Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société KM Service a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 5 avril 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale alors mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 54 750 euros et la contribution forfaitaire alors prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 6 372 euros.
Par jugement n° 2205590 du 5 décembre 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du directeur général de l'OFII du 5 avril 2022 en tant qu'elle a mis à la charge de la société KM Service la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine au titre de l'emploi de M. F... A... et de M. C... B....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 janvier 2024, l'OFII, représenté par Me de Froment, demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 2205590 du 5 décembre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande de la société KM Service ;
3°) de mettre à la charge de la société KM Service la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la matérialité des faits qui sont reprochés à la société KM Service est établie ;
- en présence d'un cumul d'infractions et en l'absence de preuves de versement de l'intégralité des salaires et indemnités prévus par l'article L. 8252-2 du code du travail, la société ne peut pas prétendre à une minoration de la contribution spéciale mise à sa charge.
Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 6 mars 2024, la société KM Service, représentée par Khiat Cohen, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 décembre 2023 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté la demande de la société KM Service concernant M. E... D... ;
2°) d'annuler la décision du 5 avril 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au titre de l'emploi de M. E... D... ;
3°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 5 avril 2022 du directeur général de l'OFII est insuffisamment motivée ;
- elle a cru de bonne foi que M. A... et M. B... étaient de nationalité italienne et elle ignorait le caractère frauduleux de leur pièce d'identité ;
- concernant l'emploi de M. E... D..., son emploi a été repris dans le cadre de l'achat du fonds de commerce du restaurant en 2019 et elle a effectué les vérifications qui lui incombaient sans que l'erreur orthographique présente sur la pièce d'identité italienne puisse constituer à elle seule la preuve du caractère frauduleux de ce document.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 février 2021, les services de l'inspection du travail ont été sollicités par le service instructeur activité partielle de l'Unité Départementale de la DRIEETS du Val-de-Marne pour avis sur les demandes " Activités Partielles " de la société KM SERVICE qui exploite un restaurant, situé au à Fresnes (94). Ils ont constaté, à l'issue de leur contrôle, que les pièces d'identités de trois ressortissants tunisiens employés par la société étaient contrefaites et que ces derniers étaient démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée et à séjourner en France. Un procès-verbal d'infraction a été dressé et transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 8271-17 du code du travail. Par une décision du 5 avril 2022, le directeur général de l'OFII a appliqué à la société KM Service à raison de l'emploi de ces trois ressortissants étrangers, la contribution spéciale alors mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 54 750 euros et la contribution forfaitaire alors prévue par l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 6 372 euros. Par jugement du 5 décembre 2023, dont l'OFII relève appel, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du directeur général de l'OFII du 5 avril 2022 en tant qu'elle a mis à la charge de la société KM Service ces contributions au titre de l'emploi de M. F... A... et de M. C... B.... Par un appel incident, la société KM Service demande l'annulation de ce même jugement en tant que les premiers juges ont rejeté sa demande concernant les contributions dues à raison de l'emploi de M. E... D....
Sur l'appel principal :
2. D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce même code dans sa version alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Aux termes de l'article R. 8253-4 de ce même code dans sa rédaction applicable au litige : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui peuvent être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui a occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquitte une contribution forfaitaire représentative des frais d'éloignement du territoire français de cet étranger ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France (...) ". Selon l'article L. 5221-9 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " L'embauche d'un salarié étranger titulaire de la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 422-1, L. 422-2, L. 422-4 ou L. 422-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut intervenir qu'après déclaration nominative effectuée par l'employeur auprès de l'autorité administrative. ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal d'infraction que M. F... A... et de M. C... B... ont remis des " pièces d'identité italiennes contrefaites ". Si l'OFII soutient que ces documents constituaient des titres de séjours et non des cartes d'identité italiennes, la société KM Service établit par des reproductions de titres de séjour italien figurant dans le registre public en ligne de documents authentiques d'identité et de voyage (PRADO) tenu par le conseil de l'Union européenne, que les documents que les deux intéressés lui ont communiqués lors de leur embauche se présentent comme des cartes d'identité italiennes correspondant au modèle qui était délivré à compter de l'année 1994 avant la mise en place de la carte d'identité électronique, et mentionnaient la nationalité italienne de chacun d'eux. Si l'OFII fait valoir que, contrairement à la carte d'identité française, une telle carte peut être délivrée non seulement aux ressortissants italiens, mais aussi aux étrangers en situation régulière en Italie, il n'apparait pas que les mentions relatives à la nationalité italienne figurant sur ces cartes auraient présenté un caractère manifestement frauduleux imposant au gérant de la société de les questionner. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les originaux de ces cartes d'identités italiennes ont bien été remis à la société KM Service. Par suite, cette société n'était pas en mesure de savoir, dans les circonstances de l'espèce, que ces documents qui indiquaient la nationalité italienne des deux salariés concernés et qui se sont avérées être faux, revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité alors, au demeurant, qu'elle n'était pas soumise à l'obligation de vérification des titres autorisant à travailler prévues par les dispositions de l'article L. 5221-8 du code du travail dès lors que les intéressés se prévalaient de leur qualité de ressortissant d'un Etat de l'Union européenne bénéficiant d'une dispense d'autorisation de travail. Par suite, l'OFII n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que ne pouvaient pas légalement être mises à la charge de la société KM Service les contributions spéciale et forfaitaire à raison de l'emploi de M. A... et de M. B....
6. Il résulte de ce qui précède que l'OFII n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 5 décembre 2023 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a annulé la décision du directeur général de l'OFII du 5 avril 2022 mettant à la charge de la société KM Service la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine au titre de l'emploi de M. F... A... et de M. C... B...
Sur l'appel incident de la société KM Service :
7. En premier lieu, la décision du 5 avril 2022 du directeur général de l'OFII vise les articles L. 8251-1, L. 8253-1, R. 8253-4 et R. 8253-2 du code du travail, ainsi que les articles L. 822-2 à L. 822-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne le procès-verbal des services de l'inspection du travail du Val-de-Marne suite à la constatation des infractions. Elle précise le nom des trois salariés concernés ainsi que les montants des sommes dues au titre de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine. Par suite, contrairement à ce que soutient la société KM Service, elle comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivée au sens des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
8. En deuxième lieu, la société KM Service fait valoir que le contrat de travail de M. E... D... a été repris dans le cadre de l'achat du fonds de commerce du restaurant en 2019 et qu'elle a effectué les vérifications qui lui incombaient. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment du courrier du 22 février 2022 qu'elle a adressé à l'OFII, qu' " elle n'a pas pensé que ce salarié [qui est obligatoirement repris par l'acquéreur moment de la cession du fonds de commerce] pouvait être dépourvu d'une autorisation travail ", de sorte qu'elle ne peut être regardée, contrairement à ce qu'elle prétend, comme ayant procédé aux vérifications qui lui incombaient en application des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail et ne peut utilement ensuite opposer la circonstance que l'erreur orthographique présente sur la pièce d'identité italienne de l'intéressé ne pouvait constituer à elle seule la preuve du caractère frauduleux de ce document. Par suite, elle ne peut se prévaloir de sa bonne foi concernant l'emploi de M. E... D... qui s'opposerait à ce que le directeur général de l'OFII ait mis à sa charge, par la décision du 5 avril 2022, les contributions spéciale et forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'intéressé pour un montant respectif de 18 250 euros et de 2 124 euros.
9. Il résulte de ce qui précède que la société KM Service n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 avril 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au titre de l'emploi de M. E... D.... Ses conclusions à fin d'annulation doivent ainsi être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société KM Service, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à l'OFII la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas non plus lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'OFII à verser à la société KM Service, par application des mêmes dispositions, la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et l'appel incident de la société KM Service sont rejetés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à la société KM Service.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
La rapporteure,
A. Collet La présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24PA00287