Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/21-0259 du 1er février 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 2207860 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 avril 2023, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision R/21-0259 du 1er février 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions de l'article L. 821-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues dès lors qu'elle n'a pas eu accès au document original sur lequel le ministre s'est fondé pour lui infliger une amende ;
- les anomalies du document de transport ne présentent pas un caractère manifeste.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 1er février 2022, le ministre de l'intérieur a infligé à la société
Air France une amende de 10 000 euros pour avoir, le 29 août 2021, débarqué sur le territoire français un passager de nationalité togolaise en provenance d'Accra, démuni de document de voyage et en possession d'un titre de voyage pour réfugié allemand contrefait. La société
Air France relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6 (...) n'est pas infligée : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. / Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. Il résulte de l'instruction que la société Air France a laissé débarquer, le
29 août 2021, à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, un passager de nationalité togolaise en provenance d'Accra, muni d'un titre de voyage pour réfugié allemand contrefait. Il résulte de l'examen de la copie de ce titre de voyage produite par la société Air France et de la planche comparative produite par le ministre de l'intérieur que les traces d'abrasion autour du chiffre
" 4 " de l'année " 2024 " de la date d'expiration et la mauvaise qualité du chiffre " 4 ", de cette année et de la suite alphanumérique " 0M2407094 ", retenues pour fonder la sanction, ne sont visibles que sur les agrandissements effectués par l'administration et ne présentent donc pas le caractère d'irrégularités manifestes, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de l'autre moyen de la requête, la société Air France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er février 2022 du ministre de l'intérieur et à ce qu'elle soit déchargée de l'obligation de payer la somme de 10 000 euros.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207860 du 21 février 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision R/21-0259 du 1er février 2022 du ministre de l'intérieur sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Air France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01681