Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Hermitage a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, ainsi que des intérêts de retard correspondants.
Par un jugement no 1915673/1-3 du 23 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 janvier, 21 et 22 mai et 21 décembre 2023, la société par actions simplifiée Hermitage demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions mises à sa charge ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle était en droit de déduire de ses résultats les intérêts dus à la société mère dès lors que le taux de 7 % fixé en 2012 n'était pas excessif, conformément aux dispositions du a) du I de l'article 212 du code général des impôts ;
- la société mère, Hermitage international SA, était assujettie au Luxembourg à raison des intérêts versés à une imposition dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices, conformément aux dispositions du b) de l'article I de l'article 212 du code général des impôts.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 mars, 17 novembre 2023 et 22 janvier 2024, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laforêt,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Hermitage, qui exerce une activité de location et de promotion immobilière, a souscrit le 17 octobre 2008, modifié par plusieurs avenants, auprès de sa société-mère et associé unique, la société de droit luxembourgeois Hermitage International SA, un emprunt et a comptabilisé en charges les intérêts au titre de ce prêt. La société requérante a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause l'intégralité du montant des déductions opérées au titre des intérêts versés en rémunération du contrat de prêt conclu avec la société mère tel qu'il résulte de l'avenant du 15 janvier 2012, au motif que la société ni ne justifie de la normalité d'un taux d'intérêts de 7 %, ni ne démontre que ces intérêts avaient fait l'objet d'une imposition minimale sur les bénéfices chez la société créancière en méconnaissance des dispositions a) et b) du I de l'article 212 du code général des impôts. Les rectifications en matière d'impôts sur les sociétés s'élèvent aux sommes de 1 071 660 euros pour 2013 et 1 050 323 euros pour 2014 en application du a) précité et de 624 821 euros pour 2013 et 667 037 euros pour 2014 en application du b) précité. Les impositions supplémentaires résultant des rectifications opérées ont été mises en recouvrement le 28 septembre 2018 pour un montant de 1 141 280 euros en droits et 113 881 en intérêts de retard. Par sa requête, la société Hermitage demande à la cour d'annuler le jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en conséquence des rectifications précitées.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Aux termes du I de l'article 212 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " I.- Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 sont déductibles / a) dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 de l'article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ; / b) Et, sous réserve que l'entreprise débitrice démontre, à la demande de l'administration, que l'entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l'exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun ". Aux termes du 1 de l'article 39 du même code dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) 3° Les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu'ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d'une durée initiale supérieure à deux ans ". En vertu du 12 de ce même article, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ou lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre, dans les conditions définies précédemment, sous le contrôle d'une même tierce entreprise.
En ce qui concerne le a) du I de l'article 212 du code général des impôts :
3. Le taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s'entend, pour l'application de ces dispositions, du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence. Le profil de risque doit, pour l'application de ces dispositions, en principe être apprécié au regard de la situation économique et financière consolidée de l'entreprise emprunteuse et de ses filiales. L'entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen. Dans le cas d'une renégociation du prêt, il appartient en outre à la société emprunteuse de démontrer l'intérêt que représente pour elle une telle opération.
4. Il résulte de l'instruction que la société avait contracté le 17 octobre 2008 un prêt de 15 millions d'euros auprès de sa société mère avec pour terme une échéance au 30 avril 2014 et un taux d'intérêts basé sur le taux moyen annuel euribor 12 mois augmenté de 2 points. Un premier avenant a modifié la date d'échéance du prêt en le portant au 31 juillet 2020 et un deuxième avenant a ramené l'échéance au 30 avril 2020 et a modifié les conditions relatives au taux d'intérêts à un taux fixe annuel de 7 % applicable à compter du 1er janvier 2012. Il est constant que ce dernier avenant a eu pour effet d'augmenter le taux d'intérêt qui aurait été de 3,497 % dans les conditions initiales du prêt, d'ailleurs proche du taux de référence de 3,39 %. En défense, l'administration fiscale considère que le taux accordé par la société prêteuse a été porté arbitrairement à ce niveau de 7 %, cet avenant ne prévoyant par exemple pas d'allongement de la durée du prêt ou d'augmentation de son montant. Or, la société requérante n'apporte aucune justification de nature à expliquer le choix d'aggraver le taux d'emprunt qui serait justifié dans le cadre d'un taux de pleine concurrence. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a procédé au rehaussement en application du a) du I de l'article 212 du code général des impôts.
En ce qui concerne le b) du I de l'article 212 du code général des impôts :
5. Le dispositif d'exclusion de la déduction des intérêts prévu au b) du I de l'article 212 du code général des impôts ne trouve pas à s'appliquer lorsque la société créancière est assujettie à l'impôt à raison des intérêts qu'elle perçoit pour un montant au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices de droit commun, quand bien même elle ne se trouverait pas effectivement imposée parce qu'elle se trouve en situation déficitaire.
6. Il résulte de l'instruction que l'administration a refusé à la société Hermitage la déduction de l'intégralité des intérêts versés à sa mère luxembourgeoise, au motif qu'il n'était pas justifié que cette dernière société aurait été assujettie à raison de ces intérêts, ainsi que le prévoient les dispositions précitées du b) du I de l'article 212 du code général des impôts, à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun.
7. La société Hermitage soutient que le taux de l'impôt sur le revenu des collectivités au Luxembourg, qui est assimilable à l'impôt sur les sociétés français, s'élevait en 2013 et 2014 à 20 % lorsque le revenu imposable était inférieur à 15 000 euros et à 21 % lorsque le revenu imposable est supérieur 15 000 euros. Elle a produit une attestation de résidence fiscale par laquelle l'administration fiscale luxembourgeoise certifie que Hermitage International SA " est résidente au Grand-Duché de Luxembourg au sens de l'article 2 de la convention entre le Luxembourg et la France et qu'elle est assujettie, sans possibilité d'option et sans en être exonérée à l'impôt sur le revenu des collectivités " ainsi qu'une attestation de son commissaire aux comptes qui rappelle le taux applicable et précise qu'aucune exonération fiscale ni abattement n'a été appliqué. La société requérante a également versé aux débats les déclarations fiscales de la société prêteuse qui font apparaître, d'une part que les intérêts perçus de la société Hermitage ont contribué à la formation du résultat comptable et, d'autre part, que si l'imposition finale de la société Hermitage International SA est inexistante, cela tient à ce que cette société est elle-même déficitaire. La société requérante produit enfin les dispositions fiscales du Luxembourg qui incluent les intérêts des créances dans le calcul des revenus.
8. En l'espèce, les documents qui viennent d'être mentionnés établissent une perte comptable de 3 567,89 euros en 2013 et une perte de 209 326, 61 en 2014 pour la société luxembourgeoise. En se bornant à soutenir que les éléments généraux sur la législation fiscale au Luxembourg ne permettent pas de connaître le montant de l'impôt auquel a été assujettie la société créancière à raison des intérêts reçus, alors qu'elle est déficitaire, et que la société ne justifie pas que les intérêts sur emprunt ont été imposés à un taux supérieur au quart de l'impôt sur les sociétés français, l'administration ne conteste pas sérieusement que la société appelante a justifié remplir les conditions du b) du I de l'article 212 du code général des impôts et avait, par suite, droit à la déduction des intérêts versés à la société Hermitage International SA à concurrence du taux prévu au 3° du 1 de l'article 39 de ce même code.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Hermitage est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et en 2014 à concurrence de la prise en compte de la déduction des intérêts versés à la société Hermitage International SA calculés selon le taux prévu au 3° du 1 de l'article 39 du code général des impôts. Le surplus de ses conclusions à fin de décharge ne peut, en revanche, qu'être rejeté.
Sur les dépens de l'instance :
10. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête ou de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat ". La présente instance n'ayant pas comporté de tels frais, les conclusions de la société requérante tendant à l'application de cet article ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés assigné à la société Hermitage au titre des exercices clos en 2013 et 2014 sont réduites à concurrence de la prise en compte de la déduction des intérêts qu'elle a versés à la société Hermitage International SA, calculés selon le taux prévu au 3° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.
Article 2 : La société Hermitage est déchargée des droits et intérêts de retard correspondant aux réductions des bases d'imposition définies à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement n° 1915673/1-3 du 23 novembre 2022 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société Hermitage une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Hermitage est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Hermitage et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée du contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Laforêt, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
Le rapporteur,
E. LAFORETLe président,
B. AUVRAY
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00330