Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mutuelle Générale a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction des cotisations primitives de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019 procédant, pour le calcul de la valeur ajoutée ayant servi de base à ces cotisations, de l'exclusion de 95 % des dividendes afférents aux placements qu'elle détient dans des entreprises immobilières liées ou avec un lien de participation.
Par un jugement n° 2101731/1 du 23 février 2023, le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande et accordé à la société Mutuelle Générale, par ses articles 1er et 2, la réduction sollicitée des cotisations primitives de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés le 17 mai 2023, le 28 décembre 2023 et le 14 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 2101731/1 du 23 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rétablir les droits de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dus au titre des années 2018 et 2019 dont ce tribunal a prononcé la décharge au profit de la société Mutuelle Générale.
Il soutient que :
- pour déterminer si un produit se rattache à l'une des catégories d'éléments comptables à prendre en compte dans le calcul de la valeur ajoutée, il y a lieu de se reporter, pour les entreprises qui y sont soumises, aux dispositions du plan comptable général ;
- l'article 332-2 du règlement du 26 novembre 2015 relatif aux comptes annuels des entreprises d'assurance, applicable aux sociétés mutuelles, dispose que les parts de sociétés immobilières non cotées constituent des placements immobiliers qui ne peuvent être portés qu'aux seuls comptes 21 ou 22, quel que soit le pourcentage de participation, et l'article 332-4 de ce règlement, qui dispose que sont comptabilisés aux comptes 25 "Placements dans des entreprises liées" et 26 "Placements dans des entreprises avec lesquelles il existe un lien de participation" ", ne s'applique qu'aux placements financiers ;
- les dividendes objet du litige, qui ont initialement été exactement comptabilisés par la requérante au compte 21, ont dès lors été exclus à tort par le Tribunal du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée servant d'assiette à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 octobre 2023 et le 31 janvier 2024, la société Mutuelle Générale conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-l'article 1586 sexies du code général des impôts, éclairé par les travaux préparatoires, ne fait aucune distinction selon la forme juridique des sociétés qui versent des dividendes ;
- la doctrine de l'administration fiscale ne peut lui être opposée en tant qu'elle ajoute à la loi, en limitant aux dividendes comptabilisés aux comptes 25 et 26 l'exclusion de l'assiette de la CVAE prévu par le code général des impôts ;
- introduire une distinction selon la forme juridique de la société distributrice instaurerait une rupture d'égalité devant la loi fiscale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la mutualité ;
- le règlement ANC n° 2015-11 du 26 novembre 2015 relatif aux comptes annuels des entreprises d'assurance ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Mutuelle Générale, qui exerce une activité d'assurance contre les risques de santé et de dépendance, a déclaré et liquidé les cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont elle était redevable au titre des années 2018 et 2019 en incluant dans le calcul de la valeur ajoutée ayant servi de base à ces cotisations la totalité des revenus qu'elle avait perçus de ses placements dans des entreprises liées ou avec un lien de participation. Par deux réclamations des 3 et 10 juillet 2020, l'intéressée a sollicité le dégrèvement partiel de ces impositions primitives à hauteur de ce qui résulte de l'exclusion, pour le calcul de sa valeur ajoutée des années 2018 et 2019, de 95 % des revenus provenant de sociétés civiles immobilières en application du VI de l'article 1586 sexies du code général des impôts. Par décision du 14 décembre 2020, l'administration a rejeté ces réclamations. Par un jugement du 23 février 2023, le Tribunal administratif de Montreuil, saisi par la société Mutuelle Générale, a fait droit à sa demande et accordé à la société Mutuelle Générale la réduction des cotisations primitives de CVAE qu'elle a acquittées au titre des années 2018 et 2019, à hauteur de ce qui résulte de l'exclusion de 95 % des revenus qu'elle avait perçus en provenance de sociétés immobilières liées ou avec un lien de participation. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement et demande que les sommes ainsi déchargées soient remises à la charge de la société Mutuelle Générale.
2. Aux termes du 1 du II de l'article 1586 ter du code général des impôts : " La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies (...) ". Le VI de l'article 1586 sexies du même code dispose que : " Pour les mutuelles et unions régies par le livre II du code de la mutualité (...) : / 1. Le chiffre d'affaires comprend : (...) / - et les produits des placements, à l'exception (...) de 95 % des dividendes afférents aux placements dans des entreprises liées ou avec lien de participation (...) / 2. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1 (...) ; / b) Et, d'autre part, sous réserve des précisions mentionnées aux alinéas suivants, les prestations et frais payés, les achats, le montant des secours exceptionnels accordés par décision du conseil d'administration ou de la commission des secours lorsque celle-ci existe, les autres charges externes, les autres charges de gestion courante, les variations des provisions pour sinistres ou prestations à payer et des autres provisions techniques, y compris les provisions pour risque d'exigibilité pour la seule partie qui n'est pas admise en déduction du résultat imposable en application du 5° du 1 de l'article 39, la participation aux résultats, les charges des placements à l'exception des moins-values de cession des placements dans des entreprises liées ou avec lien de participation et des moins-values de cession d'immeubles d'exploitation ; Ne sont toutefois pas déductibles de la valeur ajoutée : / - les loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces immobilisations lorsqu'elles résultent d'une convention de location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location ; / - les charges de personnel ; / - les impôts, taxes et versements assimilés, à l'exception des taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, des contributions indirectes, de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ; / - les quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun ; / - les charges financières afférentes aux immeubles d'exploitation ; / - les dotations aux amortissements d'exploitation ; - les dotations aux provisions autres que les provisions techniques ".
3. Les dispositions précitées de l'article 1586 sexies du code général des impôts fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Il y a lieu, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause. La norme applicable est, pour les mutuelles et unions régies par le code la mutualité, au nombre desquelles figure la société requérante, le règlement n° 2015-11 du 26 novembre 2015 de l'Autorité des normes comptables relatif aux comptes annuels des entreprises d'assurance. Lorsqu'un poste comptable applicable aux mutuelles et unions régies par le code de la mutualité n'est pas spécifique aux activités de ces établissements, il y a lieu de l'interpréter à la lumière des dispositions équivalentes du plan comptable général, tel qu'il est défini par le règlement du comité de la réglementation comptable du 23 avril 1999.
4. Aux termes de l'article 111-1 du règlement de l'autorité de normes comptables n°2015-11 du 26 novembre 2015 : " (...) les mutuelles et unions relevant du livre II du code de la mutualité et assumant un risque d'assurance, sont soumises à l'obligation d'établir des comptes annuels suivant les dispositions du présent règlement (...) ". L'article 332-2 de ce règlement dispose que : " (...) les parts de sociétés immobilières cotées sont des placements financiers ; les parts de sociétés immobilières non cotées sont des placements immobiliers. Les placements immobiliers autres que ceux portés au compte 24 "placements représentant les provisions techniques afférentes aux contrats en unités de compte'' sont portés aux comptes 21 "placements immobiliers" ou 22 "placements immobiliers en cours" ", son article 332-3 prévoit que : " (...) Sont portés aux sous-comptes du compte 23 " placements financiers " en fonction de leur nature, tous les placements qui ne figurent dans aucun autre compte de la classe 2 " et son article 332-4 que : " Les placements dans des entreprises liées ou dans des entreprises avec lesquelles existe un lien de participation, autres que ceux portés au compte 24 "Placements représentant les provisions techniques afférentes aux contrats en unités de compte", sont portés respectivement aux comptes 25 "Placements dans des entreprises liées" et 26 "Placements dans des entreprises avec lesquelles il existe un lien de participation" ".
5. Il résulte de ces dernières dispositions spécifiques, dont l'application était obligatoire pour la société Mutuelle Générale en 2018 et 2019 et qu'elle a au demeurant respectées, que les revenus qu'une entreprise assumant un risque d'assurance perçoit en provenance de sociétés immobilières non cotées, comme tel est le cas en l'espèce, et qui constituent, par suite, des placements immobiliers, ne peuvent être comptabilisés que dans les comptes 21 " placements immobiliers " ou 22 " placements immobiliers en cours", à l'exclusion des comptes 25 " Placements dans des entreprises liées " et 26 " Placements dans des entreprises avec lesquelles il existe un lien de participation " où ne peuvent figurer que les placements financiers s'ils en remplissent les conditions, ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article 332-3 qui prévoient que les placements de cette nature peuvent être inscrits dans un autre compte de la classe 2 que le compte 23. En conséquence, de tels revenus ne peuvent être rattachés à la catégorie des " dividendes afférents aux placements dans des entreprises liées ou avec lien de participation " que l'article 1586 sexies précité du code général des impôts a entendu exclure, à concurrence de 95 %, du calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, alors même que le VI de cet article 1586 sexies n'opère aucune distinction selon la forme sociale de ces entreprises.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour prononcer la réduction des cotisations de CVAE en litige afférentes aux années 2018 et 2019, le Tribunal a considéré que la société Mutuelle Générale pouvait déduire du calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée 95 % des revenus provenant de sociétés civiles immobilières non cotées alors même qu'elles lui étaient liées.
7. Enfin, en l'absence de question prioritaire de constitutionnalité présentée par mémoire distinct, la société requérante ne saurait valablement contester une imposition établie conformément aux dispositions législatives en vigueur en invoquant la méconnaissance du principe d'égalité devant l'impôt.
8. Aucun autre moyen n'ayant été soulevé, en première instance comme en appel, par la société Mutuelle Générale à l'appui de sa demande de réduction de ces cotisations, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement attaqué, et à demander que soient remises à la charge de la société Mutuelle Générale les sommes dont la décharge lui avait été accordée en première instance.
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'étant pas, en la présente instance, la partie perdante, les conclusions présentées par la société Mutuelle Générale sur le fondement des dispositions précitées ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2101731/1 du 23 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : La fraction des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises due au titre des années 2018 et 2019 dont le jugement attaqué a accordé la décharge est remise à la charge de la société Mutuelle Générale.
Article 3 : Les conclusions de la société Mutuelle Générale présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société Mutuelle Générale.
Copie en sera adressée à la direction des grandes entreprises.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
La rapporteuer,
P. HAMONLe président,
B. AUVRAYLa greffière,
L. CHANALa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02223