Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme de droit belge Frère Bourgeois a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision de rejet de sa demande de dégrèvement d'office du 6 décembre 2019 et de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été distribués au cours de l'année 2010 ou, à titre subsidiaire, de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Les principes européens de primauté, d'effectivité et de coopération loyale, interprétés à la lumière du principe de recours juridictionnel effectif, doivent-ils être interprétés comme s'opposant à une réglementation nationale, à savoir l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, selon laquelle l'administration, fondée au titre du dispositif précité à dégrever d'office des impositions nonobstant une décision juridictionnelle devenue définitive, peut discrétionnairement refuser de faire droit à une demande de dégrèvement, et ce sans qu'aucun recours pour contester une éventuelle décision de refus ne soit ouvert devant les juridictions nationales, et ce alors même que l'imposition dont il s'agit aurait été perçue en violation du droit de l'Union européenne, violation révélée par une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rendue postérieurement à l'imposition initiale ' ".
Par un jugement n° 2004657 du 10 janvier 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Frère Bourgeois.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 mai 2023, 22 septembre 2023 et 2 janvier 2024, les sociétés anonymes de droit belge Frère Bourgeois Holding et FG Bros, représentées par Me de Waal, avocat, demandent à la Cour :
1°) d' annuler le jugement n° 2004657 du tribunal administratif de Montreuil en date du 10 janvier 2023 ;
2°) d'annuler la décision de rejet de la demande de dégrèvement d'office présentée par la société Frère Bourgeois le 6 décembre 2019 ;
3°) de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française distribués à la société Frère Bourgeois au cours de l'année 2010 à concurrence d'un montant de 71 506,98 euros, majoré des intérêts moratoires ;
4°) à titre subsidiaire, de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Les principes européens de primauté, d'effectivité et de coopération loyale, interprétés à la lumière du principe de recours juridictionnel effectif, doivent-ils être interprétés comme s'opposant à une réglementation nationale, à savoir l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, selon laquelle l'administration, fondée au titre du dispositif précité à dégrever d'office des impositions nonobstant une décision juridictionnelle devenue définitive, peut discrétionnairement refuser de faire droit à une demande de dégrèvement, et ce sans qu'aucun recours pour contester une éventuelle décision de refus ne soit ouvert devant les juridictions nationales, et ce alors même que l'imposition dont il s'agit aurait été perçue en violation du droit de l'Union européenne, violation révélée par une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rendue postérieurement à l'imposition initiale ' " ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de condamner l'Etat aux entiers frais et dépens.
Elles soutiennent que :
- la demande présentée sur le fondement de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales a été présentée dans le délai prévu par ces dispositions ;
- le service était tenu, conformément à la décision Kühne et Heitz rendue le 13 janvier 2004 par la Cour de justice des Communautés européennes (C-453/00), de mettre en œuvre le pouvoir de dégrèvement d'office, que lui reconnaît l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales, à raison des retenues à la source appliquées aux dividendes qui lui avaient été distribués en 2010 en méconnaissance des articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne par la décision Sofina du 22 novembre 2018 (C-575/17) ;
- elle remplit les conditions prévues par la décision Kühne et Heitz rendue le 13 janvier 2004 par la Cour de justice des Communautés européennes (C-453/00) ;
- elle est recevable à contester le refus de lui accorder un dégrèvement d'office sur le fondement de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales dès lors que le service se trouvait dans une situation de compétence liée pour appliquer ces dispositions et que sa demande ne revêtait pas un caractère gracieux ;
- l'irrecevabilité opposée par les premiers juges porte atteinte au principe d'effectivité du droit de l'Union et au droit à un recours juridictionnel effectif, consacré par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la décision attaquée et l'irrecevabilité opposée par les premiers juges portent atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit au respect de ses biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention et au droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la même convention ;
- elles justifient de la situation déficitaire de la société Frère Bourgeois en Belgique au titre de l'exercice 2010, ainsi que de l'existence et du montant des retenues à la source en litige ;
- le niveau de preuve exigé par l'administration pour justifier de sa situation déficitaire, qui est excessif, porte atteinte au principe d'effectivité du droit de l'Union européenne et il est constitutif d'une discrimination à l'égard des non-résidents ;
- les dispositions du 2° du I de l'article 235 quater du code général des impôts et la jurisprudence du Conseil d'Etat qui imposent, pour la détermination du résultat déficitaire des sociétés non-résidentes, de tenir compte de l'intégralité des dividendes perçus, sans octroyer les déductions auxquelles les sociétés résidentes peuvent prétendre, instaurent une discrimination contraire au droit de l'Union européenne ;
- conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la somme à restituer doit être majorée des intérêts moratoires au titre de la période durant laquelle l'administration a indûment conservé les sommes en litige.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 juillet 2023, 7 novembre 2023 et 5 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à concurrence de la somme de 5 399,98 euros, les conclusions de la demande de la société Frère Bourgeois à fin de dégrèvement d'office n'ont pas été précédées d'une réclamation préalable, en méconnaissance de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales ;
- l'ajout d'une ou de plusieurs retenues à la source en cours de première instance contrevient à l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, le délai de réclamation ayant expiré au plus tard le 31 décembre 2012 ;
- la demande de première instance était irrecevable, les décisions refusant de procéder à un dégrèvement d'office sur le fondement de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales étant insusceptibles de faire l'objet d'un recours ;
- en tout état de cause, la condition d'immédiateté de la demande prévue par la décision Kühne et Heitz rendue le 13 janvier 2004 par la Cour de justice des Communautés européennes (C-453/00) n'est pas satisfaite en l'espèce ;
- en tout état de cause, il n'est pas établi que la société Frère Bourgeois se trouvait en situation fiscalement déficitaire au cours de l'exercice 2010 dans son Etat de résidence ;
- le montant total des retenues à la source contestées n'est pas davantage établi par les pièces versées au dossier ; le montant justifié de retenue à la source, opérée par le seul établissement payeur connu, la banque BNP Paribas Securities Services, s'élève à la somme de 3 780,80 euros, correspondant à des dividendes versés par la société Eiffage le 28 avril 2010 ;
- aucun intérêt moratoire ne saurait être accordé à raison de dispositions nouvelles comportant un effet rétroactif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemaire,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit belge Frère Bourgeois a perçu, au cours de l'année 2010, des dividendes de source française, qui ont fait l'objet de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. Par un jugement du 5 juillet 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution des retenues à la source prélevées sur ces dividendes. Par une décision du 21 novembre 2016, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre le pourvoi formé contre l'arrêt du 21 juillet 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ce jugement. Compte tenu de l'arrêt Sofina (aff. C-575/17) rendu le 22 novembre 2018 par la Cour de justice de l'Union européenne, la société Frère Bourgeois a adressé à l'administration fiscale, par un courrier du 6 décembre 2019, une demande de restitution de ces retenues à la source sur le fondement de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales. Les sociétés Frère Bourgeois Holding et FG Bros, venant aux droits de la société Frère Bourgeois, relèvent appel du jugement en date du 10 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de cette société tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle l'administration fiscale a refusé d'accorder la restitution demandée.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " (...) / (...) le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / (...) / 5° Sur les requêtes contestant les décisions prises en matière fiscale sur des demandes de remise gracieuse ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 351-4 de ce code : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une de ces juridictions administratives, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, (...) pour rejeter la requête en se fondant sur l'irrecevabilité manifeste de la demande de première instance ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales : " La direction générale des finances publiques (...) peut prononcer d'office le dégrèvement ou la restitution d'impositions qui n'étaient pas dues, jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle le délai de réclamation a pris fin, ou, en cas d'instance devant les tribunaux, celle au cours de laquelle la décision intervenue a été notifiée. / (...) ".
4. Quels que soient les motifs pour lesquels un contribuable sollicite un dégrèvement ou une restitution sur le fondement des dispositions rappelées au point précédent, la décision de l'administration de faire ou non usage du pouvoir que lui confèrent lesdites dispositions, lorsque les délais de recours contentieux dont dispose le contribuable, notamment pour faire valoir une non-conformité au droit de l'Union européenne dans les conditions prévues à l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, sont expirés, revêt un caractère purement gracieux. Il en résulte que le refus d'accorder un dégrèvement ou une restitution sur le fondement de ces dispositions est insusceptible de recours. Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir formé par la société Frère Bourgeois contre la décision implicite par laquelle l'administration fiscale a refusé de mettre en œuvre la faculté que lui confèrent les dispositions de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales était manifestement irrecevable, cette irrecevabilité ne méconnaissant ni ses droits à un procès équitable et à un recours effectif, garantis par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni son droit au respect de ses biens, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, ni les principes d'effectivité et de primauté du droit de l'Union, ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Par suite, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, les sociétés Frère Bourgeois Holding et FG Bros ne sont pas fondées à demander l'annulation du jugement attaqué. Leurs conclusions à fins d'annulation et de restitution doivent dès lors être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, celles qu'elles ont présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en tout état de cause, celles tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens de l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des sociétés Frère Bourgeois Holding et FG Bros est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés anonymes de droit belge Frère Bourgeois Holding et FG Bros et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction des impôts des non-résidents.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 13 décembre 2024.
Le rapporteur,
O. LEMAIRE
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23PA01874