La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2025 | FRANCE | N°23PA00066

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 31 janvier 2025, 23PA00066


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Jacaro a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015, 2016 et 2017.

Par un jugement n° 2018228 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 6 janvier 2023, la soci

été Jacaro, représentée par Me Coumert, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement ;



2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Jacaro a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015, 2016 et 2017.

Par un jugement n° 2018228 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 janvier 2023, la société Jacaro, représentée par Me Coumert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015, 2016 et 2017 ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 à hauteur des conséquences d'une minoration des résultats respectivement de 700 000 euros et 200 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le montant de ses recettes correspondant à des opérations présentant un caractère commercial n'excède pas 10 % du montant de ses recettes totales ;

- la location des appartements situés dans la résidence pour personnes âgées ne constitue pas une activité commerciale par nature dès lors qu'elle loue seulement des appartements nus, qu'elle ne réalise aucune activité de nature commerciale au titre de cette location et qu'elle ne peut pas être considérée comme participant à la gestion et aux résultats de ses filiales ;

- s'agissant du taux d'occupation de l'appartement loué en meublé, le montant retenu fixé à 70 % est excessif et ne reflète pas l'occupation réelle du bien ; la méthode de reconstitution des recettes n'est pas acceptable dans la mesure où elle ne prend pas en compte la rémunération de l'intermédiaire, qui correspond à 30 % des recettes brutes dégagées ;

- s'agissant de la mise à disposition d'une domiciliation en contrepartie d'une rémunération, cette activité ne constitue pas une prestation à caractère commercial dès lors qu'il s'agit uniquement de la fourniture d'une adresse de siège social ;

- les abandons de créance doivent être annulés, compte tenu de la clause de retour à meilleure fortune, et les résultats soumis à l'impôt sur les sociétés en 2016 et 2017 doivent être minorés respectivement de 700 000 euros et 200 000 euros ;

- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées eu égard notamment au montant de l'erreur commise.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la société ne présentant aucun moyen concernant le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des amendes prévues à l'article 1759 du code général des impôts, les conclusions de la requête sont irrecevables à hauteur de 67 344 euros ;

- les moyens soulevés par la société Jacaro ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellig ;

- et les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Jacaro est propriétaire de différents biens immobiliers, notamment d'une résidence pour personnes âgées au Puy-en-Velay (Haute-Loire) et d'un appartement situé rue Saint-Charles à Paris. A l'issue du contrôle sur place dont elle a fait l'objet, l'administration fiscale a notamment considéré qu'elle se livrait à une activité commerciale et lui a notifié des cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités. La société requérante relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du 2 de l'article 206 du code général des impôts relatif aux sociétés et collectivités imposables à l'impôt sur les bénéfices des sociétés : " (...) 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1 si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) ". Aux termes de l'article 34 de ce code : " Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale (...) ". Aux termes de l'article 35 du même code, applicables à compter du 1er janvier 2017 : " I. - Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 5° bis Personnes qui donnent en location directe ou indirecte des locaux d'habitation meublés (...) ".

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

3. Une société civile donnant habituellement en location des locaux garnis de meubles doit être regardée comme exerçant une activité commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts et, par suite, est passible de l'impôt sur les sociétés par application du 2 de l'article 206 du même code.

4. Il est constant que la société Jacaro est propriétaire d'un appartement situé au 93 rue Saint-Charles à Paris qui fait l'objet de locations meublées de courte durée. Par suite, elle est passible de l'impôt sur les sociétés, du fait de cette seule activité, en application des dispositions du 2 de l'article 206 du code général des impôts.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

5. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ".

6. La société Jacaro peut être regardée comme se prévalant de l'application de la réponse ministérielle Berger n° 33593 du 11 mai 1981, relative à l'imposition de certaines sociétés à l'impôt sur les sociétés, selon laquelle les sociétés civiles qui se livrent à des opérations présentant un caractère commercial ne sont pas soumises à l'impôt sur les sociétés tant que le montant hors taxe de leurs recettes de nature commerciale n'excède pas 10 % du montant de leurs recettes totales hors taxe.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la résidence Les Millepertuis dont la société Jacaro est propriétaire est une résidence pour personnes âgées indépendantes dont les locataires bénéficient de prestations de services spécifiques et, en particulier, de la mise à disposition d'une coordinatrice et de locaux communs meublés et équipés, comme une terrasse aménagée, une buanderie et une salle d'activités et de rencontres. Toutefois, aucune des pièces versées au dossier, et notamment pas les baux conclus avec la société Jacaro auxquels est seulement annexé le règlement de la résidence, ne permet d'établir que la location d'appartements nus réalisée par cette dernière inclurait systématiquement la souscription par les locataires de ces prestations de service supplémentaires. En outre, les pièces du dossier ne permettent pas davantage de considérer que la refacturation de la rémunération de la coordinatrice, par la société Résidence Le Puy en Velay à la société Jacaro, serait incluse dans le montant du loyer acquitté par le locataire, alors d'ailleurs que les baux et les quittances de loyer ne permettent pas de s'assurer que le montant de ces prestations supplémentaires serait effectivement inclus dans le montant des loyers. En tout état de cause, la mise à disposition, dans le cadre d'une résidence de vingt-deux appartements, de quelques espaces partagés tels qu'une terrasse, une buanderie et une salle d'activité, ainsi que la présence, quelques jours par semaine, d'un " manager-coordonnateur " chargé essentiellement de recueillir les doléances des locataires, ne constituent pas des prestations qui excèdent celles qui peuvent être normalement fournies dans le cadre de la simple gestion locative de certaines catégories d'immeubles collectifs.

8. Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir l'administration, la société Jacaro ne peut être regardée comme participant à la gestion et aux résultats de l'activité de sa filiale à 100 %, la société Résidence Le Puy en Velay et de sa filiale à 89,27 %, la société A2CJB, qui conclut avec la société requérante les contrats de location de certains appartements qu'elle sous-loue en appartements meublés, dès lors notamment qu'il ne résulte pas des circonstances de l'espèce que les locations consenties auraient pour effet d'entraîner une participation indirecte du bailleur à la gestion et aux résultats d'une société commerciale exploitée par le preneur. Il s'ensuit que la société Jacaro est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a qualifié cette activité de location d'appartements nus d'activité commerciale passible de l'impôt sur les sociétés.

9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la comptabilité de la société Jacaro a fait l'objet d'un rejet suivant procès-verbal de comptabilité non probante et non sincère remis à M. A... le 6 décembre 2018. En l'absence d'informations précises apportées par la société sur la location meublée de l'appartement situé au 93 rue Saint-Charles à Paris, l'administration fiscale a reconstitué les revenus procurés par cette location pendant la période vérifiée, sur la base d'un prix de nuitée moyen de 116 euros et d'un taux d'occupation de 70 % compte tenu des pratiques existantes sur le marché de la location meublée saisonnière à Paris. Si la société Jacaro considère que le taux d'occupation retenu de 70 % est manifestement excessif, elle ne produit aucune pièce, qu'elle seule est en mesure de détenir, de nature à démontrer un taux d'occupation effectivement inférieur. Par ailleurs, elle ne justifie pas davantage de la rémunération de l'intermédiaire, à hauteur de 30 % des recettes brutes dégagées, ni des liens juridiques existants entre la société et cette personne. Elle n'est par suite pas fondée à réclamer une minoration de ses recettes à cet égard.

10. En outre, il résulte de l'instruction que la société Jacaro a autorisé les sociétés Logiscope et Palettes pratiques à établir leur domiciliation de siège social au 93 rue Saint-Charles à Paris et que cette domiciliation a donné lieu aux versements de loyers d'un montant de 7 000 euros en 2015, 4 600 euros en 2016 et 6 600 euros en 2017, ainsi que cela ressort du tableau récapitulatif des recettes commerciales renseigné dans chacune des propositions de rectification. Aucune des pièces versées au dossier ne permet de considérer que cette domiciliation excluait la jouissance de l'appartement lors des périodes libres d'occupation. Par suite, une telle domiciliation doit être regardée comme une mise en location, même limitée dans le temps, de locaux d'habitation meublés. Il s'agit donc d'une activité passible de l'impôt sur les sociétés.

11. En troisième lieu, M. A... a consenti au profit de la société Jacaro des abandons de créance d'un montant de 700 000 euros en 2016 et de 200 000 euros en 2017 afin d'équilibrer le bilan de la société, alors déficitaire. Du fait des redressements opérés par le service, la situation de la société est devenue bénéficiaire en 2016 et 2017. La société requérante estime que la clause de retour à meilleure fortune s'en trouve réalisée et que les résultats soumis à l'impôt sur les sociétés doivent être minorés à cette hauteur. Toutefois, à supposer même que les conventions d'abandons de créance produites par la société puissent être regardées comme ayant date certaine, les conditions de réalisation de la clause de retour à meilleure fortune ne seraient réunies qu'à compter de l'année au cours de laquelle la proposition de rectification a été notifiée, à savoir l'année 2019. La société Jacaro n'est dès lors pas fondée à soutenir que les résultats des années en litige devraient être minorés du montant des abandons de créance en litige.

12. Il s'ensuit que, pour le calcul de la part de l'activité commerciale de la société Jacaro, doivent être prises en compte l'activité de location meublée de l'appartement situé au 93 rue Saint-Charles, sur la base d'un taux d'occupation de 70 %, soit des montants de 29 538 euros en 2015, 29 138 euros en 2016 et 30 138 euros en 2017, ainsi que l'activité de domiciliation de sièges sociaux, soit des montants de 7 000 euros en 2015, 4 600 euros en 2016 et 6 600 euros en 2017. Ainsi, le montant total de recettes commerciales s'élève à 36 538 euros en 2015, 33 738 euros en 2016 et à 36 738 euros en 2017. Or, si ces montants représentent, pour les années 2015 et 2017, plus de 10 % des recettes totales de la société, d'un montant respectif de 112 082,26 euros et de 331 676,08 euros, tel n'est pas le cas de l'année 2016 pour lequel le montant des recettes totales s'élève à 829 850,26 euros selon le total des produits comptabilisés retenus par l'administration auxquels s'ajoutent les produits non comptabilisés issus de la location meublée du 93 rue Saint-Charles ayant fait l'objet d'un rappel, ainsi qu'il ressort des éléments mentionnés en annexe à la lettre du 18 décembre 2019 faisant suite à l'interlocution. Par suite, la société Jacaro est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale l'a assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2016.

En ce qui concerne les pénalités :

13. Le moyen selon lequel la pénalité pour manquement délibéré de 40 %, ramenée à 10 %, n'est pas justifiée doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Paris au point 10 du jugement attaqué.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société Jacaro est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2016.

Sur les frais d'instance :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme quelconque à verser à la société Jacaro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La société Jacaro est déchargée, en droits et pénalités, de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2016.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Jacaro est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Jacaro et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques).

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- Mme Milon, présidente assesseure,

- Mme Lellig, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 janvier 2025.

La rapporteure,

W. LELLIGLe président,

A. BARTHEZ

La greffière,

A. MAIGNANLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA00066 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00066
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Wendy LELLIG
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : CABINET VIA JURIS TAX LAW

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;23pa00066 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award