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29/01/2025 | FRANCE | N°24PA00477

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 29 janvier 2025, 24PA00477


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 juillet 2021 par laquelle l'administratrice provisoire de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris a refusé de faire droit à sa demande de requalification de son contrat de vacataire en contrat à durée indéterminée, de condamner l'IEP de Paris à lui payer une indemnité de 202 764,13 euros en réparation des préjudices subis résultant des fautes commises par son employeur dans la ges

tion de sa carrière, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation, et d'en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 28 juillet 2021 par laquelle l'administratrice provisoire de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris a refusé de faire droit à sa demande de requalification de son contrat de vacataire en contrat à durée indéterminée, de condamner l'IEP de Paris à lui payer une indemnité de 202 764,13 euros en réparation des préjudices subis résultant des fautes commises par son employeur dans la gestion de sa carrière, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation, et d'enjoindre à l'IEP de Paris de procéder à la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée à compter de la rentrée universitaire 1998/1999.

Par un jugement n° 2120810/5-4 du 1er décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 janvier 2024, 29 octobre 2024, 22 novembre 2024 et 24 décembre 2024, Mme B..., représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er décembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 28 juillet 2021 de l'administratrice provisoire de l'IEP de Paris ;

3°) de condamner l'IEP de Paris à lui payer une indemnité de 202 764,13 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts moratoires, capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de l'IEP de Paris la somme de 4 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- il est entaché d'erreurs de droit et de qualification juridique des faits ;

- l'IEP de Paris ne pouvait l'employer dans le cadre des articles L. 952-1 du code de l'éducation et 2 du décret du 29 octobre 1987 ; elle n'a en effet pas exercé une activité salariée principale, différente de son activité d'enseignement, et n'a pas apporté aux étudiants de l'IEP la contribution d'une expérience professionnelle ; ses contrats doivent donc être requalifiés en contrat à durée indéterminée d'agent non titulaire, en application de l'article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 ;

- en refusant de procéder à cette requalification, alors qu'il lui revenait de la placer dans une position régulière au regard des dispositions statutaires, l'IEP de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- subsidiairement, à supposer même que ses contrats ne puissent être requalifiés en contrat à durée indéterminée, l'IEP de Paris, en l'employant, abusivement, pendant 24 ans à compter de 1998, dans le cadre de contrats de chargée d'enseignement vacataire à durée déterminée, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; les dispositions de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 et de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive s'opposaient à un tel abus ;

- l'IEP de Paris a également commis une faute en l'engageant pendant près de dix ans, sans aucun contrat écrit ;

- ses demandes ne sont pas atteintes par la prescription en l'absence d'acte régularisant sa situation ;

- si elle avait été placée dans une position régulière, au regard des règles régissant l'emploi des enseignants par l'IEP de Paris, elle aurait dû bénéficier d'une rémunération plus importante ; elle est dès lors fondée à demander la réparation d'un préjudice financier à hauteur de la somme de 180'764,13 euros, et d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de celle de 22 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 juillet 2024, 7 novembre 2024 et 6 décembre 2024, et un nouveau mémoire, enregistré le 8 janvier 2025, qui n'a pas été communiqué, l'IEP de Paris, représenté par Me Guedes Da Costa, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à la limitation des sommes allouées à Mme B... à 4 170,06 euros au titre du préjudice de rémunération et à 503,52 euros au titre de l'indemnité de résidence, et au rejet du surplus de ses conclusions ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à la limitation des sommes allouées à Mme B... à la somme de 31 474,29 euros au titre du préjudice de rémunération et à 3 965,21 euros au titre de l'indemnité de résidence, et au rejet du surplus de ses conclusions ;

4°) à la mise à la charge de Mme B... d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'existence d'un besoin permanent pour l'enseignement de l'espagnol est inopérant ;

- les autres moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés ;

- seules les créances pour lesquelles le délai de prescription quadriennale a débuté le 1er janvier 2018 ne sont pas prescrites ;

- les préjudices allégués ne sont établis, ni dans leur principe, ni dans leurs montants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 ;

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;

- le décret n° 87-889 du 29 octobre 1987 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jayer,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- les observations de Me Brecq-Coutant pour Mme B...,

- et les observations de Me Gerstner pour l'IEP.

Une note en délibéré a été présentée par Mme B... le 16 janvier 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée par l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, à compter de la rentrée universitaire 1998, en qualité de chargée d'enseignement, pour effectuer des vacations d'enseignement d'espagnol. Elle a exercé ses fonctions durant les deux semestres de chaque année universitaire, à l'exception des années 2005/2006 à 2007/2008 et 2019/2020 au cours desquelles elle a assuré des enseignements pendant un seul semestre. Son activité a pris fin le 31 décembre 2021. Par courrier du 31 mai 2021 reçu le 2 juin suivant, Mme B... a demandé à l'IEP de Paris de requalifier ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et de lui verser la somme totale de 202 764,13 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des conditions de son recrutement. Ses demandes ont été rejetées par une décision du 28 juillet 2021 de l'administratrice provisoire de l'IEP de Paris. Mme B... relève appel du jugement du 1er décembre 2023 du tribunal administratif de Paris portant rejet de sa demande d'annulation de cette décision et d'indemnisation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Paris, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu, avec une motivation suffisante, à l'ensemble des moyens soulevés par la requérante.

3. En second lieu, Mme B... soutient que le jugement est entaché d'erreurs de droit et de qualification juridique des faits. Ces moyens, qui relèvent du bien-fondé de la décision juridictionnelle attaquée, ne constituent pas des moyens touchant à sa régularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. D'une part, il résulte de l'article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984, en vigueur à la date de la décision attaquée, que tout contrat conclu ou renouvelé en application du 2°) de l'article 3 et des articles 4 et 6 de la même loi avec un agent non titulaire qui justifie d'une durée de services publics de six ans dans des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu, par une décision expresse, pour une durée indéterminée.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 951-2 du code de l'éducation : " Les dispositions de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (...) sont applicables aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. / Le régime des contrats à durée déterminée est fixé par les articles 4 et 6 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (...) ". En vertu de l'article L. 952-1 du même code alors applicable : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 951-2, le personnel enseignant comprend des enseignants-chercheurs appartenant à l'enseignement supérieur, d'autres enseignants ayant également la qualité de fonctionnaires, des enseignants associés ou invités et des chargés d'enseignement./(...) / Les chargés d'enseignement apportent aux étudiants la contribution de leur expérience. Cette expérience peut être constituée par une fonction élective locale. Les chargés d'enseignement doivent exercer une activité professionnelle principale en dehors de leur activité d'enseignement ou une fonction exécutive locale. Ils sont nommés pour une durée limitée par le président de l'université, sur proposition de l'unité intéressée, ou le directeur de l'établissement. En cas de perte d'emploi, les chargés d'enseignement désignés précédemment peuvent voir leurs fonctions d'enseignement reconduites pour une durée maximale d'un an (...) ".

6. Aux termes de l'article 1er du décret du 29 octobre 1987 relatif aux conditions de recrutement et d'emploi de vacataires pour l'enseignement supérieur : " Les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre de l'éducation nationale peuvent faire appel pour des fonctions d'enseignement, dans les disciplines autres que médicales et odontologiques, à des chargés d'enseignement vacataires et, dans toutes les disciplines, à des agents temporaires vacataires, dans les conditions définies par le présent décret. " L'article 2 du même décret poursuit : " Les chargés d'enseignement vacataires sont des personnalités choisies en raison de leur compétence dans les domaines scientifique, culturel ou professionnel, qui exercent, en dehors de leur activité de chargé d'enseignement, une activité professionnelle principale consistant : (...) - soit en une activité salariée d'au moins neuf cents heures de travail par an ; (...) Si les chargés d'enseignement vacataires perdent leur activité professionnelle principale, ils peuvent néanmoins continuer leurs fonctions d'enseignement pour une durée maximale d'un an ". En vertu de l'article 4 dudit décret : " Dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur, les personnels régis par le présent décret sont engagés pour effectuer un nombre limité de vacations. (...) / Les vacations attribuées pour chaque engagement en application du présent décret ne peuvent excéder l'année universitaire (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions particulières que les contrats passés par les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur en vue de recruter des chargés d'enseignement sont exclusivement conclus pour une durée déterminée, le cas échéant renouvelable. Ces dispositions, qui dérogent aux règles générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique, permettent aux étudiants de recevoir un enseignement fondé sur la pratique professionnelle concrète des personnes ainsi recrutées en qualité de chargé d'enseignement et impliquent nécessairement que ces derniers exercent une activité professionnelle principale différente de l'activité d'enseignement pour laquelle ces contrats sont conclus.

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été recrutée par l'IEP de Paris par des contrats de vacation successifs, par semestres académiques, pour un nombre d'heures annuelles compris entre, au minimum, 26 heures en 2006/2007 et, au maximum, 188 en 2012/2013, en qualité de chargée d'enseignement. Or, elle était concomitamment employée en qualité de salariée pour dispenser des cours d'espagnol, par l'Institut de gestion sociale, organisme de formation de droit privé, sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel conclu le 1er septembre 1998, pour une quotité de travail annuelle variant, selon les années, de 64 à 480 heures. Elle était également employée en qualité de chargée d'enseignement au sein de l'Ecole de commerce de Lille devenue Skema Business School de Lille, du 6 décembre 1999 au 27 juin 2012, pour une quotité de travail annuelle allant de 17,45 à 113,50 heures selon les années. Entre 2002 et 2009, elle est intervenue en tant que vacataire à l'Ecole Polytechnique à raison de 24 à 56 heures par an. Enfin, elle était aussi employée en qualité de chargée de mission, formatrice en espagnol, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée conclu le 11 juillet 2014 avec le ministère des affaires étrangères, pour une quotité de travail annuelle de 800 heures, la rémunération étant calculée sur la base de 151,67 heures mensuelles correspondant à 35 heures hebdomadaires et à 1820 heures par an. Dans ces conditions, elle devait être regardée comme exerçant une activité principale salariée de formation distincte de son activité accessoire d'enseignement à destination des étudiants de l'IEP de Paris, pour un cumul total d'au moins neuf cents heures de travail par an, ce qui lui permettait d'apporter la contribution de son expérience à ces étudiants. Les contrats successifs par lesquels elle a été engagée par l'IEP de Paris pour des quotités de travail accessoires, conformément à l'article L. 952-1 du code de l'éducation précité, ne pouvaient donc être regardés comme des contrats à durée déterminée ouvrant droit à transformation en contrat à durée indéterminée, sur le fondement des dispositions de l'article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984.

9. En second lieu, dès lors qu'il résulte des dispositions législatives précitées que les contrats passés par les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur en vue de recruter des agents non titulaires doivent être conclus pour une durée déterminée, la circonstance que les premiers contrats de recrutement de Mme B... l'aient été verbalement ne pouvait avoir légalement pour effet de leur conférer une durée indéterminée.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 28 juillet 2021 de l'administratrice provisoire de l'IEP de Paris rejetant la demande de Mme B... tendant à la requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée, doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

11. Il résulte des points précédents, qu'en recrutant Mme B... en qualité de chargée d'enseignement vacataire par contrats à durée déterminée, même non écrits, l'IEP de Paris n'a pas commis d'illégalité fautive au regard des dispositions citées aux points 4 à 6 ci-dessus, de nature à engager sa responsabilité.

12. Le moyen que Mme B... tire d'un recours abusif à des contrats à durée déterminée, notamment au regard des dispositions de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 et de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à cette directive, doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 8 à 10 de leur jugement.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'IEP de Paris qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais d'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'IEP présentées sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'IEP de Paris présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'Institut d'études politiques de Paris.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Niollet, président-assesseur,

M. Pagès, premier conseiller,

Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 janvier 2025.

La rapporteure,

M-D. JAYERLe président,

J-C. NIOLLET

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00477


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00477
Date de la décision : 29/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. NIOLLET
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN & THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-29;24pa00477 ?
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