Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2021 en tant que le ministre de l'intérieur ne lui attribue pas les indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, ainsi que le supplément familial, ni ne prend en compte la bonification du cinquième du temps de service accompli durant sa mise à disposition, ainsi que la décision implicite par laquelle le même ministre a rejeté son recours administratif dirigé, dans cette mesure, contre cet arrêté.
Par un jugement n° 2110757/6-3 du 20 avril 2023, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juin 2023 et 27 septembre 2023, et un mémoire enregistré le 22 avril 2024, M. B..., représenté par Me Riccardi, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 avril 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2021 en tant que le ministre de l'intérieur ne lui attribue pas les indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, ainsi que le supplément familial, ni ne prend en compte la bonification du cinquième du temps de service accompli durant sa mise à disposition, ainsi que la décision implicite par laquelle le même ministre a rejeté son recours administratif dirigé, dans cette mesure, contre cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui attribuer les indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, ainsi que le supplément familial, et de prendre en compte la bonification du cinquième du temps de service accompli durant sa mise à disposition ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant du jugement attaqué :
- celui-ci est irrégulier dès lors qu'il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour répondre au premier mémoire en défense présenté par le ministre ;
S'agissant de l'arrêté attaqué :
- il a été signé par une autorité incompétente ;
- il méconnaît les dispositions des articles 2, 3 et 7 du décret du 28 mars 1967, celles de l'article 24 du décret du 12 mars 1986 et celles des articles 1er et 2 de la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ;
- il est entaché d'une erreur de fait et de qualification juridique des faits ;
- il méconnaît le droit de propriété et le principe du respect des biens garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il méconnaît le principe d'égalité de traitement entre les agents publics.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;
- le décret n° 86-416 du 12 mars 1986 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le décret n° 97-900 du 1er octobre 1997 ;
- le décret n° 2005-716 du 29 juin 2005 ;
- le décret n° 2007-640 du 30 avril 2007 ;
- la décision 30/2020 du conseil d'administration de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes du 11 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Riccardi, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., capitaine de police alors affecté à la préfecture de police de Paris, a été, par un arrêté du ministre de l'intérieur en date du 18 janvier 2021, mis à disposition de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, organisme de l'Union européenne dénommé jusqu'en 2019 Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (ci-après l'Agence Frontex), pour servir à Varsovie (Pologne) en tant que " border guard officer " durant deux ans à compter du 1er janvier 2021. Par un courrier du 25 février 2021, reçu le 8 mars suivant, l'intéressé a formé un recours administratif dirigé contre cet arrêté en tant que celui-ci ne lui attribue pas les indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, ainsi que le supplément familial, ni ne prend en compte la bonification du cinquième du temps de service accompli durant sa mise à disposition. En raison du silence gardé pendant plus de deux mois par le ministre de l'intérieur sur ce recours, celui-ci doit être regardé comme ayant été implicitement rejeté le 8 mai 2021. M. B... fait appel du jugement du 20 avril 2023 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 janvier 2021 et de la décision du 8 mai 2021 en tant que ces décisions ne lui attribuent pas les indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, ainsi que le supplément familial, ni ne prend en compte la bonification du cinquième du temps de service accompli durant sa mise à disposition.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article R. 611-1 de ce code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6 / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".
3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure et des dispositions citées au point précédent impose que la requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur, ainsi que les autres productions si elles contiennent des éléments nouveaux, soient communiqués aux parties en leur laissant un délai suffisant, au besoin en reportant à cette fin la date de l'audience, pour qu'elles puissent en prendre connaissance et éventuellement y répondre par la production d'un nouveau mémoire avant la clôture de l'instruction.
4. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant le Tribunal administratif de Paris que le ministre de l'intérieur a produit un mémoire en défense enregistré le lundi 27 mars 2023 au greffe de ce tribunal, communiqué le même jour au conseil de M. B... et reçu par celui-ci le mardi 28 mars 2023. La clôture de l'instruction devant intervenir trois jours francs avant l'audience du jeudi 6 avril 2023, soit le dimanche 2 avril 2023, le conseil de M. B... disposait ainsi d'un délai de cinq jours pour répondre, le cas échéant, au premier mémoire en défense présenté par le ministre. Dès lors qu'il ressort des pièces de la procédure que le conseil de M. B... n'a présenté avant la clôture de l'instruction, ni même avant l'audience, aucune demande de délai supplémentaire pour répondre à ce mémoire en défense, qu'il n'était pas présent à l'audience, alors qu'il avait reçu l'avis d'audience le 13 mars 2023, et qu'aucune note en délibéré n'a été présentée tendant à faire état d'une circonstance particulière justifiant le renvoi de l'affaire, M. B... doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant disposé d'un délai suffisant pour répliquer au mémoire en défense. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. En premier lieu, M. B... soutient que l'arrêté du 18 janvier 2021 a été signé par une autorité incompétente. Toutefois, Mme C..., adjointe à la cheffe du bureau des officiers de police et signataire de l'arrêté attaqué, bénéficiait d'une délégation de signature du directeur des ressources et des compétences de la police nationale en date du 1er septembre 2020, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française le 3 septembre 2020, à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur tous actes, arrêtés ou décisions relevant des attributions de la direction des ressources et des compétences de la police nationale, à l'exclusion des décrets, aux fins d'exercice des permanences, le bureau des officiers de police relevant, en vertu de l'arrêté du 27 décembre 2017 relatif aux missions et à l'organisation de la direction des ressources et des compétences de la police nationale, de la sous-direction de l'administration des ressources humaines qui a pour mission, notamment, d'assurer la gestion administrative et statutaire du corps de commandement de la police nationale dont M. B... faisait partie à la date de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes, d'une part, de l'article 1er du décret n° 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger : " Le présent décret fixe les modalités de calcul des émoluments des personnels civils employés par l'Etat ou les établissements publics à caractère administratif en dépendant et en service à l'étranger (...) / (...) / Des arrêtés conjoints du ministre d'Etat chargé de la réforme administrative, du ministre de l'économie et des finances et du ministre des affaires étrangères pris sur proposition du ministre intéressé préciseront, pour chaque ministère, les grades et emplois des personnels ainsi que les pays étrangers auxquels les dispositions du présent texte sont applicables (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Les émoluments des personnels visés à l'article 1er comprennent limitativement, sous réserve des modalités d'attribution prévues par le présent décret, les éléments suivants : / 1° Rémunération principale / (...) / L'indemnité de résidence à l'étranger (...) / (...) / 2° Avantages familiaux : / -le supplément familial / (...) / 3° Indemnités forfaitaires pour rembourser des frais éventuels / D'établissement / (...) / De déplacement / 4° Réductions diverses pour tenir compte / (...) / Des rétributions que l'agent peut percevoir d'un gouvernement étranger ou d'un organisme situé à l'étranger / (...) / Les émoluments des personnels visés à l'article 1er sont exclusifs de tout autre élément de rémunération (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Lorsque l'agent perçoit une rémunération d'un gouvernement étranger ou d'un organisme situé à l'étranger, ses émoluments peuvent être calculés : / Soit par application du présent décret. Dans ce cas, les émoluments sont réduits pour tenir compte des rétributions versées par le gouvernement étranger ou l'organisme situé à l'étranger / Les conditions dans lesquelles sont calculées ces réductions sont fixées par arrêté conjoint du ministre intéressé et du ministre de l'économie et des finances / Soit forfaitairement. Dans ce cas, le total formé par le montant de l'indemnité forfaitaire que l'agent perçoit au lieu et place des émoluments prévus au présent décret et celui de la rétribution versée par le gouvernement étranger ou l'organisme situé à l'étranger, ne doit pas excéder les émoluments que l'intéressé percevrait par application du présent décret s'il ne recevait aucune rémunération du gouvernement étranger ou d'un organisme situé à l'étranger ".
7. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret n° 86-416 du 12 mars 1986 fixant les conditions et modalités de prise en charge par l'Etat des frais de voyage et de changement de résidence à l'étranger ou entre la France et l'étranger des agents civils de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif : " Le présent décret fixe les conditions et les modalités de règlement des frais relatifs aux déplacements effectués (...) entre la France et l'étranger : / - par les personnels civils de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Pour l'application des dispositions du présent décret : / 1° La résidence à l'étranger s'entend comme le lieu où l'agent est affecté pour au moins dix mois / (...) / 3° Le changement de résidence s'entend comme un mouvement lié : / - à une affectation à l'étranger pour au moins dix mois (...) ". Aux termes de l'article 20 du même décret : " L'agent changeant de résidence et régi, dans son affectation de départ et/ou de destination, par les dispositions du décret du 28 mars 1967 susvisé (...) a droit, s'il n'est pas recruté sur place ou résident au sens des dispositions de [ce décret], à la prise en charge : / - du voyage entre son ancienne et sa nouvelle résidence pour lui-même et les membres de sa famille, dans les conditions prévues au titre VI du présent décret / - des autres frais qui en résultent pour lui-même et les membres de sa famille dans les conditions prévues aux articles 24 et suivants du présent titre / (...) ". Aux termes de l'article 24 du même décret : " La couverture des frais de changement de résidence de l'agent et de sa famille autres que les frais de voyage est assurée par l'attribution d'une indemnité forfaitaire / (...) ".
8. Enfin, aux termes de l'article 1er du règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 : " Le présent règlement institue un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes pour assurer la gestion européenne intégrée des frontières extérieures (...) ". Aux termes de l'article 4 de ce règlement : " Les autorités nationales des États membres chargées de la gestion des frontières, y compris les garde-côtes dans la mesure où ils effectuent des tâches de contrôle aux frontières, les autorités nationales chargées des retours et l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (ci-après dénommée " Agence ") constituent le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " (...) / 2. L'Agence comprend le contingent permanent du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (ci-après dénommé " contingent permanent ") visé à l'article 54, qui est doté d'une capacité allant jusqu'à 10 000 membres du personnel opérationnel (...) ". Aux termes de l'article 54 du même règlement : " 1. (...) Le contingent permanent se compose des quatre catégories suivantes de personnel opérationnel (...) : / (...) / b) catégorie 2 : personnel détaché par les États membres auprès de l'Agence pour une longue durée dans le cadre du contingent permanent, conformément à l'article 56 / (...) ". Aux termes de l'article 56 du même règlement : " 1. Les États membres contribuent au contingent permanent en détachant des membres du personnel opérationnel auprès de l'Agence en tant que membres des équipes (catégorie 2). La durée de chaque détachement est de vingt-quatre mois (...) / 2. Chaque État membre veille à fournir une contribution continue en membres du personnel opérationnel détachés en tant que membres des équipes (...). Les coûts exposés par le personnel déployé en vertu du présent article sont payés conformément aux règles adoptées en vertu de l'article 95, paragraphe 6 / (...) ". Aux termes de l'article 95 du même règlement : " (...) / 6. (...), le conseil d'administration adopte les règles relatives au détachement de membres du personnel auprès de l'Agence par les États membres conformément à l'article 56 (...). Ces règles comprennent notamment les dispositions financières relatives à ces détachements (...) ". Il résulte des dispositions de l'article 10 de la décision 30/2020 du conseil d'administration de l'Agence Frontex du 11 octobre 2020, prise en application des dispositions précitées du 6 de l'article 95 du règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019, que les frais d'hébergement, de transport et autres frais pertinents directement liés à l'affectation de l'agent détaché sont pris en charge par cette agence. Celle-ci prend également en charge les frais de voyage entre l'Etat membre d'origine de l'agent détaché et le lieu de son affectation au début comme à la fin de son détachement. L'Agence Frontex verse par ailleurs à l'agent détaché une indemnité journalière de séjour ainsi qu'une indemnité annuelle de déplacement privé.
9. Les dispositions de l'article 41 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors en vigueur, qui définissent la mise à disposition comme " la situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce des fonctions hors du service où il a vocation à servir ", ne font pas obstacle à l'application des dispositions du décret n° 67-290 du 28 mars 1967, dont le bénéfice a été étendu aux personnels titulaires des services actifs de la police nationale par un arrêté interministériel du 21 février 2013, et du décret n° 86-416 du 12 mars 1986 aux fonctionnaires en situation de mise à disposition, dès lors qu'ils relèvent de l'Etat ou d'un établissement public à caractère administratif de l'Etat et qu'ils accomplissent leur service à l'étranger.
10. Il résulte des dispositions précitées du décret du 28 mars 1967, notamment de son article 3, que, lorsqu'un agent en service à l'étranger perçoit une rémunération d'un gouvernement étranger ou d'un organisme situé à l'étranger, l'administration dispose de deux méthodes de calcul alternatives pour déterminer le montant des émoluments mentionnés à l'article 2 du même décret restant à sa charge. Soit elle déduit des émoluments qu'elle a déjà versés à son agent les rétributions versées par le gouvernement étranger ou l'organisme situé à l'étranger, soit elle accorde à son agent, en lieu et place des émoluments, une indemnité forfaitaire dont le montant, ajouté à celui-ci de la rétribution versée par le gouvernement étranger ou l'organisme situé à l'étranger, ne doit pas excéder les émoluments que l'agent percevrait en l'absence de rémunération d'un gouvernement étranger ou d'un organisme situé à l'étranger.
11. Tout d'abord, les dispositions de l'article 10 de la décision 30/2020 du conseil d'administration de l'Agence Frontex du 11 octobre 2020 ne prévoyant pas le versement d'une indemnité similaire au supplément familial qui est au nombre des émoluments pouvant être versés à l'agent servant à l'étranger, le ministre ne pouvait légalement refuser à M. B... le bénéfice du supplément familial au motif, invoqué en appel comme en première instance, que les indemnités versées par l'Agence Frontex ne sont pas cumulables avec le supplément familial.
12. Ensuite, alors que le ministre indique, sans être contredit sur ce point, que l'Agence Frontex verse aux agents nationaux détachés auprès d'elle diverses indemnités tendant à couvrir les frais liés à leur affectation située en dehors de leur Etat d'origine, ainsi qu'il ressort des dispositions citées au point 8, M. B... n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments de nature à établir que l'Agence Frontex n'aurait pas prévu de lui verser ces indemnités, ni, dans le cas contraire, que celles-ci ne seraient pas assimilables aux indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger prévues par la réglementation française ou que, le cas échéant, leur montant serait inférieur à celui qui lui serait dû par l'administration française s'il ne devait percevoir aucune rémunération de la part de l'Agence Frontex.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police : " Les agents des services actifs de police de la préfecture de police, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, égale à cinquante-cinq ans, bénéficient, à compter du 1er janvier 1957, s'ils ont droit à une pension d'ancienneté ou à une pension proportionnelle pour invalidité ou par limite d'âge, d'une bonification pour la liquidation de ladite pension, égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police. Cette bonification ne pourra être supérieure à cinq annuités / (...) le bénéfice de la bonification acquise dans les conditions qui précédent est maintenu aux fonctionnaires des services actifs de la préfecture de police également soumis aux dispositions de la loi précitée du 28 septembre 1948 et dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, supérieure à cinquante-cinq ans, auxquels sont également applicables les dispositions de l'alinéa précédent / (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " (...) les personnels des services actifs de police appartenant aux catégories énumérées au premier alinéa de l'article 1er (...) de la présente loi peuvent être admis à la retraite, sur leur demande, à la double condition de justifier de vingt-sept années de services effectifs ouvrant droit à la bonification précitée ou de services militaires obligatoires et de se trouver à cinq ans au plus de la limite d'âge de leur grade (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 de la même loi : " Les dispositions des articles 1er à 3 ci-dessus seront applicables, suivant les mêmes modalités et à l'exception des catégories équivalentes à celles qui, à la préfecture de police n'en sont pas bénéficiaires, aux personnels des services actifs de la sûreté nationale, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 ". Pour l'application de ces dispositions, les services actifs de police sont ceux qui impliquent l'exercice de fonctions de la nature de celles mentionnées à l'article R. 411-2 du code de la sécurité intérieure.
14. Le bénéfice de la bonification spéciale de retraite, prévu par les dispositions des articles 1er et 6 de la loi du 8 avril 1957, est attaché à la nature des fonctions que ces agents exercent en position d'activité. Il suit de là qu'un fonctionnaire de police placé en position de mise à disposition a droit au bénéfice de la bonification spéciale de retraite pour autant que les fonctions qu'il exerce soient analogues, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'exercent les fonctionnaires actifs de police conformément aux dispositions des articles L. 411-2 et R. 411-2 du code de la sécurité intérieure.
15. Si M. B... soutient que l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions précitées des articles 1er et 2 de la loi du 8 avril 1957, la seule circonstance que l'arrêté attaqué n'indique pas que le temps de service accompli par le requérant durant sa mise à disposition à l'Agence Frontex pourra être pris en compte au titre des services actifs ouvrant droit à la bonification spéciale de retraite prévue par ces dispositions, n'induit pas nécessairement que le ministre aurait implicitement refusé de prendre en compte ce temps de service dès lors que, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, un fonctionnaire de police placé en position de mise à disposition ne dispose pas d'un droit automatique au bénéfice de la bonification spéciale de retraite. Du reste, il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué, que les fonctions exercées par l'intéressé au sein de l'Agence Frontex seraient analogues, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'un fonctionnaire actif de police exerce conformément aux dispositions des articles L. 411-2 et R. 411-2 du code de la sécurité intérieure. Par suite, ce moyen doit être écarté.
16. En cinquième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne (...) a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international / (...) ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Aux termes de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général / (...) ".
17. Si les pensions civiles et militaires de retraite constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens des stipulations et dispositions citées au point précédent, la bonification spéciale de retraite, prévue par les dispositions précitées de la loi du 8 avril 1957, en étant un accessoire, M. B... n'est toutefois pas fondé à se prévaloir des stipulations et dispositions citées au point précédent dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 15, que les fonctions exercées par l'intéressé au sein de l'Agence Frontex seraient analogues, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'un fonctionnaire actif de police exerce en France au sein des services actifs de police. De même, s'agissant des indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant serait titulaire d'une créance certaine dans son principe comme dans son montant ni qu'il disposerait d'une espérance légitime d'obtenir ces indemnités pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être écartés.
18. En sixième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Ces modalités de mise en œuvre du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.
19. Il résulte de ce qui précède que, si elles ont le même intitulé et le même objet, les indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger dont peuvent bénéficier les militaires et celle dont peuvent bénéficier les fonctionnaires civils résultent de dispositions distinctes et propres aux statuts et sujétions respectifs des militaires et des fonctionnaires civils. Par conséquent, M. B..., qui se prévaut, en s'appuyant sur des bulletins de solde établis pour les mois de juin et septembre 2023, de la circonstance qu'un gendarme et un adjudant de gendarmerie, détachés auprès de l'Agence Frontex et affectés par celle-ci en Serbie respectivement du 25 janvier 2023 au 31 décembre 2023 et du 25 janvier 2023 au 23 janvier 2024, ont bénéficié, en sus des frais et indemnités versés par l'Agence Frontex, des indemnités de résidence à l'étranger et de changement de résidence à l'étranger, n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué, en tant qu'il ne lui attribue pas ces indemnités, méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement entre les agents publics. Il en va de même s'agissant de la bonification du cinquième du temps de service accompli durant sa mise à disposition à l'Agence Frontex dès lors que cette bonification, prévue par les dispositions citées au point 13, n'est ouverte qu'aux fonctionnaires actifs de la police nationale et qu'en outre, les bulletins de solde concernant le gendarme et l'adjudant de gendarmerie n'en font pas état.
20. En dernier lieu, les moyens tirés d'une erreur de fait et d'une erreur de qualification juridique des faits ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, ces moyens doivent être écartés.
21. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 janvier 2021 en tant que le ministre de l'intérieur n'examine pas son droit éventuel au supplément familial, ainsi qu'à l'annulation de la décision du 8 mai 2021 par laquelle le même ministre a implicitement rejeté son recours administratif dirigé, dans cette mesure, contre cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
22. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".
23. L'exécution du présent arrêt implique seulement que la situation de M. B... au regard du droit au supplément familial soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à ce réexamen et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du ministre de l'intérieur du 18 janvier 2021 et la décision implicite du même ministre du 8 mai 2021 sont annulés en tant que le droit de M. B... au supplément familial n'est pas examiné.
Article 2 : Le jugement n° 2110757/6-3 du Tribunal administratif de Paris du 20 avril 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la situation de M.B... au regard du droit au supplément familial et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,
B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02722