Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2023 par lequel le préfet de police a procédé au retrait de sa carte de résident.
Par un jugement n° 2321766/6-2 du 1er mars 2024, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 mars 2024 et 15 juillet 2024, Mme A... B..., représentée par Me Loghlam, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er mars 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 21 juillet 2023 ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de résident, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'une triple erreur de droit dès lors que l'accord franco-tunisien du 17 avril 1988 ne prévoit pas le retrait de la carte de résident en cas de menace pour l'ordre public, que cet arrêté est fondé sur les dispositions de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne sont pas applicables aux ressortissants tunisiens détenteurs d'une carte de résident délivrée, comme en l'espèce, sur le fondement des stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien et que les dispositions de l'article L. 432-12 du même code ne prévoient le retrait que des cartes de résident en cours de validité ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation de sa situation ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail, fait à Paris le 17 mars 1988 ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Desvigne-Repusseau a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante tunisienne née le 1er juin 1985, a sollicité le 3 novembre 2022 le renouvellement de sa carte de résident venant à expiration le 31 mai 2023. Par un arrêté du 21 juillet 2023, le préfet de police a procédé au retrait de sa carte de résident sur le fondement de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que l'intéressée avait été définitivement condamnée le 8 février 2021 par le président du Tribunal judiciaire de Paris à une amende de 500 euros pour des faits d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique. Mme A... B... ayant sollicité le renouvellement de sa carte de résident plus de six mois avant son expiration, l'arrêté du 21 juillet 2023 par lequel le préfet de police a cru pouvoir prononcer le retrait de cette carte de résident doit être regardé comme constituant un refus de renouveler ce titre de séjour. Mme A... B... fait appel du jugement du 1er mars 2024 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... B... est entrée en France le 5 avril 2003 au titre du regroupement familial et que, dans l'année suivant son dix-huitième anniversaire, elle a obtenu, sur le fondement des stipulations du e) du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans, valable du 1er juin 2003 au 31 mai 2013. Ce titre de séjour a été renouvelé de plein droit pour la période du 1er juin 2013 au 31 mai 2023. Il ressort également des pièces du dossier que si la requérante, qui s'est mariée en France le 23 février 2008, a divorcé de son époux le 17 décembre 2018, deux garçons issus de leur union sont nés en France respectivement les 25 août 2010 et 22 janvier 2014, qu'en vertu du jugement de divorce, la résidence habituelle des enfants est fixée au domicile de leur mère et que les enfants de Mme A... B... vivent en France depuis leur naissance, l'aîné étant scolarisé en classe de 5ème et le cadet en classe de CE2 à la date de l'arrêté attaqué. En outre, les parents, la sœur et l'un des deux frères de la requérante séjournent en France sous couvert de cartes de résident en cours de validité et que son autre frère est de nationalité française à la date de l'arrêté attaqué. Enfin, si Mme A... B... a été définitivement condamnée à une amende délictuelle de 500 euros par une ordonnance pénale du président du Tribunal judiciaire de Paris en date du 8 février 2021 pour des faits d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique commis le 2 avril 2020 et réprimés par les dispositions du deuxième alinéa de l'article 433-5 du code pénal, il ressort néanmoins des pièces du dossier qu'en vertu des dispositions de l'article 495 du code de procédure pénale, il est recouru à la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale lorsque les faits reprochés au prévenu revêtent un caractère de faible gravité, que la requérante s'est acquittée du paiement de cette amende le 9 juin 2023 et que les faits pour lesquels elle a été condamnée présentent un caractère isolé depuis son arrivée en France. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France ainsi qu'à la faible gravité des faits qui lui sont reprochés et à leur caractère isolé, que l'arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à la gravité des faits qui lui étaient reprochés. Par suite, le préfet de police a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution / (...) ". Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
6. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 avril 1988 : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / (...) / c) Au ressortissant tunisien qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins / (...) / f) Au ressortissant tunisien qui est en situation régulière depuis plus de dix ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " / (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que, d'une part, à la date d'expiration de la carte de résident de Mme A... B..., celle-ci justifiait d'une situation régulière en France depuis plus de dix ans eu égard à ce qui a été dit au point 3 et que, d'autre part, à la date du présent arrêt, elle est la mère d'un enfant français résidant en France dès lors qu'il est établi, notamment par une pièce produite pour la première fois en appel, que son fils aîné a acquis, le 9 janvier 2024, la nationalité française par déclaration en vertu des dispositions du second alinéa de l'article 21-11 du code civil et qu'elle exerce conjointement l'autorité parentale à l'égard de celui-ci. Dans ces conditions, et eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de Mme A... B..., que le préfet de police délivre à celle-ci une carte de résident valable dix ans dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par Mme A... B....
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2321766/6-2 du Tribunal administratif de Paris du 1er mars 2024 et l'arrêté du préfet de police du 21 juillet 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer à Mme A... B... une carte de résident valable dix ans dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Mme A... B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,
B. AUVRAY
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01338