Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée d'office à l'issue de ce délai.
Par un jugement n° 2216794 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 février 2024, Mme B..., représentée par Me Lantheaume, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire " ou la mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente du réexamen, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à Me Lantheaume au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de renonciation par son conseil à la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
S'agissant de l'ensemble des décisions :
- elles sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une décision du 8 janvier 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Larsonnier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B..., ressortissante haïtienne née le 4 février 2001 est entrée en France en 2020 selon ses déclarations, sous couvert d'un visa de long séjour, délivré en exécution du jugement n° 1800510 du 10 mars 2020 du tribunal administratif de Nantes, afin de rejoindre sa mère, Mme A... B..., bénéficiaire de la protection subsidiaire en vertu d'une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 novembre 2010. Le 29 mars 2022, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de membre de la famille d'un bénéficiaire de protection subsidiaire, ou à défaut, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 11 octobre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle était susceptible d'être éloignée à l'issue de ce délai. Par un jugement du 31 octobre 2023, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire ", identique à la carte prévue à l'article L. 424-9 délivrée à l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire, est délivrée à : " (...) 3° Ses enfants dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 421-35; (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable à la date de la décision de refus de séjour en litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". L'article L. 561-3 du même code dispose : " La réunification familiale est refusée : / 1° Au membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile ; / 2° Au demandeur ou au membre de la famille qui ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ".
4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que l'enfant mineur qui a rejoint, au titre de la réunification familiale, son père ou sa mère bénéficiaire de la protection subsidiaire, se voit attribuer de plein droit, à sa majorité, une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire ".
5. En premier lieu, il ressort des termes de la décision en litige que pour refuser à Mme B... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé sur la circonstance que l'intéressée ne justifiait pas être prise en charge financièrement par sa mère, bénéficiaire de la protection subsidiaire depuis le 29 juin 2010. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 2, que ce motif n'est pas au nombre de ceux qui peuvent justifier le refus de délivrance d'un titre de séjour " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire " à l'enfant de ce bénéficiaire. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, retenir ce motif pour refuser de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire ".
6. En second lieu, le préfet de la Seine-Saint-Denis soutient pour la première fois en appel que Mme B..., âgée de plus de dix-neuf ans à la date de sa demande de titre de séjour, n'entre pas dans le champ d'application du 3° de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et estime que ce motif pourrait être substitué au motif erroné qui a fondé sa décision initiale. Il est vrai qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B..., entrée en France selon ses déclarations en 2020, munie d'une autorisation provisoire de séjour délivrée le 13 avril 2021 par le préfet de la Guadeloupe, a présenté auprès des services de la préfecture de la Seine-Saint-Denis une demande de titre de séjour en sa qualité de membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire le 29 mars 2022, c'est-à-dire à l'âge de vingt-et-un ans. Il ressort cependant des pièces du dossier que dès le 1er septembre 2016, la délivrance d'un visa de long séjour avait été sollicité pour Mme B..., alors âgée de quinze ans, auprès des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince, au titre de la réunification familiale, afin de rejoindre, avec ses deux demi-frères âgés de 9 et 12 ans, leur mère bénéficiaire de la protection subsidiaire depuis le 8 novembre 2010. Cette demande a été rejetée par une décision du 5 avril 2017 des autorités consulaires, qui a été confirmée par une décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Toutefois, par un jugement rendu le 10 mars 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé ce refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à C... B... le visa de long séjour sollicité, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Munie de ce visa long séjour, Mme B... a ainsi pu entrer en Guadeloupe en 2020 à l'âge de dix-neuf ans, avant de rejoindre la métropole en avril 2021. Il résulte de cette chronologie que si la demande de titre de séjour présentée par l'intéressée a été formée après sa majorité, cette circonstance n'est imputable qu'au refus illégal qui a été opposé à la demande de visa de long séjour présentée pour son compte. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme B... vit avec sa mère et ses quatre demi-frères, dont deux sont nés en France en 2013 et 2016. Elle a bénéficié d'une formation à l'école de la deuxième chance entre le 19 avril 2022 et le 17 mars 2023 pendant laquelle elle a effectué des stages en qualité de personnel de cuisine et d'aide en puériculture. Il ressort de la fiche d'évaluation de son stage en crèche qu'elle a été assidue et qu'elle a un bon relationnel avec les enfants et l'équipe professionnelle. A la date de la décision contestée, sa mère était titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'en mars 2023 et disposait d'un contrat à durée indéterminée. Au vu de l'ensemble de ces éléments, notamment de ses liens familiaux en France, et alors que le refus de délivrer à l'intéressée un visa long séjour pour établissement familial le 5 avril 2017 était entaché d'illégalité, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur le motif tiré de ce que Mme B... était majeure au moment de sa demande de titre de séjour. Il n'y a, dès lors, pas lieu de procéder à la substitution demandée. Par suite, la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis du 11 octobre 2022 refusant à Mme B... un titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, lesquelles sont dépourvues de base légale.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. Il ressort des dispositions des articles L. 561-2 et L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, sous réserve que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, l'enfant mineur d'un ressortissant étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire est autorisé à rejoindre, au titre de la réunification familiale, ce parent et se voit attribuer, de plein droit, une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire " dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire.
9. Le présent arrêt annule le refus illégalement opposé à Mme B... à sa demande de carte de séjour pluriannuelle. Ainsi qu'il a été dit, la décision refusant de délivrer à Mme B..., alors mineure, le visa long séjour qui lui aurait permis de rejoindre sa mère au titre de la réunification familiale en 2017 et de se voir ainsi attribuer de plein droit une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire " dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire était elle-même illégale. Alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus à l'intéressée, le présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs qui le fondent, que l'administration délivre à Mme B... une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire ". Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de lui délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification qui lui sera faite du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 8 janvier 2024. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lantheaume, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lantheaume de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2216794 du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 11 octobre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme B... une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Lantheaume, avocat de Mme B..., la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Me Lantheaume renoncera, s'il recouvre cette somme, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
A. Menasseyre
Le greffier
P. Tisserand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00654