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20/11/2024 | FRANCE | N°24PA00146

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 20 novembre 2024, 24PA00146


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 14 septembre 2023 par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2321486/1-2 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé

l'interdiction de retour sur le territoire français et a rejeté le surplus des conclusions de M. B....
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 14 septembre 2023 par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2321486/1-2 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français et a rejeté le surplus des conclusions de M. B....

Procédure devant la Cour

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 9 janvier et 19 mars 2024, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif du tribunal administratif de Paris du 8 décembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif, ainsi que ses conclusions d'appel incident.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'interdiction de retour sur le territoire français comme reposant sur une erreur d'appréciation ; il aurait pu prendre la même décision sans se fonder sur la menace à l'ordre public ;

- les moyens soulevés par M. B... contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ne sont en tout état de cause pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 3 mars et le 4 avril 2024, M. B..., représenté par Me Velasco, demande à la Cour:

1°) de rejeter la requête du préfet de police ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 décembre 2023, en ce qu'il a pour partie rejeté ses conclusions, et d'annuler l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'instruire sa demande de titre de séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire n'est pas motivée ;

- elle est entachée d'erreur de droit, M. B... ne représentant pas une menace pour l'ordre public et remplissant les conditions pour résider en France ;

- elle méconnait les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'erreur de fait ;

- elle est entachée d'une erreur de d'appréciation quant à la menace pour l'ordre public ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans est insuffisamment motivée et est fondée sur une erreur de droit et sur une erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les observations de Me Velasco, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Par deux arrêtés du 14 septembre 2023, le préfet de police a obligé M. B..., ressortissant algérien né le 22 juillet 1992 à Tizi-Ouzou (Algérie), à quitter le territoire, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet de police fait appel du jugement du 8 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français. M. B... demande par la voie de l'appel incident l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " L'article L. 612-10 du même code dispose que " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

3. Même si M. B... fait état de certaines attaches en France où il a poursuivi des études à partir de l'année 2016 et où il a entrepris une activité professionnelle en 2019, et a engagé des démarches afin de régulariser sa situation, la menace qu'il représente pour l'ordre public est établie par la circonstance qu'il a été interpellé en conduisant sans permis de conduire délivré par les autorités françaises. De plus, il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement prise par le préfet de la Seine-Saint-Denis le 13 novembre 2020. Dans ces conditions, l'arrêté en litige, portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois, ne peut, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, être regardé comme reposant sur une erreur d'appréciation. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que les premiers juges ne pouvaient se fonder sur ce motif pour l'annuler.

4. En deuxième lieu, par un arrêté n° 2023-01047 du 23 janvier 2023 régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture de police n° 75-2023-511 du même jour, le préfet de police a donné à Mme C... D..., attachée d'administration de l'État, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de l'arrêté en litige, portant interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré devant le tribunal administratif, de ce que cet arrêté aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté.

5. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., l'arrêté en litige, portant interdiction de retour sur le territoire français, fait référence à l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris le même jour. De plus, il s'attache à son entrée sur le territoire français en 2016, à ses liens en France, à la circonstance qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 13 novembre 2020 et à la menace que sa présence sur le territoire français représente pour l'ordre public. Ainsi, il est suffisamment motivé.

6. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la menace que M. B... représente pour l'ordre public est établie par la circonstance qu'il a été interpellé en conduisant sans permis de conduire délivré par les autorités françaises. Le moyen tiré d'une erreur de droit sur ce point doit donc être écarté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, M. B... reprend en appel, sans apporter d'élément de nature à remettre en cause l'appréciation du tribunal, le moyen tiré du défaut de motivation. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 de leur jugement.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents (...) ".

9. Si M. B... soutient qu'il ne représentait pas une menace pour l'ordre public et remplissait les conditions pour résider en France, le préfet pouvait légalement l'obliger à quitter le territoire dès lors qu'il s'était antérieurement vu refuser le renouvellement de son titre de séjour le 13 novembre 2020, et qu'il résidait, depuis lors, irrégulièrement sur le territoire. Ainsi, il entrait dans le cas prévu ci-dessus, dans lequel le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., commerçant, est sans charge de famille, alors qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de 24 ans. S'il fait valoir sa relation avec une compatriote résidant en France, il n'en établit pas la réalité en se bornant à fournir son titre de séjour. S'il fait également état de la durée de sa présence en France et de la présence sur le territoire de sa tante et de son oncle, ces éléments sont insuffisants pour établir que le préfet de police aurait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations citées ci-dessus.

Sur la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :

12. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision (...) ". L'article L. 612-2 du même code dispose que " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ", l'article L. 612-3 précisant que " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...)5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes (...) ".

13. Si M. B... soutient que son comportement ne constituait pas une menace pour l'ordre public, qu'il présentait des garanties de représentation suffisantes, et que le préfet de police ne pouvait donc se fonder sur les dispositions du 1°) de l'article L. 612-2 et du 8°) de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cités ci-dessus, pour le priver d'un délai de départ volontaire, le préfet de police s'est également fondé sur le 5°) de l'article L. 612-3 du même code. Or, M. B... ne conteste pas s'être soustrait à une précédente obligation de quitter le territoire français prise le 13 novembre 2020. Le préfet de police pouvait donc, pour ce seul motif, refuser de lui accorder un délai de départ volontaire.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 14 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, et que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal a rejeté le surplus de ses conclusions. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2321486/1-2 du tribunal administratif de Paris du 8 décembre 2023, est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris, tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 septembre 2023, portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2024.

Le rapporteur, La présidente,

J-C. NIOLLET J. BONIFACJ

La greffière,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00146


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00146
Date de la décision : 20/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : VELASCO

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-20;24pa00146 ?
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