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17/10/2024 | FRANCE | N°23PA00612

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 17 octobre 2024, 23PA00612


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 18 février 2020 par laquelle l'administration fiscale a rejeté sa réclamation préalable et, d'autre part, de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012, 2013 et 2015 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclam

s au titre de la période correspondant aux mêmes années.



Par un jugement n° 2012454/...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 18 février 2020 par laquelle l'administration fiscale a rejeté sa réclamation préalable et, d'autre part, de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012, 2013 et 2015 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période correspondant aux mêmes années.

Par un jugement n° 2012454/1-2 du 18 octobre 2022, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, de ces impositions supplémentaires, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 14 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du 18 octobre 2022 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. B... présentée devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles il a été fait droit en première instance ;

3°) de rétablir M. B... au rôle de l'impôt sur le revenu au titre des années 2012, 2013 et 2015 et de remettre à sa charge les rappels de taxe sur la valeur qui lui ont été réclamés au titre des mêmes années à concurrence des droits, pénalités et intérêts de retard dont il a été déchargé en première instance.

Il soutient que M. B... a exercé de manière habituelle, pour son propre compte et dans un but lucratif, une activité de négociant en vin.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2023, M. B..., représenté par Me Rouve, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique lui verse une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen soulevé par le ministre n'est pas fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,

- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L'activité exercée par M. B... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2015. A l'issue de cette vérification, clôturée par une proposition de rectification du 8 septembre 2017, l'administration fiscale, après avoir estimé que l'intéressé avait exercé une activité occulte de négociant en vin, faute d'avoir déposé les déclarations fiscales qu'il était tenu de souscrire ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, lui a assigné, selon la procédure d'évaluation d'office prévue au 1° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, des suppléments d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre des années 2012, 2013 et 2015 et, selon la procédure de taxation d'office prévue au 3° de l'article L. 66 du même livre, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période correspondant aux années 2012 et 2015, à raison de recettes tirées d'opérations d'achat-revente de bouteilles de vin Pétrus. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel du jugement du 18 octobre 2022 en tant qu'il a fait entièrement droit à la demande de M. B... tendant à la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des impositions supplémentaires qui ont découlé de ce contrôle fiscal.

Sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu :

2. Aux termes de l'article 34 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale ". L'accomplissement à titre professionnel d'actes réputés " de commerce " par la loi commerciale est une activité commerciale au sens de ces dispositions. L'article L. 110-1 du code de commerce, alors en vigueur, répute actes de commerce tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en œuvre. L'exercice d'une profession commerciale suppose l'accomplissement habituel, par les personnes relevant de l'impôt sur le revenu, d'opérations de nature commerciale, industrielle ou artisanale, pour leur propre compte et dans un but lucratif.

3. Il résulte de l'instruction que, d'une part, M. B... a acheté auprès de la société Duclot, vendeur de vin Pétrus en primeur, le 11 juillet 2011, 6 bouteilles de ce vin, millésime 2010, pour un prix total de 3 750 euros hors taxes, le 16 mars 2012, 6 bouteilles du même vin, millésime 2009, pour un prix total de 3 150 euros hors taxes, les 28 mai 2013 et 14 juin 2013, 48 bouteilles du même vin, millésime 2012, pour un prix total de 18 720 euros hors taxes et que, d'autre part, ces bouteilles ont été revendues par l'intéressé à un professionnel, la société Maison Descaves, négociant en vin à Bordeaux, respectivement les 19 avril 2013, 14 septembre 2012 et 4 juillet 2013 pour des prix totaux respectifs de 12 000 euros, 14 400 euros et 72 000 euros, celles-ci ayant été livrées respectivement les 21 mai 2013, 18 septembre 2012 et 16 juillet 2015.

4. Pour retenir que M. B... n'avait pas exercé une activité commerciale de négociant en vin en 2012, 2013 et 2015, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce que, eu égard au fait que l'intéressé a acquis, en tant que collectionneur de vins, 698 bouteilles au cours des dix années vérifiées, que les ventes en litige n'ont porté que sur 60 bouteilles et que les deux premières ventes ont concerné un nombre de bouteilles très réduit, il y avait lieu de retenir que

M. B... devait être regardé au cours des années d'imposition en litige comme ne s'étant pas livré, habituellement, pour son propre compte et dans un but lucratif, à une activité d'achat de vins en vue de leur revente.

5. Toutefois, il ressort de la chronologie des faits exposés au point 3 du présent arrêt qu'en 2011, M. B... a acquis 6 bouteilles revendues moins de deux ans plus tard pour un prix multiplié par 3,2, qu'en 2012, il a acheté 6 nouvelles bouteilles revendues six mois plus tard pour un prix multiplié par 4,6 et qu'enfin, les 48 bouteilles achetées en 2013 ont été revendues environ un mois plus tard pour un prix multiplié par 3,8. Il résulte également de l'instruction que les bouteilles ont été achetées puis revendues auprès de professionnels spécialisés dans le commerce du vin et que M. B... n'en a pas disposé physiquement dès lors que celles-ci, qui ont été achetées en primeur, c'est-à-dire avant que le vin ne fût mis en bouteille et commercialisé, ont été livrées par la société Duclot entre quatre jours et un peu plus de deux ans après leur revente à la société Maison Descaves, auprès de laquelle le ministre relève, sans être contredit, que l'intéressé disposait d'un compte fournisseur. En outre, alors que M. B... se présente comme un collectionneur de vins, la chronologie des faits ne traduit pas que les bouteilles ont été achetées en vue d'une consommation personnelle, alors que le vin Pétrus est mondialement réputé pour son potentiel de garde extrêmement important, et il ne résulte pas de l'instruction, ni n'est d'ailleurs allégué, que ces bouteilles ont été revendues en vue d'enrichir ou de compléter la collection de vins de M. B.... Enfin, s'il est constant que l'intéressé disposait d'un stock de 698 bouteilles de vin au cours de la période vérifiée, il résulte de l'instruction que seul des bouteilles de vin Pétrus ont été revendues et que celles-ci représentaient 58,2 % du stock de bouteilles de vin Pétrus acquis par M. B... entre le 17 février 2006 et le 14 juin 2013. Ainsi, eu égard à l'importance et à la fréquence des transactions en litige sur une période comprise entre 2012 et 2015 et au fait que les bouteilles de vin Pétrus revendues sont demeurées peu de temps dans le patrimoine du contribuable, le ministre est fondé à soutenir que M. B... doit être regardé, aux dates d'acquisition des bouteilles ultérieurement revendues, comme ne s'étant pas comporté comme un simple collectionneur de vins mais comme ayant eu une activité commerciale de négociant en vin à titre individuel et dans un but lucratif, et qu'il était dès lors passible de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux à raison des bénéfices qui ont résulté de ses opérations d'achat-revente de bouteilles de vin Pétrus, lesquelles n'étaient dès lors pas destinées à enrichir sa collection mais, au contraire, à financer d'autres achats de bouteilles ne concernant pas ce cru.

Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

6. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts, alors en vigueur : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 256 A de ce code, alors en vigueur : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention / (...) / Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...). Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ". Les dispositions précitées des articles 256 et 256 A du code général des impôts doivent être interprétées à la lumière des dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, dont elles assurent la transposition. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 9 de cette directive : " Est considéré comme "assujetti" quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité / Est considérée comme "activité économique" toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...). Est en particulier considérée comme activité économique, l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence ".

7. Il résulte des énonciations du point 5 du présent arrêt que l'activité de vente de vins en cause a été exercée par M. B..., sur la période considérée, pour son propre compte et qu'elle présente un caractère commercial. Dès lors, le ministre est également fondé à soutenir que ces ventes doivent être regardées comme des livraisons de biens effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel et passibles, comme telles, de la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions précitées de l'article 256 du code général des impôts.

8. Il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif mentionné au point 3 du présent arrêt pour décharger M. B... des impositions litigieuses. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions du ministre tendant à l'annulation des articles 1er et 2 du jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de rejeter les conclusions de la demande de M. B... auxquelles le Tribunal administratif de Paris a fait droit, ces conclusions étant fondées sur le même et unique moyen que celui sur lequel il est statué par le présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2012454/1-2 du 18 octobre 2022 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. B... a été assujetti au titre des années 2012, 2013 et 2015 et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période correspondant aux années 2012 et 2015 sont remis à sa charge ainsi que les pénalités et intérêts de retard correspondants.

Article 3 : Les conclusions de la demande de M. B... présentée devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles il a été fait droit en première instance sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées en appel par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à M. A... B....

Copie en sera adressée au directeur chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

Le rapporteur,

M. DESVIGNE-REPUSSEAU

Le président,

B. AUVRAY

La greffière,

L. CHANA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA00612


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00612
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : ROUVE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;23pa00612 ?
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