Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2323793 du 12 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 février 2024, M. B..., représenté par Me Visscher, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du l'arrêté du 15 octobre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de fait dès lors qu'il exerçait une activité professionnelle au jour de la décision attaquée ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'incompétence ; elle est insuffisamment motivée ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale ;
- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'incompétence ; elle est insuffisamment motivée ; elle est dépourvue de base légale ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans est disproportionnée et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle est entachée d'incompétence ; elle est dépourvue de base légale ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 12 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 septembre suivant.
Par une décision du 26 décembre 2023, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellig ;
- et les observations de Me Visscher, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né en 1984, relève appel du jugement du 12 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Sur la régularité du jugement :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. B... ne peut donc utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une dénaturation des faits de l'espèce.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions :
3. Les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de l'insuffisance de motivation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refusant un délai de départ volontaire doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 2 et 3 du jugement attaqué.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. M. B... déclare être présent sur le territoire français depuis l'année 2008 et y exercer de manière habituelle une activité professionnelle depuis au moins cinq ans. Toutefois, à supposer même qu'il établisse, par les pièces qu'il produit, sa présence habituelle en France depuis l'année 2009, M. B..., célibataire et sans charge de famille, ne justifie d'aucune attache familiale ou personnelle sur le territoire national, malgré les activités ponctuelles de bénévolat dont il se prévaut. M. B... n'établit pas davantage être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où résident ses parents ainsi que des membres de sa fratrie et où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans au moins. Par ailleurs, M. B... a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en date du 7 décembre 2021 et ne justifie d'aucune demande de titre de séjour avant le mois d'août 2016, soit plus de huit ans après son entrée présumée sur le territoire français. Dans ces conditions, la décision par laquelle la préfète du Val-de-Marne a fait obligation à M. B... de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Cette décision n'est pas davantage, pour les mêmes motifs, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination et refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
6. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 4 et 5 que M. B... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de destination et de celle lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
7. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au présent litige : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
8. D'une part, M. B... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qui n'est assortie d'aucun délai de départ volontaire. L'intéressé ne justifie d'aucune circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, c'est à bon droit que la préfète du Val-de-Marne a décidé de prendre à l'encontre de M. B... une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français.
9. D'autre part, en revanche, il ressort des pièces du dossier que M. B... réside depuis de nombreuses années en France, justifie d'une activité professionnelle et ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Bien qu'il ait fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, en fixant à la durée maximale de trois années la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français dont il fait l'objet, la préfète du Val-de-Marne a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
10. Compte tenu du caractère indivisible de la décision en litige, qui porte à la fois sur le principe de l'interdiction de retour sur le territoire français et sur la durée de cette interdiction, la décision contestée prise à l'encontre de M. B... ne peut qu'être annulée. Une telle annulation ne fait cependant pas obstacle à ce que l'administration prenne une nouvelle mesure d'interdiction, pour une durée mieux adaptée à la situation de M. B..., au regard des quatre critères fixés par la loi.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté de sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la préfète du Val-de-Marne lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois années.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'implique pas le réexamen de la situation de M. B.... Il s'ensuit que les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme quelconque sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2323793 du 12 décembre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 15 octobre 2023 par laquelle la préfète du Val-de-Marne a prononcé à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Article 2 : La décision du 15 octobre 2023 par laquelle la préfète du Val-de-Marne a prononcé à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Dubois, premier conseiller,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 13 décembre 2024.
La rapporteure,
W. LELLIGLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00808 2