La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2024 | FRANCE | N°24PA00919

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 15 novembre 2024, 24PA00919


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.



Par un jugement n° 2211052 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



>
Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 24 février 2024, Mme A... B..., représent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.

Par un jugement n° 2211052 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 24 février 2024, Mme A... B..., représentée par Me Kolimedje, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 23 novembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.

3°) d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement contesté et l'arrêté attaqué sont insuffisamment motivés ;

- les juges de première instance ont entaché leur jugement d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ce jugement a été pris en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet de Seine-et-Marne a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de l'arrêté en litige sur sa situation personnelle ;

- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet de Seine-et-Marne a entaché l'arrêté contesté d'une erreur d'appréciation au regard de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie d'exception, en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour sur lequel elle se fonde ;

- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet de Seine-et-Marne s'est abstenu d'exercer le pouvoir d'appréciation dont il dispose ;

- le préfet de Seine-et-Marne a désigné à tort la Tunisie comme pays à destination duquel elle pourra être envoyée, alors même que le centre de ses intérêts se situe désormais en France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2024, le préfet de Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lorin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante tunisienne née le 13 mars 1961, est entrée en France le 19 juin 2021 sous couvert d'un visa long séjour valant titre de séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français. Par un arrêté du 2 août 2022, le préfet de Seine-et-Marne a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour de dix ans, sollicité sur le fondement de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite. Par la présente requête, Mme B... relève régulièrement appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il résulte du point 4 du jugement contesté que les premiers juges ont énoncé précisément les éléments de fait et de droit ainsi que les motifs qui les ont conduits à écarter le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué. Même si les premiers juges n'ont pas précisément répondu à l'ensemble des arguments invoqués par Mme B..., ce qu'ils n'étaient pas tenus de faire, une telle motivation est, en l'espèce, suffisante. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué qui tend en réalité à remettre en cause son bien-fondé doit être écarté.

3. En second lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme B... ne peut donc utilement soutenir que les juges de première instance auraient entaché leur jugement d'une erreur manifeste d'appréciation ou auraient méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour demander l'annulation du jugement contesté.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, aux termes des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, les mesures de police doivent être motivées et " comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

5. D'une part, l'arrêté attaqué vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, en particulier les stipulations du a) de l'article 10 de cet accord sur lesquelles le préfet s'est fondé pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité. Il énonce les éléments tenant à la situation personnelle et familiale de Mme B..., dont il rappelle la nationalité, en précisant notamment son mariage avec un ressortissant français et la cessation de leur vie commune depuis le 28 septembre 2021, soit deux mois après son entrée en France, ainsi que la procédure de divorce en cours engagée par son mari. Il précise que l'intéressée ne justifie d'aucun motif d'admission exceptionnelle au séjour, qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales en Tunisie et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. D'autre part, l'arrêté attaqué qui vise également les dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant d'assortir un refus de titre de séjour d'une obligation de quitter le territoire français, n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour, elle-même suffisamment motivée. Il précise également en application de l'article L. 612-1 du même code que l'intéressée ne fait état d'aucune circonstance justifiant qu'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours lui soit accordé. Enfin, la décision fixant le pays de destination, qui vise l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et relève que Mme B... n'établit pas être exposée à des peines et traitements contraires à ces stipulations en cas de retour dans son pays d'origine, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, l'arrêté contesté répond aux exigences de motivation posées par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10 de l'accord franco-tunisien : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état-civil français (...) ".

7. Contrairement à ce que soutient Mme B..., il ressort des pièces du dossier et notamment de la déclaration de main courante qu'elle a déposée le 28 septembre 2021 qu'à la date de la décision de refus de séjour contestée, la communauté de vie entre l'intéressée et son époux n'était plus effective et qu'une procédure de divorce par consentement mutuel avait été engagée à l'initiative de son mari. Si elle soutient avoir été violentée et contrainte de quitter le domicile conjugal, il ne ressort ni de ses propres déclarations consignées le 28 septembre 2021, ni d'aucune autre pièce du dossier qu'elle aurait été victime de violences conjugales, son époux ayant à cette date quitté le domicile conjugal depuis le 13 juillet 2021. La circonstance que son mari lui a demandé par des courriers successifs de libérer l'appartement dont il était titulaire du bail ne saurait davantage démontrer l'existence des violences qu'elle invoque. Par suite, le préfet de Seine-et-Marne n'a commis aucune erreur d'appréciation des faits de l'espèce en retenant que Mme B... ne pouvait bénéficier d'un titre de séjour d'une durée de dix ans en application des stipulations précitées de l'article 10 de l'accord franco-tunisien. Ce moyen, opérant à l'encontre de la seule décision portant refus de titre de séjour, doit par suite être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

9. Ainsi qu'il a été dit précédemment, à la date tant de la décision de refus de séjour que de la mesure d'éloignement contestées, la communauté de vie entre Mme B... et son époux avait cessé et une procédure de divorce avait été engagée. Mme B..., entrée en France le 19 juin 2021 et dont la vie maritale a, au plus, duré environ trois mois, n'est pas fondée à soutenir que le centre de ses intérêts privés et familiaux serait situé sur le territoire français où réside son époux dont elle est désormais séparée, alors même qu'elle ne justifie d'aucune autre attache familiale en France et n'établit ni même n'allègue être isolée dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de soixante ans. Dans ses conditions, en rejetant la demande de titre de séjour de l'intéressée et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas porté une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de Mme B.... Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit par suite être écarté.

10. En quatrième lieu, si Mme B..., dont la durée du séjour en France n'excède pas quatorze mois, fait valoir qu'elle dispose d'un hébergement et a exercé une activité d'auxiliaire de vie à temps partiel entre les mois de mars et juillet 2022 dans le cadre de l'accompagnement social dont elle a pu bénéficier à la suite de sa séparation, ces circonstances, comme les éléments tenant à sa situation personnelle et familiale énoncés au point précédent, ne permettent pas de retenir qu'en prenant l'arrêté attaqué, le préfet de Seine-et-Marne aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cet arrêté sur sa situation personnelle.

11. En cinquième lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, soulevé à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.

12. En sixième lieu, il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet de Seine-et-Marne a accordé à Mme B... un délai de départ volontaire de trente jours en application de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l'intéressée ne peut utilement soutenir qu'en refusant de lui accorder un tel délai, le préfet de Seine-et-Marne aurait méconnu les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou se serait abstenu d'exercer le pouvoir d'appréciation dont il dispose.

13. En dernier lieu, à supposer que Mme B... ait entendu soutenir que le préfet de Seine-et-Marne aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ou porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en désignant la Tunisie comme pays à destination duquel elle pourra être renvoyée d'office, ces moyens doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 9 et 10 du présent arrêt.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation doivent par suite être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles relatives aux frais liés à l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Lemaire, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le15 novembre 2024.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00919


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00919
Date de la décision : 15/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : KOLIMEDJE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-15;24pa00919 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award