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25/10/2024 | FRANCE | N°23PA02464

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 25 octobre 2024, 23PA02464


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société d'exploitation de la tour Eiffel et la société Zurich Insurance Public Limited Company ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à la société Zurich Insurance Public Limited Company une somme de 414 649,35 euros et à la société d'exploitation de la tour Eiffel une somme de 5 000 euros en réparation des dommages occasionnés, le 9 février 2019, aux vitres formant l'enceinte de la zone réservée de la Tour Eiffel et à des camé

ras de vidéosurveillance.



Par un jugement n° 2021301 du 18 avril 2023, le tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation de la tour Eiffel et la société Zurich Insurance Public Limited Company ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à la société Zurich Insurance Public Limited Company une somme de 414 649,35 euros et à la société d'exploitation de la tour Eiffel une somme de 5 000 euros en réparation des dommages occasionnés, le 9 février 2019, aux vitres formant l'enceinte de la zone réservée de la Tour Eiffel et à des caméras de vidéosurveillance.

Par un jugement n° 2021301 du 18 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 juin 2023 et 16 septembre 2024, la société d'exploitation de la tour Eiffel et la société Zurich Insurance Public Limited Company demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'Etat à verser à la société Zurich Insurance Public Limited Company une somme de 414 649,35 euros et à la société d'exploitation de la tour Eiffel une somme de 5 000 euros en réparation des dommages occasionnés aux vitres formant l'enceinte de la zone réservée de la Tour Eiffel et à des caméras de vidéosurveillance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure sont réunies ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité pour faute de l'Etat peut être engagée en raison de la carence des pouvoirs de police ;

- à titre encore subsidiaire, la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques peut être engagée compte tenu du caractère anormal et spécial du préjudice subi.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 août 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de la société d'exploitation de la tour Eiffel devant le tribunal en l'absence de demande préalable indemnitaire.

Les sociétés requérantes ont présenté des observations sur ce moyen, enregistrées le 8 juillet 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Mme A..., représentant le préfet de police.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'exploitation de la tour Eiffel est chargée de l'entretien et de l'exploitation de la tour Eiffel. Elle a installé autour du monument une enceinte vitrée de protection et des caméras de vidéosurveillance, qui ont fait l'objet de dégradations,

le 9 février 2019. Cette société et son assureur, la société Zurich Insurance Public Limited Company, subrogée dans ses droits à hauteur de 450 213,13 euros, relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de condamnation de l'Etat à les indemniser du préjudice qu'elles ont subi à raison de ces dégradations.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de la société d'exploitation de la tour Eiffel :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ".

3. Il ne résulte pas de l'instruction que la société d'exploitation de la Tour Eiffel aurait présenté une demande d'indemnisation de son préjudice, ni que son assureur, la société Zurich Insurance Public Limited Company, avait mandat pour le faire en son nom. Dans ces conditions, sa demande de condamnation de l'Etat est irrecevable et ne peut, par suite, qu'être rejetée.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

4. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".

5. Il résulte de l'instruction que, le 9 février 2019, a eu lieu une manifestation de " gilets jaunes ", qui a donné lieu à de nombreux débordements, et dont le cortège, parti de la Place de l'Étoile, s'est dispersé au Champs de Mars. Il ressort du procès-verbal d'ambiance qu'à

seize heures trente, des manifestants sont arrivés au niveau de la tour Eiffel avec des casseurs en leur sein et qu'à seize heures cinquante, une barricade a été constituée à côté de la tour Eiffel avec 400 personnes sur place. Les vidéos produites par la société requérante montrent que les manifestants sont passés à proximité immédiate de l'enceinte de protection de la tour Eiffel. Il résulte également de l'instruction qu'entre seize et dix-sept heures, des vitres formant l'enceinte de la zone réservée de la Tour Eiffel et des caméras de vidéosurveillance ont été dégradées. Si deux des individus ayant participé à ces destructions, qui ont été identifiés, présentent un profil de casseur, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient agi seuls, le jugement du tribunal correctionnel du 12 février 2019 condamnant l'un d'entre eux précisant d'ailleurs qu'il se trouvait parmi un groupe de " gilets jaunes " particulièrement virulents au moment des faits. En outre, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient agi en dehors du cadre de la manifestation, alors qu'il résulte de l'instruction que les forces de l'ordre ont différé l'interpellation de l'un d'entre eux, qui s'était livré à des destructions tout au long de la journée, par crainte d'être prises à parti par de très nombreux manifestants hostiles ou de déclencher une émeute. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les dommages subis par la société d'exploitation de la tour Eiffel seraient le fait d'un groupe structuré à seule fin de commettre des violences ouvertes, dépourvu de lien direct avec une manifestation, et n'auraient pas été causés dans le prolongement immédiat d'une manifestation de " gilets jaunes ". Par suite, la société Zurich Insurance Public Limited Company est fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

En ce qui concerne le préjudice de la société Zurich Insurance Public Limited Company :

6. Le rapport d'expertise contradictoire produit par la société Zurich Insurance Public Limited Company évalue à 391 716,19 euros le montant des travaux pour le remplacement des panneaux vitrés et des caméras de surveillance après application, pour ces dernières, d'un coefficient de vétusté. Il ne résulte pas de l'instruction que ce montant, qui n'est pas contesté en défense, et dont il convient de déduire la franchise de 5 000 euros restée à la charge de la société d'exploitation de la tour Eiffel, serait surestimé. Il en va de même de la somme de 3 664,89 euros correspondant à la mise en place, à titre conservatoire, de films protecteurs. En revanche, il y a lieu de limiter le montant des frais d'expertise de 18 875,71 euros à la somme de 2 000 euros, en l'absence de toute justification d'un tel montant, et de ne pas faire droit à la demande d'une somme de 392,56 euros au titre des frais d'huissiers, aucun constat n'étant produit. Dans ces conditions, la société Zurich Insurance Public Limited Company peut prétendre au versement d'une somme totale de 392 381,08 euros.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Zurich Insurance Public Limited Company est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation, dans la limite de 392 381,08 euros.

Sur les frais du litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Zurich Insurance Public Limited Company sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2021301 du 18 avril 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser une somme de 392 381,08 euros à la société Zurich Insurance Public Limited Company.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Zurich Public Limited Company en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requérantes est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Zurich Insurance Public Limited Company, à la société d'exploitation de la Tour Eiffel et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidente,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

S. BRUSTON

La greffière,

E. FERNANDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02464


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02464
Date de la décision : 25/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : LCA & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-25;23pa02464 ?
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