Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 octobre 2020 par laquelle la Société d'économie mixte d'animation économique au service des territoires (SEMAEST) a décidé de préempter le lot de copropriété n° 1 d'un immeuble sis 4 rue Dejean et 25 rue des Poissonniers à Paris (XVIIIème arrondissement).
Par un jugement n° 2107478 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 16 octobre 2020.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 mai 2023, la Société d'économie mixte d'animation économique au service des territoires (SEMAEST), représentée par la société civile professionnelle d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation Foussard-Froger, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2107478 du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. F... ;
3°) de mettre à la charge de M. F... le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier faute pour sa minute d'être revêtue des signatures prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le tribunal ne pouvait retenir l'incompétence de l'auteur de l'acte dès lors que le conseil de Paris a, par une délibération des 27, 28 et 29 mars 2017, laquelle était devenue exécutoire, délégué à la SEMAEST le droit de préemption, tandis que le contrat de revitalisation artisanale et commerciale était également exécutoire à la date de la décision de préemption ;
- elle tenait sa compétence pour prendre la décision de préemption critiquée de l'article 7.2 du contrat de revitalisation artisanale et commerciale conclu le 26 avril 2017 ;
- la délégation de compétence consentie à sa directrice générale n'est pas rédigée en termes généraux et a fait l'objet d'une publication de nature à la rendre opposable aux tiers ;
- aucun autre moyen soulevé en première instance n'est fondé.
La requête a été communiquée à M. F..., à la société civile immobilière des Caves du château rouge, à Mme G... I... et à M. D... I..., qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
L'affaire ayant été appelée une première fois à l'audience publique du 12 septembre 2024, la note en délibéré présentée le 20 septembre 2024 pour la SEMAEST a été regardée comme un mémoire et communiquée à ce titre, l'instruction ayant en outre été rouverte.
La SEMAEST y soutient que le non renouvellement du dispositif expérimental des contrats de revitalisation artisanale et commerciale est sans incidence sur le caractère exécutoire des contrats en cours, dès lors que seule une disposition législative expresse pourrait emporter un tel effet, et qu'ainsi le maintien en vigueur du contrat signé par elle lui conférait la qualité de concessionnaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. J...,
- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,
- et les observations de Me Froger, avocat de la SEMAEST.
Deux notes en délibéré ont été présentées pour la SEMAEST les 4 et 6 décembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte authentique du 13 août 2020, la société civile immobilière des Caves du château rouge, Mme I... et M. I... ont promis de vendre à M. F... le lot de copropriété n° 1 de l'ensemble immobilier situé au 4 rue Dejean et 25 rue des Poissonniers à Paris (XVIIIème arrondissement), lequel correspond à un commerce de détail de fruits et légumes exploité par M. F... et à la fraction afférente des parties communes. Par une décision du 16 octobre 2020 signée par Mme L... C..., sa directrice générale, la Société d'économie mixte d'animation économique au service des territoires (SEMAEST) a préempté ce bien au prix mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner. Après avoir formé à l'encontre de cette décision un recours gracieux le 8 décembre 2020 ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, M. F... a saisi le tribunal administratif de Paris qui, par jugement du 17 mars 2023 dont la SEMAEST relève appel devant la Cour, a annulé la décision de préemption du 16 octobre 2020.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort de l'examen de la minute du jugement qu'elle comporte les signatures requises par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient en principe au juge d'appel, saisi d'un jugement annulant un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui.
4. Pour annuler la décision contestée, le tribunal a retenu, d'une part, qu'à la date à laquelle la Ville de Paris lui avait délégué le droit de préemption, la SEMAEST n'était pas concessionnaire d'une opération d'aménagement au sens de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme et que la délégation était, dès lors, irrégulière et, d'autre part, que la décision en litige, signée par la directrice générale de la SEMAEST, était entachée d'incompétence.
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit (...) au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire ". Aux termes de l'article R. 213-1 du même code : " La délégation du droit de préemption prévue par l'article L. 213-3 résulte d'une délibération de l'organe délibérant du titulaire du droit de préemption (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du conseil de Paris des 27, 28 et 29 mars 2017 rendue exécutoire le 31 mars suivant et régulièrement affichée et publiée le 31 mars 2017, la Ville de Paris a, par l'effet de l'article 1er de ladite délibération, concédé à la SEMAEST une opération d'aménagement en lui attribuant un contrat de revitalisation artisanale et commerciale et lui a délégué, par l'effet de ses articles 3 et 4, l'exercice du droit de préemption urbain défini aux articles L. 211-1 et L. 213-1 du code de l'urbanisme sur un périmètre défini par les annexes 2A et 2B. La circonstance que le contrat de revitalisation artisanale et commerciale n'a été signé par le maire que postérieurement à l'entrée en vigueur de la délibération susmentionnée est sans incidence sur l'effectivité de la délégation du droit de préemption. Dès lors, la SEMAEST est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a considéré qu'à la date à laquelle la délibération du 27, 28 et 29 mars 2017 est devenue exécutoire, elle n'était pas concessionnaire d'une opération d'aménagement au sens de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme et ne pouvait donc recevoir délégation du droit de préemption de la Ville de Paris.
7. En second lieu, lorsque le droit de préemption a été délégué à une société d'économie mixte en application des dispositions, citées au point 5, de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme, son organe délibérant peut en déléguer l'exercice à son organe de direction par une délibération. Eu égard à l'étendue du public susceptible d'être destinataire d'une décision de préemption, soit l'ensemble des propriétaires de biens entrant dans le champ de mise en œuvre du droit de préemption urbain et de leurs acquéreurs potentiels, et compte tenu des conséquences qu'emporte l'exercice du droit de préemption sur la liberté de disposer de ses biens, composante du droit constitutionnel de propriété, cette délibération doit faire l'objet d'une publication de nature à le rendre opposable aux tiers. Cette dernière condition ne doit être regardée comme satisfaite que si la décision de délégation de l'exercice du droit afférent à l'un des dirigeants de la société a été publiée, soit dans des conditions qui garantissent un accès en ligne, simple et gratuit, soit dans des conditions identiques à celles dans lesquelles l'a lui-même été l'acte par lequel l'organe délibérant du titulaire du droit de préemption, mentionné à l'article R. 213-1 du code de l'urbanisme, a délégué ce droit. Cette publication, qui peut prendre la forme d'un extrait de la délibération de l'organe délibérant de la société, doit mentionner précisément l'étendue de la délégation consentie et, s'il échet, reproduire les stipulations des statuts de la société ou de l'organisme auxquelles il est renvoyé. La circonstance que, conformément aux dispositions du code de commerce, ces statuts ont eux-mêmes été publiés au greffe du tribunal de commerce et seraient accessibles à toute personne qui en ferait la demande, au demeurant payante, par l'intermédiaire d'un site en ligne dédié n'est pas de nature à pallier l'absence de publication dans les conditions susmentionnées.
8. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération n° 2017-03 du 17 octobre 2017, le conseil d'administration de la SEMAEST a approuvé la nomination de Mme L... B... en qualité de directrice générale et l'a investie " des pouvoirs les plus étendus lui permettant d'agir en toute circonstance au nom de la société et en vertu de l'article 22 bis des statuts et dans la limite de l'objet social de la société. ". Il ressort également des pièces du dossier que, le 25 octobre 2017 a été publiée dans le journal d'annonces légales " La Loi ", relativement à la SEMAEST, l'information suivante : " Le conseil d'administration en date du 17/10/2017 a pris acte de : / - la nomination de Madame K... B... (...), en qualité de nouvelle directrice générale à compter du 18/10/2017 pour une durée illimitée, en remplacement de Monsieur E... A..., directeur général démissionnaire, / (...) ".
9. D'une part, le conseil d'administration de la SEMAEST, en confiant à sa directrice générale, par délibération du 17 octobre 2017, " les pouvoirs les plus étendus ", a entendu l'habiliter à exercer le droit de préemption urbain à chaque fois que celui-ci serait délégué par la Ville de Paris à cette société d'économie mixte à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Il s'ensuit que, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, cette délibération ne peut être regardée comme " rédigée en des termes trop généraux " et comme faisant obstacle à la délégation du droit de préemption.
10. D'autre part, il n'est ni établi par les pièces du dossier ni même allégué, d'une part, que la consultation du journal d'annonces légales " La loi ", dans lequel a été publiée la délégation de compétence critiquée, pourrait s'opérer dans les mêmes conditions que celle du Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, par un accès en ligne et gratuit. En outre, la teneur de la publication en cause, telle que rappelée au point 8, se limite à mentionner la nomination de la directrice générale de la société et ne fait pas apparaître explicitement que l'exercice du droit de préemption urbain lui est délégué, ni n'en expose les conditions de son exercice, alors qu'il peut s'inférer du renvoi opéré par la délibération du conseil d'administration du 17 octobre 2017 à l'article 22 bis des statuts de la société, que ces stipulations viennent à tout le moins préciser ces conditions. En outre, si les statuts de la société sont accessibles sur le site Infogreffe à toute personne qui en fait la demande, ces modalités de publication ne sont pas de nature à assurer le respect de la règle rappelée au point 7.
11. Il résulte de ce qui précède que la délégation de l'exercice du droit de préemption urbain à la directrice générale de la SEMAEST, signataire de la décision litigieuse, n'ayant pas fait l'objet d'une publication de nature à la rendre opposable aux tiers, au sens de la règle rappelée au point 7, cette décision est entachée d'incompétence. La SEMAEST n'est donc pas fondée à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris en prononcé l'annulation.
12. La requête de la Société d'économie mixte d'animation économique au service des territoires ne peut donc qu'être rejetée, en ce comprises ses conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors qu'elle succombe dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la Société d'économie mixte d'animation économique au service des territoires (SEMAEST) est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'économie mixte d'animation économique au service des territoires, à M. H... F..., à la société civile des Caves du château rouge, à Mme G... I... et à M. D... I....
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Stéphane Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- Mme Virginie Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 janvier 2025.
L'assesseure la plus ancienne,
I. JASMIN-SVERDLINLe président, rapporteur,
S. J...
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02228