de construire délivrés en 2022 et 2023 ;
- l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 ne prévoit pas que le quartier d'accueil d'un projet d'officine doit être situé dans la zone la plus peuplée de l'île de Bora Bora ;
- l'emplacement proposé par M. B... pour l'implantation d'une seconde officine contribue à une répartition juste et équilibrée de l'offre pharmaceutique sur l'ensemble de l'île de Bora Bora dès lors notamment qu'elle est située à bonne distance de la pharmacie actuelle (4 450 mètres), qu'elle permet de desservir le sud de l'île qui est dépourvu de toute offre pharmaceutique et de pourvoir ainsi aux besoins de la population résidente et de la population touristique ;
- le nombre des clients des cinq hôtels situés à la Pointe Matira à Nunue s'élève à 153 136 au titre de 2021 et à 194 910 au titre de 2022, soit une augmentation de 27,14 % ; la durée moyenne du séjour est de 3,7 jours en 2022 ; dans ces conditions, la présence de cette population saisonnière, à laquelle doit s'ajouter les employés et les touristes fréquentant les cinquante places des établissements de la petite hôtellerie, est suffisamment stable pour justifier d'un besoin réel de médicaments sur l'année dans la commune de Nunue ; en outre, de nouveaux hôtels sont en cours de construction et des extensions de capacités hôtelières sont également prévues ;
- les quarante-cinq élèves de l'internat du collège-lycée de Bora Bora, résidant ainsi sur place, doivent être comptabilisés dans la population résidente du quartier d'accueil du projet d'officine de pharmacie ;
- la circonstance que les élèves externes du collège-lycée de Bora Bora ne sont pas pris en compte au titre de la population résidant dans les quartiers d'accueil d'un projet de création d'une officine de pharmacie n'interdit pas à l'autorité sanitaire de réfléchir à l'impact de l'ouverture d'une officine de pharmacie sur la population de passage et de proximité ; la proximité de l'établissement scolaire permettra au pharmacien de développer les missions de prévention et d'éducation thérapeutique à destination des élèves, en vertu notamment de la loi du Pays n° 2022-34 du 23 août 2022 ; ce critère doit être pris en considération pour déterminer le caractère optimal de l'implantation de la nouvelle officine ;
- la disponibilité d'une offre médicale à proximité d'une officine n'est pas au nombre des critères fixés par la réglementation ; l'implantation d'une officine dans un secteur dépourvu de médecins à proximité immédiate, permet au pharmacien d'assurer, sur l'ensemble de l'île, une répartition adéquate de l'offre de soins entre le réseau officinal et le réseau médical ;
- M. B..., qui prévoit de recruter immédiatement un deuxième pharmacien, pourra mettre en place le service de portage de médicaments à domicile ;
- le lien entre M. B... et le territoire de la Polynésie français est indéniable ; en outre, sa maîtrise de la langue tahitienne est un atout pour la compréhension par de nombreux habitants âgés de leur traitement médicamenteux ;
- le projet de M. B... remplit l'ensemble des critères fixés par l'article 67 de l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 ; le tribunal n'a pas examiné ces critères ;
- le tribunal n'a pas précisé ce qui constituerait un maillage et une répartition équitable de l'offre pharmaceutique pour que le projet d'ouverture d'une seconde officine réponde de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de Bora Bora ;
- afin de tenir compte des particularités insulaires polynésiennes, le projet de création de la seconde officine de pharmacie sur la commune de Bora Bora devrait être apprécié au regard de l'approvisionnement en médicaments de la population résidant au sein d'une " zone théorique d'influence ", concept proposé par l'autorité de la concurrence dans son avis n° 2017-A-03 du 6 novembre 2017 ; en l'espèce, cette zone correspondrait à une zone située au sud de Vaitape, comprenant notamment la pointe de Matira et le collège-lycée de Bora Bora, alors que l'officine de pharmacie existante ferait partie d'une seconde " zone théorique d'influence " située au nord de Vaitape, englobant le centre-ville de Vaitape ;
- le projet de création d'une officine présenté par M. B... répond de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de la " zone théorique d'influence " située au sud de Vaitape.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 décembre 2023 et le 28 février 2024, la Sarlu C... et M. F... C..., représentés par Me Dumas, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de déclarer illégal l'article 4 de l'arrêté n° 2645 CM du 25 novembre 2019 en ce qu'il ajoute un critère tiré de la maîtrise d'une langue polynésienne qui est une condition étrangère à la protection de la santé publique telle que visée par la délibération du 20 octobre 1988 ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 250 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête, formée plus de deux mois après le jugement rendu le 28 février 2023, est tardive ;
- le projet de création d'officine pharmaceutique de M. B... ne permet pas de répondre aux besoins en médicaments de la population des secteurs d'Anau et de Faanui qui concernent plus de 5 000 habitants, soit environ la moitié de la population de l'île, ni même de la population saisonnière dès lors que la majorité des hôtels est implantée sur des motus situés en face des communes d'Anau et de Faanui ; à supposer même que la fréquentation touristique serait plus importante à Nunue, ce projet serait contraire aux intérêts de la population locale et aboutirait à privilégier les intérêts touristiques ;
- la proximité du collège-lycée de Bora Bora et le dispositif de livraison de médicaments ne peuvent être valablement pris en considération dès lors que ces critères ne sont pas prévus par la délibération du 20 octobre 1988 ;
- la bonne maîtrise d'une langue polynésienne ne peut être retenue comme un critère déterminant dès lors qu'il n'est pas prévu par le législateur et qu'il est étranger à la protection de la santé publique visée par la délibération du 20 octobre 1988 ;
- l'article 4 de l'arrêté n° 2645 CM du 25 novembre 2019 est illégal en ce qu'il ajoute un critère tiré d'une bonne maîtrise d'une langue polynésienne dès lors que le conseil des ministres n'est pas compétent pour ajouter ce critère et que les dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 25 novembre 2019 sont ainsi, sur ce point, entachées d'incompétence négative ; en outre, ces dispositions portent atteinte à la liberté du commerce ;
- l'arrêté en litige est illégal en raison de l'illégalité de l'article 4 de l'arrêté n° 2645 CM du 25 novembre 2019 modifié ;
- en tout état de cause, la bonne maîtrise d'une langue polynésienne par M. B..., à la supposer établie, ne serait pas suffisante à elle seule pour pallier au défaut des autres critères à respecter comme la prise en compte de la localisation de l'officine et de l'offre de soins dans la commune ;
- M. B... n'est pas le seul à solliciter l'autorisation de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie ; les demandes des autres pharmaciens sont systématiquement rejetées ; en tout état cause, il ne s'agit pas d'un critère pouvant être retenu ;
- M. B... a, à nouveau, bénéficié d'une autorisation d'ouverture d'une officine de pharmacie en 2023, postérieurement au jugement attaqué.
II. Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire enregistrés sous le n° 23PA02380, les 29 mai et 10 juillet 2023 et le 26 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Fidèle, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de rejeter les demandes, d'une part, de la Sarlu C... et de M. C... et, d'autre part, de Mme E... ;
3°) de mettre à la charge de la Sarlu C..., de M. C... et de Mme E... la somme de 400 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- n'ayant pas déposé de demande de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie pendant la période d'ouverture des dépôts de demandes de création d'officine en février 2022, Mme E... ne justifie pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté du 7 juin 2022 ; sa demande est irrecevable ;
- en vertu de l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988, son projet de création d'une officine de pharmacie doit répondre de manière optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans le quartier de Nunue Sud (secteur 143B) ; il ne peut être apprécié au regard des besoins de la population de l'île de Bora Bora ;
- son projet doit s'apprécier au regard des critères de l'article 67 de l'arrêté du 9 mai 1989 ; eu égard à ces critères, la jurisprudence concernant l'application du premier alinéa de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique n'est pas complètement applicable, quand bien même ces dispositions sont analogues à celles de l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 ;
- seules, les données issues du dernier recensement, c'est-à-dire celui de 2017, doivent être retenues ainsi que le découpage de l'île de Bora Bora en quatre quartiers (141, 142, 143A et 143B) ; dans ces conditions, les données chiffrées et les cartes présentées par Mme E... doivent être écartées des débats ;
- son projet de création d'officine de pharmacie est situé dans le quartier 143 B qui correspond à la zone la plus densément peuplée de l'île de Bora Bora ; compte tenu des particularités de l'urbanisation de l'île, les habitants de la partie sud d'Anau (secteur 141), soit 600 habitants, peuvent être comptabilisés au titre de la population des quartiers alentours de son projet, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat (n° 278563, Mme G..., 27 septembre 2006) ;
- les quarante-cinq élèves internes du collège-lycée de Bora Bora doivent être pris en compte dans la population saisonnière ;
- l'intérêt de l'implantation d'une pharmacie dans le secteur où se situe le collège-lycée de Bora Bora regroupant 1 270 élèves et 122 agents est important ;
- les touristes doivent être inclus dans la population saisonnière ; son projet se situe dans la zone de chalandise la plus touristique de l'île, la pointe Matira, où sont situés cinq hôtels disposant de 242 chambres ou bungalows, ce qui correspond à une population saisonnière au minium de 484 personnes, à laquelle s'ajoutent les employés de ces hôtels et les touristes logeant dans des pensions de famille et des locations saisonnières proposées notamment sur le site d'Airbnb ; en prenant en considération la partie sud d'Anau où sont implantés trois hôtels, la zone de Matira-Anau peut accueillir une population saisonnière comprise entre 900 et 1 000 personnes ; le nombre de touristes augmentera avec l'ouverture de l'hôtel Méridien et l'agrandissement de l'aéroport ; les données présentées par Mme E... ne peuvent être retenues dès lors qu'elles correspondent à la période de la pandémie de la Covid 19 ;
- eu égard au nombre des populations résidente et saisonnière des quartiers d'accueil et des quartiers alentours de son projet d'officine, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, son projet répond de manière optimale aux besoins en médicaments de ces populations ;
- la livraison à domicile prévu par son projet contribuera à la desserte optimale des personnes à faible mobilité ; ce critère doit être pris en considération, même s'il n'est pas prévu par l'article 25 de l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 ;
- la condition de " réponse optimale " ne s'appréciant pas nécessairement au regard de la seule localisation des projets d'officines, c'est par une exacte application de l'article 25 de la délibération du 22 octobre 1988, que l'arrêté en litige a tenu compte de " sa bonne maîtrise de la langue tahitienne, permettant d'accompagner les personnes, dont le tahitien est la langue, dans la compréhension de leur pathologie " ;
- l'existence d'une offre médicale dans le secteur d'implantation d'une nouvelle officine de pharmacie n'est pas un critère prévu par l'article 25 de la délibération du 22 octobre 1988 ; en tout état de cause, son projet permet d'assurer une bonne répartition de l'offre de soins entre le réseau officinal et le réseau médical ;
- son projet de création d'une officine à proximité du collège-lycée de Bora Bora permet de développer à destination des élèves des campagnes de prévention et d'éducation thérapeutique en matière de santé publique ;
- il remplit le critère d'accessibilité prévu par l'article 67 de l'arrêt n° 610 CM du 9 mai 1989 ;
- les circonstances qu'il soit le seul à avoir présenté une demande d'ouverture d'une seconde officine sur l'île de Bora Bora et que sa demande a fait l'objet d'un avis unanime de la commission confortent l'arrêté en litige ;
- les demandes de M. A... et Mme E... ont été rejetées pour des motifs fondés ; ils n'ont pas fait l'objet de discrimination ;
- il est très difficile d'ouvrir une officine dans le secteur d'Anau en raison de la faible disponibilité de biens fonciers, ce qui explique le désert médical dans ce secteur.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 décembre 2023 et le 28 février 2024, la Sarlu C... et M. F... C..., représentés par Me Dumas, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B... le versement de la somme de 250 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête, formée plus de deux mois après le jugement rendu le 28 février 2023, est tardive ;
- le projet de création d'officine pharmaceutique de M. B... ne permet pas de répondre aux besoins en médicaments de la population des secteurs d'Anau et de Faanui qui concernent plus de 5 000 habitants, soit environ la moitié de la population de l'île, ni même de la population saisonnière dès lors que la majorité des hôtels est implantée sur des motus situés en face des communes d'Anau et de Faanui ; à supposer même que la fréquentation touristique serait plus importante à Nunue, ce projet serait contraire aux intérêts de la population locale et aboutirait à privilégier les intérêts touristiques ;
- la proximité du collège-lycée de Bora Bora et le dispositif de livraison de médicaments ne peuvent pas être valablement pris en considération dès lors que ces critères ne sont pas prévus par la délibération du 20 octobre 1988 ;
- la bonne maîtrise d'une langue polynésienne ne peut être retenue comme un critère déterminant dès lors qu'il n'est pas prévu par le législateur et est étranger à la protection de la santé publique visée par la délibération du 20 octobre 1988 ;
- l'arrêté en litige est illégal en raison de l'illégalité de l'article 4 de l'arrêté n° 2645 CM du 25 novembre 2019 modifié ; le conseil des ministres n'étant pas compétent pour ajouter le critère de la bonne maîtrise d'une langue polynésienne, les dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 25 novembre 2019 sont sur ce point entachées d'incompétence négative ; en outre, ces dispositions portent atteinte à la liberté du commerce ;
- M. B... n'est pas le seul à solliciter l'autorisation de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie ; les demandes des autres pharmaciens sont systématiquement rejetées.
- postérieurement au jugement attaqué, M. B... a, à nouveau, bénéficié d'une autorisation d'ouverture d'une officine de pharmacie par un arrêté du 23 juin 2023 qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 16 janvier 2024.
Par un mémoire enregistré le 26 janvier 2024, la Polynésie française, représentée par Me Jourdainne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de rejeter les demandes, d'une part, de la Sarlu C... et M. F... C... et, d'autre part, de Mme E....
Elle soutient que :
- n'ayant pas déposé de demande de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie pendant la période d'ouverture des dépôts de demandes de création d'officine en février 2022, Mme E... ne justifie pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté du 7 juin 2022 ; sa demande est irrecevable ;
- le projet de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie doit s'apprécier au regard de l'ensemble des critères fixés par l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 et l'article 67 de l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 ;
- le projet de M. B... remplit l'ensemble des critères fixés par l'article 67 de l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 ; le tribunal n'a pas examiné ces critères ;
- afin de tenir compte des particularités insulaires polynésiennes, le projet de création de la seconde officine de pharmacie sur la commune de Bora Bora devrait être apprécié au regard de l'approvisionnement en médicaments de la population résidant au sein d'une " zone théorique d'influence ", concept proposé par l'autorité de la concurrence dans son avis n° 2017-A-03 du 6 novembre 2017 ; en l'espèce, cette zone correspondrait à une zone située au sud de Vaitape, comprenant notamment la pointe de Matira et le collège-lycée de Bora Bora, alors que l'officine de pharmacie existante ferait partie d'une seconde " zone théorique d'influence " située au nord de Vaitape, englobant le centre-ville de Vaitape ;
- le projet de création d'une officine présenté par M. B... répond de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de la " zone théorique d'influence " située au sud de Vaitape.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 ;
- l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... et M. B..., pharmaciens, ont sollicité, en août 2020, la délivrance d'une licence pour la création et l'exploitation d'une officine de pharmacie sur le territoire de la commune de Bora Bora. Leurs demandes ont été rejetées. En février 2021, ils ont réitéré leurs demandes. Par un arrêté n° 322 PR du 1er juin 2021, le président de la Polynésie française a autorisé M. B... à créer et exploiter une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue, sur la terre Paparoa 1. Par un arrêté du 2 juin 2021, il a rejeté la demande de Mme E.... Par un jugement n° 2100084 - 2100374 du 8 février 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'arrêté n° 322 PR du 1er juin 2021 autorisant M. B... à exploiter une officine de pharmacie, à Nunue. Par un arrêt n° 22PA01853 du 20 octobre 2023, la cour a rejeté la requête de M. B... tendant à l'annulation de ce jugement. Par une décision du 11 juillet 2024, le Conseil d'Etat n'a pas admis le pourvoi en cassation de M. B....
2. Le 28 février 2022, M. B... a, à nouveau, déposé un dossier de demande de création et d'exploitation d'une officine située sur le même emplacement que dans sa précédente demande, c'est-à-dire dans la commune de Bora Bora, à Nunue, sur la terre Paparoa 1. Par un arrêté n° 488 PR du 7 juin 2022, le président de la Polynésie française a accordé l'autorisation sollicitée. Saisi par la Sarlu C... et par M. C..., d'une part, et par Mme E..., d'autre part, le tribunal administratif de la Polynésie française a, par un jugement du 28 février 2023, annulé cet arrêté. Par des requêtes enregistrées sous les n°s 23PA02325 et 23PA02380, la Polynésie française et M. B... relèvent appel de ce jugement.
3. Les requêtes n° 23PA02325 et n° 23PA02380 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des requêtes :
4. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. (...) ". Aux termes de l'article R. 811-5 du même code : " Les délais supplémentaires de distance prévus à l'article R. 421-7 s'ajoutent aux délais normalement impartis. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-7 du même code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine ou devant le Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, le délai de recours (...) est augmenté d'un mois pour les personnes qui demeurent (...), en Polynésie française, (...) ". En application de ces dispositions, M. B... et la Polynésie française disposaient d'un délai d'appel de trois mois.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la requête n° 23PA02325 présentée par la Polynésie française, dirigée contre le jugement du 28 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française, a été enregistrée au greffe de la cour le 24 mai 2023, soit dans le délai de recours de trois mois qui lui était imparti. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Sarlu C... et M. C..., tirée de la tardiveté de la requête d'appel de la Polynésie française, ne peut qu'être écartée.
6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le jugement du 28 février 2023 a été notifié à M. B... le 3 mars 2023. Sa requête dirigée contre ce jugement, a été enregistrée au greffe de la cour sous le 23PA02380 le 29 mai 2023, soit dans le délai de trois mois qui lui était imparti. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Sarlu C... et M. C..., tirée de la tardiveté de la requête d'appel de M. B..., ne peut qu'être écartée.
Sur la recevabilité des demandes de première instance :
7. Aux termes de l'article 25 de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 20 octobre 1988 relative à certaines dispositions concernant l'exercice de la pharmacie, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " Les créations (...) d'officines de pharmacie ouvertes au public doivent permettre de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans les quartiers d'accueil de ces officines. (...) ". Aux termes de l'article 26 de cette même délibération, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " (...) L'ouverture d'une nouvelle officine dans une commune de plus de 5 000 habitants où une licence a déjà été accordée peut être autorisée par voie de création à raison d'une autorisation par tranche entière supplémentaire de 5 000 habitants recensés dans la commune pour la deuxième officine et à raison d'une autorisation par tranche entière supplémentaire de 7 000 habitants pour les suivantes, à l'exception de la commune de Papeete. (...) /Il ne peut être accordé plus d'une autorisation de création d'officine au même pharmacien. / La population dont il est tenu compte est la population municipale totale, telle qu'elle est issue du dernier recensement général de la population ou, le cas échéant, des recensements complémentaires, publiés au Journal officiel de la Polynésie française. (...) ".
8. Il n'est pas contesté que selon le recensement effectué en 2017, le nombre d'habitants de la commune de Bora Bora, qui comprend trois communes associées, Nunue, Faanui et Anau, a dépassé le seuil de 10 000 habitants, permettant ainsi l'ouverture d'une seconde officine de pharmacie.
En ce qui concerne l'intérêt à agir de Mme E... :
9. Mme E... se prévaut, pour justifier de son intérêt à agir, de sa qualité de pharmacienne et de la circonstance qu'elle a présenté une demande de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie sur l'île de Bora Bora, à Nunue, en 2020 et en 2021 et a contesté, devant le tribunal administratif de la Polynésie française, les arrêtés du président de la Polynésie française du 29 décembre 2020 et du 2 juin 2021 rejetant sa demande ainsi que l'arrêté du 1er juin 2021 accordant cette autorisation à M. B.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme E... n'a pas présenté de nouvelle demande de création d'une officine de pharmacie lors de la procédure ouverte en février 2022 à l'issue de laquelle a été pris l'arrêté en litige. L'intéressée, qui n'a pas répondu à la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française devant le tribunal, n'invoque pas son intention de déposer ultérieurement une nouvelle demande de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie sur l'île de Bora Bora. Dans ces conditions, Mme E... est dépourvue d'intérêt à agir pour demander l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2022 autorisant M. B... à ouvrir et exploiter une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue. Par suite, la Polynésie française et M. B... sont fondés à soutenir que la demande présentée par Mme E... est irrecevable et que c'est donc à tort que les premiers juges y ont fait droit.
En ce qui concerne l'intérêt à agir de la Sarlu C... et M. C... :
10. La société C..., qui exploite depuis juin 2004, la seule officine de pharmacie de la commune de Bora Bora, et M. C..., pharmacien et gérant de cette société, se prévalent, pour justifier de leur intérêt à agir, de la circonstance que l'activité de leur pharmacie sera impactée par l'ouverture d'une seconde pharmacie située sur le même emplacement géographique. Il ressort des pièces du dossier que les pharmacies de la société C... et de M. B... sont situées dans la commune de Nunue et qu'une distance de 4,4 km les sépare. Toutefois, selon le découpage retenu par l'Institut de la statistique de la Polynésie française et sur lequel il convient de se fonder pour identifier les " quartiers d'accueil " des officines mentionnés par les dispositions de l'article 25 de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 20 octobre 1988, citées au point 7, la pharmacie de la société C... est implantée dans le secteur 143 A de Nunue et n'est donc pas située dans le même quartier d'accueil que la pharmacie de M. B..., dont l'ouverture a été autorisée par l'arrêté en litige, qui se trouve dans le secteur 143 B. En outre, il ressort des dispositions de l'article 26 de cette même délibération, citées au point 7, que M. C... ne peut pas obtenir une autorisation de création pour une seconde officine de pharmacie. Dans ces conditions, et alors que l'officine de pharmacie de la société C... perdra nécessairement sa situation de monopole avec l'ouverture d'une seconde pharmacie sur l'île de Bora Bora, de faible superficie et bordée par une route circulaire de 32 km, la société C... et M. C... sont dépourvus d'intérêt à agir pour demander l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2022 autorisant M. B... à ouvrir et exploiter une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue. Par suite, leur demande présentée devant le tribunal est irrecevable et c'est donc à tort que les premiers juges y ont fait droit.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que la Polynésie française et M. B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'arrêté n° 488 PR du 7 juin 2022, portant autorisation de création et d'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue, au docteur H... B....
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Polynésie française, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la Sarlu C... et à M. C... la somme qu'ils demandent au titre des frais liés à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Sarlu C..., de M. C... et de Mme E... la somme que M. B... demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2200342, 2200351 du 28 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par la Sarlu C... et M. C..., d'une part, et par Mme E..., d'autre part, devant le tribunal administratif de la Polynésie française et les conclusions d'appel de la Sarlu C... et de M. C... sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Polynésie française, à M. H... B..., à la Sarlu C..., à M. F... C... et à Mme D... E....
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Collet, première conseillère,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
C. Vrignon-Villalba
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°s 23PA02325, 23PA02380 2