Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits, intérêts de retard et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, dans la limite des droits et pénalités restant en litige à la suite du dégrèvement prononcé par le service à concurrence de 16 182 euros au titre de l'année 2012 et de 17 935 euros au titre de l'année 2013.
Par un jugement no 2002182/1-2 du 23 mai 2023, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 juillet 2023, 5 mars 2024 et 8 avril 2024, M. et Mme A..., représentés par la AARPI Boudet et Rue, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 mai 2023 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté leur demande ;
2°) de prononcer la décharge, en droits, intérêts de retard et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des impositions litigieuses en tant qu'elles sont relatives aux revenus réputés distribués entre les mains de Mme A... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les rehaussements ont été établis à l'issue d'une procédure irrégulière compte tenu de l'irrégularité constatée par le tribunal dans la procédure conduite à l'égard de la SAS Le Piccole ;
- la méthode de reconstitution n° 1 mise en œuvre par le vérificateur apparaît approximative et excessivement sommaire dès lors qu'elle retient un nombre de couverts journalier de 100 alors qu'il résulte notamment des tickets Z que le nombre de couverts servis chaque jour était inférieur, que l'extrapolation qui a été faite par le vérificateur quant au nombre de couverts servis chaque jour ne correspond pas à la réalité, que les couverts annulés au cours de la période de janvier à avril 2014 résultaient d'erreurs de saisies liées à l'utilisation d'une nouvelle caisse enregistreuse et ne constituaient pas une dissimulation de recettes, que le taux de remplissage retenu n'est pas réaliste, que l'augmentation du prix du ticket moyen sur la période vérifiée n'est pas justifiée par l'administration ;
- la méthode de reconstitution n° 2 ne pouvait également être retenue par le vérificateur dès lors qu'il a tenu pour acquis, au vu des annulations de couverts constatées en 2014, que 40 % du chiffre d'affaires n'était pas déclaré alors qu'ils avaient indiqué au cours de la vérification de comptabilité de la société Le Piccole avoir mis en place une nouvelle caisse enregistreuse en décembre 2013 et que des erreurs de saisies avaient été commises ;
- ces méthodes de reconstitution n'ont pas pris en compte les charges potentiellement déductibles ;
- les chiffres d'affaires reconstitués selon ces deux méthodes, qui connaissent un écart important, n'apparaissent pas réalistes au regard du rendement économique au mètre carré, du ratio masse salariale/chiffre d'affaires et du coût matière standard ;
- c'est à tort que l'administration a regardé Mme A... comme étant maître de l'affaire ;
- compte tenu de la décharge des impositions notifiées à la société Le Piccole il appartient à l'administration d'apporter la preuve de l'appréhension des revenus réputés distribués, ainsi qu'il résulte notamment de la doctrine référencée RPPM-RCM-10-20-20-50, n° 180.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 octobre 2023, 3 avril 2024 et 11 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les irrégularités de la procédure de redressement suivie à l'encontre la SAS Le Piccole sont sans incidence sur l'imposition personnelle de M. et Mme A... en application du principe d'indépendance des procédures ;
- le service entend substituer les dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts à celles du 2° du 1 du même article et à celles du c de l'article 111 du même code ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Auvray,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
- les observations de Me Boudet, représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée Le Piccole, dont M. et Mme A... étaient les associés et qui exploitait un restaurant à Paris 7ème sous l'enseigne " Il Sorrentino ", a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, étendue du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié des impositions supplémentaires résultant d'une reconstitution de son chiffre d'affaires. Puis, par une proposition de rectification du 16 novembre 2015, le service a notifié à M. et Mme A..., à l'issue d'un contrôle sur pièces, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2012 et 2013, assorties des intérêts de retard et des majorations de 10 % et de 40 %, respectivement prévues aux articles 1758 A I et 1729 du code général des impôts, résultant de la réintégration dans leurs bases imposables des revenus réputés distribués par la société Le Piccole. Par un jugement du 23 mai 2023, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des impositions supplémentaires mises à la charge de la société Le Piccole et a rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires qui leur ont été notifiées. M et Mme A... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé des redressements litigieux, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ".
3. Il résulte de l'instruction qu'au cours de la vérification de comptabilité de la SAS Le Piccole, le vérificateur a constaté qu'au cours des mois de janvier 2014 à avril 2014, les tickets journaliers Z faisaient apparaître 3 092 couverts servis, puis annulés, sur un total de 9 755 couverts, de sorte que seuls 6 663 repas ont été enregistrés comme ayant été encaissés. Après avoir prononcé le rejet de la comptabilité de la SAS Le Piccole au regard, notamment, de l'absence de conservation informatique des données de caisse, il a procédé à la reconstitution du chiffre d'affaires selon deux méthodes et a retenu le chiffre d'affaires égal à la moyenne de ceux obtenus par ces méthodes.
4. D'une part, la première méthode a consisté à reconstituer le nombre de couverts servis au cours de la période vérifiée étendue jusqu'au mois de février 2015 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, puis à multiplier le nombre de couverts ainsi obtenu par le prix d'un couvert moyen tel qu'il ressortait des tickets journaliers. Pour ce faire, le vérificateur a déterminé le nombre de couverts servis par table au cours de la période allant de janvier à avril 2014 en relevant que les tickets journaliers faisaient apparaître 6 663 couverts servis répartis en 2 476 tables, qu'ainsi, en moyenne, étaient servis 2,7 couverts par table, et que les tables annulées représentaient 3 092 couverts. Le vérificateur en a déduit qu'au cours de cette période de quatre mois, le restaurant avait servi 9 755 couverts, soit en moyenne 95 couverts par jours, arrondis à 100, soit un équivalent, pour une capacité d'accueil de 40 places, à 2,5 services quotidiens, six jours sur sept, compte tenu d'une fermeture hebdomadaire le dimanche. Il a également relevé qu'il y avait lieu de tenir compte d'une fermeture annuelle de l'établissement pendant quatre semaines. Ces données ont alors été extrapolées à l'ensemble de la période vérifiée et le service en a ainsi déduit qu'en 2012, le montant des recettes dissimulées était de 134 735 euros et qu'en 2013, il était de 256 058 euros. M. et Mme A... contestent la méthode qui a été mise en œuvre par le vérificateur en faisant valoir que si des tables ont été annulées au cours de la période de référence, courant du mois de janvier au mois d'avril 2014, ils ont indiqué au cours du contrôle que ces annulations résultaient d'erreurs de saisies sur la caisse enregistreuse nouvellement mise en place et que le service ne pouvait procéder par extrapolation pour reconstituer le chiffre d'affaires de l'ensemble de la période vérifiée. En effet, la méthode de reconstitution mise en œuvre par le service a conduit à considérer que, sur l'ensemble de la période vérifiée, le restaurant avait servi quotidiennement un nombre de couverts correspondant aux 9 755 servis au cours de la période de référence de quatre mois, laquelle faisait ressortir une proportion d'annulation de tables égal à la moitié des tables " encaissées ", le service estimant ainsi que la totalité des tables " annulées " représentait des recettes dissimulées. Il a également estimé que de telles annulations avaient également eu lieu au cours des années 2012 et 2013, seules années en litige, sans pourtant que pareilles annulations aient été documentées au cours de ces deux années, alors qu'il résulte de l'instruction qu'au cours du contrôle, M. A... a justifié de l'achat d'une nouvelle caisse enregistreuse au mois de novembre 2013 à la suite du cambriolage du restaurant qui a eu lieu au mois de novembre 2013, a fait valoir que ces nombreuses annulations s'expliquaient par des erreurs de manipulation de la caisse enregistreuse nouvellement acquise, étant relevé qu'il n'est pas fait état d'annulations de couverts en dehors de la période allant du mois de janvier au mois d'avril 2014. En outre, ainsi que le soulignent les requérants, le nombre de couverts servis par jour retenu par le vérificateur, égal à 100 alors qu'il résulte de l'instruction et, notamment, de la page 8 de la proposition de rectification du 10 juillet 2015, que le nombre exact n'est que de 94,7, conduit à supposer que le restaurant effectuait sur l'ensemble de la période vérifiée, du lundi au samedi, 2,5 services complets, ce qui paraît peu réaliste pour un tel établissement, de surcroît en retenant un taux d'occupation de 100 % chaque jour.
5. D'autre part, le vérificateur a, au titre de la seconde méthode, constaté que les tables " annulées " au cours de la période de référence, soit du mois de janvier au mois d'avril 2014, représentaient 39,74 % du chiffre d'affaires total réalisé sur cette même période et en a conclu que sur l'ensemble de la période vérifiée, le chiffre d'affaires non déclaré représentait par conséquent 39,74 % du chiffre d'affaires déclaré, soit 416 164 euros TTC en 2012 et 374 474 euros TTC en 2013. Or, ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'est pas établi par l'administration que les conditions d'exploitation du restaurant permettaient au vérificateur de procéder à une telle extrapolation des données de la période de référence de quatre mois sur l'ensemble de la période en litige, laquelle est antérieure au remplacement de la caisse enregistreuse, ni d'ailleurs que toutes les tables " annulées " au cours de la période de référence correspondraient à des recettes dissimulées. Par ailleurs, si l'administration a retenu des montants de chiffre d'affaires reconstitués en faisant la moyenne des résultats des deux méthodes mises en œuvre, le montant des recettes éludées déterminé dans le cadre de la seconde méthode présente un écart important, notamment pour l'exercice 2012, avec celui issu de la première méthode, soit une insuffisance de chiffre d'affaires de 134 735 euros pour 2012 selon la première méthode et de 416 164 euros selon la seconde.
6. Il résulte de l'ensemble des éléments exposés aux point 4 et 5 que les requérants sont fondés à soutenir que les méthodes mises en œuvre par le service pour reconstituer les recettes de la SAS Le Piccole au titre des exercices clos en 2012 et 2013 étaient radicalement viciées dans leur principe, étant relevé que l'administration n'établit pas qu'elle aurait été dans l'impossibilité de recourir à une ou à d'autres méthodes. Par suite, les requérants sont, pour ce motif, fondés à demander la décharge des impositions supplémentaires qui leur ont été notifiées au titre des années en litige.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignées au titre des années 2012 et 2013. Par suite, il y a lieu d'en prononcer la décharge.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A... à l'occasion de la présente instance et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement no 2002182/1-2 du 23 mai 2023 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. et Mme A....
Article 2 : M. et Mme A... sont déchargés, en droits, intérêts de retard et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Île-de-France
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure ;
- M. Laforêt, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
B. AUVRAYL'assesseure la plus ancienne,
P. HAMON
Le greffier,
C. MONGIS
Le président-rapporteur,
B. AUVRAYL'assesseur le plus ancien,
P. HAMON
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03285