Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2318989/2-2 du 11 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mars et 9 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Pluchet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 décembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet compétent, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions.
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant refus de séjour :
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet retenant une menace " simple " à l'ordre public pour fonder le refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation concernant la menace pour l'ordre public ;
- elle méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'une exception d'illégalité ;
- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur sa situation personnelle ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle est entachée d'une exception d'illégalité ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :
- elle est entachée d'une exception d'illégalité ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2024, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 30 juillet 2024 par une ordonnance du 10 juillet 2024.
Le requérant a produit une pièce le 7 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me Pluchet représentant M. C..., présent à l'audience.
Une note en délibéré présentée pour M. C... par Me Pluchet a été enregistrée le 28 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant colombien né le 5 août 1968, a bénéficié de plusieurs titres de séjour annuels puis pluriannuels entre octobre 2012 et décembre 2020. Par un arrêté du 6 juillet 2022, le préfet, saisi d'une demande de renouvellement de son titre, a rejeté cette demande après avis de la commission du titre de séjour. La légalité de cet arrêté a été contestée devant le tribunal administratif de Paris qui a rejeté le recours par jugement du 6 janvier 2023. La cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 20 juin 2023, rejeté l'appel dirigé contre ce jugement. Le Conseil d'Etat n'a pas admis le pourvoi le 6 juin 2024 dirigé contre cet arrêt.
2. M. C... a demandé le 1er mars 2023 la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 3 août 2023, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. C... fait appel du jugement du 11 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 3 août 2023 :
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
3. En premier lieu, pour rejeter la demande de titre de séjour de M. C..., le préfet de police a indiqué qu'il était entré en France en 2002 selon ses déclarations et qu'il avait été reçu le 1er mars 2023 et sollicité son admission en qualité d'étranger malade. Le préfet, statuant sur le fondement de sa demande et après avoir pris en compte l'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, a considéré qu'il ne remplissait pas les conditions prévues par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. D'autre part, le préfet a indiqué que le requérant avait commis des faits délictueux, que sa présence constituait une menace à l'ordre public et qu'il avait été condamné à deux reprises, le 2 février 2005 par le tribunal correctionnel de Paris à 900 euros d'amende pour la conduite de véhicule sous l'empire d'un état alcoolique et le 6 décembre 2019 par la chambre des appels correctionnels de Paris à 4 ans d'emprisonnement pour agression sexuelle avec usage ou menace d'une arme. Le préfet précise que la délivrance de la carte de séjour temporaire peut être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public, qu'il est célibataire et sans charge de famille et ne justifie pas être démuni d'attaches familiales à l'étranger et que compte tenu de l'ensemble de sa situation personnelle et familiale et de son comportement constitutif d'une menace à l'ordre public, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à ses droits, à sa situation personnelle et à sa vie familiale. Par suite, le préfet, qui ne se borne pas à faire état de la situation pénale du requérant, n'a pas entaché sa décision d'un défaut d'examen.
4. En deuxième lieu, M. C... ne conteste pas en appel la légalité du refus de titre de séjour au regard de sa santé alors même qu'il s'agissait du fondement de sa demande. Par suite, et pour ce seul motif, le préfet pouvait à bon droit refuser de lui délivrer le titre de séjour demandé.
5. Le requérant soutient que l'arrêté est entaché d'une erreur de droit, le préfet retenant une menace simple à l'ordre public pour fonder le refus de titre de séjour. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que ce motif est surabondant. En tout état de cause, le préfet pouvait également refuser un titre de séjour en application de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes duquel : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Les moyens tirés du fait que le requérant ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire ou d'une expulsion du fait de sa situation sont par ailleurs inopérants à l'encontre de la décision portant refus de séjour.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le requérant a été condamné, notamment, à quatre ans d'emprisonnement, le 6 décembre 2019, par la cour d'appel de Paris, pour des faits d'agression sexuelle avec usage ou menace d'une arme. Eu égard à la gravité de ces faits, quand bien même il aurait eu des titres de séjour alors que l'instance judiciaire était pendante, le préfet de police a, sans commettre d'erreur d'appréciation, pu considérer que sa présence en France représente une menace pour l'ordre public. Il ressort par ailleurs des motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Paris et des lettres envoyées au préfet de police les 31 août 2022 et 16 septembre 2022 que le requérant n'a pas pris conscience, à la date de la décision attaquée, de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du refus de renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle, le requérant a sollicité un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Il ne démontre pas la nécessité de demeurer en France à ce titre. Si M. C... produit une promesse d'embauche en 2021, cette circonstance ne saurait démontrer une intégration professionnelle suffisante. S'il indique être bénévole, les éléments produits montrent un engagement en 2024 et sont postérieurs à la décision attaquée. Le requérant soutient qu'il ne constitue pas une menace actuelle à l'ordre public dès lors que les faits ont été commis en 2015, qu'il vit en France depuis 20 ans et il produit des témoignages récents et circonstanciés notamment de sa fille, du fils de son ex compagne et de la petite-fille de celle-ci ainsi que des photographies démontrant la réalité et l'intensité de ses liens en France. Toutefois, eu égard à la gravité des faits établis telle que rappelée au point 6 du présent arrêt et à la nature des liens avec la France du requérant qui est célibataire et sans enfant à charge, qui n'est pas isolé en Colombie où réside son frère, et qui ne démontre pas la nécessité de rester en France, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, les moyens dirigés contre la décision de refus de titre de séjour ayant été écartés, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée par M. C... à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écartée.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ".
11. D'une part, il est constant que M. C... s'est maintenu en situation irrégulière sur le territoire français depuis la décision du préfet de police du 10 juillet 2022 rejetant sa demande de titre de séjour, dont la légalité a été confirmée par les juridictions administratives. Par suite, à la date de l'arrêté en litige, il ne résidait pas régulièrement en France, quelle que soit la durée de résidence dont il se prévaut. D'autre part, et ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, la période au cours de laquelle le requérant a été incarcéré ne saurait être retenue pour le calcul de la période de dix années mentionnées par cet article précité. Par ailleurs le requérant, qui n'est pas citoyen de l'Union européenne, ne peut utilement invoquer les dispositions de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, au demeurant transposée en droit interne par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006.
12. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de sa situation médicale, et eu égard à ce qui a été dit au point 8 du présent arrêt de la situation personnelle et professionnelle du requérant, que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
13. En premier lieu, les moyens dirigés contre les décisions de refus de titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire ayant été écartés, l'exception d'illégalité de ces décisions invoquée par M. C... à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination ne peut qu'être écartée.
14. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. M. C... soutient qu'il craint d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Colombie du fait du travail d'indicateur pour la police française de son frère, aujourd'hui décédé, ainsi que du fait de sa collaboration avec les services de police français et produit une attestation du 23 octobre 2023 d'un commandant divisionnaire qui indique qu'il a " bien collaboré avec les services français depuis 1995 ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que le décès de son frère soit lié à cette collaboration, mais d'un arrêt cardiaque. Le préfet de police indique sans être contredit qu'une demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatride en 1986 et il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant a effectué une nouvelle demande depuis. Il n'est pas contesté non plus que le requérant est rentré en Colombie entre 1998 et 2002 ainsi que fin 2010 et à l'été 2013. Il ressort également d'un témoignage de son autre frère, toujours présent en Colombie, qu'il serait sous protection de sorte que le requérant ne peut utilement indiquer, à supposer que cela soit le cas, qu'il ne pourrait bénéficier d'une protection équivalente. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :
16. M. C... soutient qu'il est recevable à solliciter l'annulation de la décision portant interdiction de retour dans le cadre de l'appel dès lors que dans sa demande de première instance il a sollicité l'annulation de l'arrêté du 3 août 2023 comprenant cette décision. Toutefois, le requérant, qui n'a soulevé aucun moyen contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans en première instance, n'est pas recevable à contester cette décision en appel.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 août 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation présentées par M. C..., n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Emmanuel Laforêt, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
E. LAFORETLe président,
B. AUVRAY
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA01318