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29/11/2024 | FRANCE | N°23PA05210

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 29 novembre 2024, 23PA05210


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SCI Cléry a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté

n° PC 075 102 21 V00004 du 31 décembre 2021 par lequel la maire de Paris a refusé de lui délivrer un permis de construire pour le changement de destination d'un commerce en hébergement hôtelier et la modification de la devanture, pour un local situé au 90, rue de Cléry, dans le 2ème arrondissement de Paris.



Par un jugement n° 2204746 du 30 octobre 2023, le tribunal a

dministratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Cléry a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté

n° PC 075 102 21 V00004 du 31 décembre 2021 par lequel la maire de Paris a refusé de lui délivrer un permis de construire pour le changement de destination d'un commerce en hébergement hôtelier et la modification de la devanture, pour un local situé au 90, rue de Cléry, dans le 2ème arrondissement de Paris.

Par un jugement n° 2204746 du 30 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 décembre 2023 et

3 septembre 2024, et un nouveau mémoire non communiqué, enregistré le 4 octobre 2024, la SCI Cléry, représentée par Me Jobelot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 30 octobre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la maire de Paris du 31 décembre 2021, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre à la Ville de Paris, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à titre principal, de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué, qui a été notifié le 12 janvier 2022 et retire le permis de construire tacite né le 7 janvier 2022, a été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute qu'elle ait été invitée à présenter ses observations ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

- la demande de permis de construire n'était entachée d'aucune fraude visant à dissimuler la méconnaissance par le projet litigieux des dispositions de l'article UG.7.1 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- le nouveau motif dont la substitution est sollicitée en appel par la Ville n'est pas fondé, la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et des articles 27-2 et 40-1 du règlement sanitaire de Paris ne pouvant être utilement invoquée et manquant en fait.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 5 août et 19 septembre 2024, la Ville de Paris conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;

- si la cour considérait que le pétitionnaire n'a pas entendu échapper à l'application de l'article UG.7 en se livrant à des manœuvres frauduleuses, la décision attaquée pourrait être fondée sur un autre motif, tiré de ce que le pétitionnaire s'est livré à une présentation frauduleuse de son projet afin d'échapper à l'application, d'une part, de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et, d'autre part, des articles 27-2 et 40-1 du règlement sanitaire départemental de Paris, toujours du fait de l'absence de fenêtre dans la chambre présentée comme un espace entièrement dévolu au rangement ;

- le motif tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme est fondé.

Par un courrier en date du 4 septembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience.

Par ordonnance du 15 octobre 2024, prise en application des articles R. 611-11-1 et

R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fombeur,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- les observations de Me Drouet, avocat de la SCI Cléry,

- et les observations de Me Froger, avocat de la Ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Cléry est propriétaire d'un local commercial situé au rez-de-chaussée du 90, rue de Cléry, dans le 2ème arrondissement de Paris, qu'elle donne à bail à une autre SCI, laquelle y exerce une activité d'hébergement touristique de courte durée depuis décembre 2017. Le 22 février 2021, elle a déposé une demande de permis de construire destinée à régulariser le changement de destination de ce local de commerce en hébergement hôtelier et la modification de sa devanture. La maire de Paris a rejeté cette demande par un arrêté du 31 décembre 2021, notifié le

12 janvier 2022. La SCI Cléry fait appel du jugement du 30 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 423-38 du code de l'urbanisme : " Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du présent livre, l'autorité compétente, dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur (...) une lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes ". Aux termes de l'article R. 423-39 de ce code : " L'envoi prévu à l'article R. 423-38 précise : a) que les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception ; / b) Qu'à défaut de production de l'ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l'objet d'une décision tacite de rejet en cas de demande de permis (...) ; / c) Que le délai d'instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie. ".

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un dossier de demande de permis de construire est incomplet, l'administration doit inviter le demandeur, dans un délai d'un mois à compter de son dépôt, à compléter sa demande dans un délai de trois mois en lui indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes. Si le demandeur produit, dans ce délai de trois mois à compter de la réception du courrier l'invitant à compléter sa demande, l'ensemble des pièces manquantes répondant aux exigences du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme, le délai d'instruction commence à courir à la date à laquelle l'administration les reçoit et, si aucune décision n'est notifiée à l'issue du délai d'instruction, un permis de construire est tacitement accordé. A l'inverse, si le demandeur ne fait pas parvenir l'ensemble des pièces manquantes répondant aux exigences du livre IV dans le délai de trois mois, une décision tacite de rejet naît à l'expiration de ce délai. Si l'administration, ultérieurement saisie des pièces manquantes, peut instruire la demande de permis de construire sans exiger le dépôt d'un nouveau dossier de demande, le demandeur ne peut toutefois, dans une telle hypothèse, se prévaloir d'aucun permis de construire tacitement accordé à l'issue du délai d'instruction. En cas de rejet de sa demande de permis de construire, il est en revanche recevable à demander l'annulation de la décision de refus, dans le délai de recours contentieux qui part de la notification de cette dernière décision, qui ne peut être regardée comme purement confirmative de la décision tacite rejetant sa demande en raison de son caractère incomplet.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par courrier du 15 mars 2021, comportant les informations prévues par l'article R. 423-39 du code de l'urbanisme, la Ville de Paris a demandé à la SCI Cléry de produire les pièces nécessaires pour compléter sa demande déposée le 22 février 2021. Il ressort de l'accusé de réception produit en appel par la Ville de Paris que la SCI Cléry a reçu ce courrier le 19 mars 2021. La société fait valoir qu'elle a déposé les pièces complémentaires demandées entre le 27 juin et le 12 juillet 2021. A ces dates, une décision tacite de rejet de sa demande était déjà née. Par suite, si les services de la Ville ont poursuivi l'instruction de son dossier et si l'instructrice de sa demande, par courriel du 6 décembre 2021, lui a confirmé le dépôt des pièces complémentaires le 6 septembre 2021, en mentionnant une date limite d'instruction le

6 janvier 2022, il n'en résulte pas que la SCI Cléry serait devenue titulaire d'un permis de construire tacite né à cette date. Par suite, l'arrêté litigieux ne peut être regardé comme retirant implicitement un tel permis tacite et, ainsi que l'a jugé le tribunal, il n'avait pas à être précédé d'une procédure contradictoire.

5. En second lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Aux termes de l'article UG.7.1 du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris : " (...) Toute pièce principale doit être éclairée par au moins une baie comportant une largeur de vue égale à 4 mètres au minimum (...). Toutefois, les changements de destinations de locaux non conformes à ces normes (prospect et largeur de vue) peuvent être admis à condition qu'après travaux, les locaux présentent des conditions d'hygiène, de sécurité et d'éclairement satisfaisantes et, s'ils sont occupés par de l'habitation, répondent aux normes du logement décent. Cette possibilité n'existe que pour les locaux achevés à la date d'entrée en vigueur du présent règlement ". Selon la définition donnée par le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris, " est considérée comme pièce principale toute pièce destinée au séjour, au sommeil ou au travail d'une manière continue. ".

7. La caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet dans le but d'échapper à l'application d'une règle d'urbanisme. Une information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s'étant livré à l'occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l'administration.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des photos et commentaires assortissant la location du local en cause sur une plateforme de mise en relation des propriétaires et des voyageurs, qu'à la date du dépôt de sa demande de permis de construire par la SCI Cléry, comme à la date de la décision attaquée, la pièce centrale, située entre la pièce de vie et la salle d'eau et dépourvue de toute fenêtre, était aménagée en chambre, alors que les plans produits à l'appui de la demande de permis faisaient apparaître un espace comportant uniquement des placards. Si la SCI Cléry produit une annonce et un constat d'huissier de juin 2023 qui font état, à cette date, d'un " espace bureau " dans cette pièce centrale sans fenêtre - alors qu'il résulte au surplus de la définition donnée par le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris qu'une pièce destinée au travail d'une manière continue doit être regardée comme pièce principale -, il ressort des pièces du dossier que le local a été ultérieurement présenté de nouveau sur deux plates-formes comme comportant une chambre et permettant l'accueil de quatre personnes. Ainsi, la SCI doit être regardée comme ayant procédé à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet, pour échapper à l'application des dispositions, citées ci-dessus, de l'article UG.7.1 du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris. Il résulte de l'instruction que la maire aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce motif, qui est de nature à fonder légalement le refus de permis de construire contesté. C'est dès lors à bon droit que le tribunal administratif de Paris, qui n'a, ce faisant, privé la SCI requérante d'aucune garantie procédurale, a procédé à la substitution de motifs demandée par la Ville de Paris pour rejeter la demande de la SCI.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les motifs tirés de l'inexacte appréciation portée au regard de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ainsi que de la présentation frauduleuse du projet pour échapper à l'application de cet article et des articles 27-2 et 40-1 du règlement sanitaire départemental de Paris, que la SCI Cléry n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre le rejet de sa demande et tendant à ce qu'il soit enjoint à la Ville de Paris de lui délivrer un permis de construire.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Cléry une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Ville et non compris dans les dépens.

DECIDE:

Article 1er : La requête de la SCI Cléry est rejetée.

Article 2 : La SCI Cléry versera à la Ville de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Cléry et à la Ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour, rapporteure ;

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2024

La présidente assesseure,

M. A...

La présidente-rapporteure,

P. FOMBEUR

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA05210


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05210
Date de la décision : 29/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Pascale FOMBEUR
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SCP FOUSSARD-FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-29;23pa05210 ?
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