Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air Alizé a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie :
1°) de condamner le centre hospitalier territorial (CHT) Gaston Bourret de Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 2 516 828 francs CFP, à actualiser, en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de l'absence de revalorisation des prix des prestations du marché à hauteur de 3 % ;
2°) de condamner le CHT à lui verser la somme de 26 763 648 francs CFP, à actualiser, en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de l'absence de paiement des prestations hors marché, d'urgences ambulancières.
Par un jugement n° 2200436 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2023, la société Air Alizé, représentée par Me Palmier, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 13 juillet 2023 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge du CHT une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal administratif a été rendu irrégulièrement au regard de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, l'information qui lui a été donnée avant l'audience sur le sens des conclusions du rapporteur public, étant insuffisamment précise ;
- il est irrégulier au regard de l'article R. 741-2 du même code, faute de viser ses quatre mémoires complémentaires ;
- il n'a pas répondu à son moyen tendant à démontrer que le CHT avait, par son projet d'avenant transmis le 12 avril 2022, accepté une revalorisation de 3 %, des prix des prestations du marché, et à son moyen relatif au refus du CHT de revaloriser les prix à partir du mois du 1er avril 2022 ;
- le tribunal administratif a irrégulièrement rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de paiement des prestations hors marché, d'urgences ambulancières, comme irrecevables ;
- elle doit être indemnisée à raison de ces prestations pour un montant de 26 763 648 francs CFP ;
- elle doit être indemnisée pour un montant de 2 516 828 francs CFP à raison des préjudices qu'elle a subis du fait de l'absence de révision annuelle des prix des prestations du marché, telle que prévue à l'article 6.2.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), à hauteur de 3 %, à partir du 1er avril 2022.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 octobre 2023 et le 11 avril 2024, le CHT, représenté par Me Descombes, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société Air Alizé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de la société Air Alizé devant le tribunal administratif a été présentée tardivement ;
- elle n'est pas recevable à invoquer la théorie de " l'imprévision ", alors que le présent litige porte sur la révision annuelle prévue à l'article 6.2.1 du CCAP ;
- ses conclusions subsidiaires tendant à obtenir une indemnisation pour un montant de 6 161 249 francs CFP à raison des préjudices qu'elle soutient avoir subis du fait de l'absence de révision annuelle des prix des prestations du marché à hauteur de 2 %, à partir du 1er avril 2022, n'ont pas été précédées d'un mémoire de réclamation, et sont donc irrecevables ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par trois mémoires en réplique, enregistrés le 9 novembre 2023, le 8 mars 2024 et le 2 septembre 2024, la société Air Alizé conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens. Elle demande en outre à la Cour, à titre subsidiaire, de condamner le CHT à lui verser la somme de 6 161 249 francs CFP, à actualiser, en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de revalorisation annuelle des prix des prestations du marché à hauteur de 2 %.
Elle soutient en outre :
- elle doit a minima, selon le jugement du tribunal administratif, être indemnisée pour un montant de 6 161 249 francs CFP, à raison des préjudices qu'elle a subis du fait de l'absence de révision annuelle des prix des prestations du marché, telle que prévue à l'article 6.2.1 du CCAP, à hauteur de 2 %, à partir du 1er avril 2022 ;
- elle a droit à une indemnité à raison de ces préjudices sur le fondement de l'article 41 de la délibération n° 424 du 20 mars 2019, modifiée par la délibération n° 361 du 28 novembre 2023.
Par une ordonnance du 19 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi 99-210 du 19 mars 1999 ;
- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 ;
- la délibération n° 64/CP du 10 mai 1989 ;
- la délibération n° 424 du 20 mars 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- les observations de Me Palmier, pour la société Air Alizé,
- et les observations de Me Especel, pour le centre hospitalier territorial (CHT) Gaston Bourret de Nouvelle-Calédonie.
Une note en délibéré, présentée pour la société Air Alizé, a été enregistrée le 2 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par un marché n° 2020/17 conclu le 13 janvier 2020, le centre hospitalier territorial (CHT) Gaston Bourret de Nouvelle-Calédonie a confié à la société Air Alizé, pour une durée de six années, des missions de transports sanitaires par avion dans le cadre des activités du SAMU. La société Air Alizé, après avoir estimé dans un courrier du 15 novembre 2021 que les prestations prévues par le marché ne comprenaient pas les prestations d'urgences ambulancières réalisées sans équipe médicale, et avoir, par un courrier du 17 mars 2022, demandé au CHT une révision des prix des prestations du marché à hauteur de 3 % à partir du mois d'avril 2022, lui a, le 7 juillet 2022, fait parvenir un mémoire de réclamation, qui a fait l'objet d'une décision de rejet le 16 août 2022. La société Air Alizé a alors demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner le CHT à l'indemniser du préjudice qu'elle aurait subi du fait du refus de réviser les prix à hauteur de 3 %, pour un montant de 2 516 828 francs CFP, ainsi que du préjudice qu'elle aurait subi du fait des urgences ambulancières, pour un montant de 26 763 648 francs CFP. Elle fait appel du jugement du 13 juillet 2023, par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement du tribunal administratif :
2. En premier lieu, pour l'application de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.
3. Il ressort du dossier de première instance que, préalablement à l'audience qui s'est tenue devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie le 22 juin 2023, le rapporteur public a, le 20 juin 2023, renseigné dans l'application " Sagace " la rubrique " sens synthétique des conclusions " en indiquant " rejet au fond ". Il a ainsi mis les parties ou leurs mandataires en mesure de connaître le sens de ses conclusions et d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, ainsi que de préparer, le cas échéant, des observations orales et d'envisager la production après cette audience d'une note en délibéré. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative doit donc être écarté.
4. En deuxième lieu, il ressort des visas du jugement du tribunal administratif que le tribunal a, contrairement à ce que soutient la société Air Alizé, visé les quatre mémoires complémentaires qu'elle a présentés les 28 avril, 8 mai, 22 mai et 15 juin 2023. Ainsi, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement au regard de l'article R. 741-2 du code de justice administrative manque en fait.
5. En troisième lieu, il ressort des motifs du jugement du tribunal administratif que le tribunal a interprété la demande de la société Air Alizé comme tendant à l'indemnisation de ses préjudices d'exploitation liés au refus du CHT de réviser les prix des prestations du marché à hauteur de 3 %, notamment pour le mois d'avril 2022. Il ressort en outre de ce jugement que le tribunal a répondu à l'ensemble des moyens que la société Air Alizé avait fait valoir devant lui. Il n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments qui étaient avancés au soutien de ces moyens, notamment à l'argument selon lequel le CHT aurait, par son projet d'avenant transmis le 12 avril 2022, accepté une revalorisation de 3 %, des prix des prestations du marché. Le bienfondé des réponses qu'il a apportées aux moyens de la demande de la société est sans incidence sur sa régularité.
Sur les conclusions tendant à la condamnation du CHT à hauteur de 2 516 828 francs CFP en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de révision des prix des prestations du marché après le 1er avril 2022 :
6. Aux termes de l'article 6 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " 6.2.1 Révision annuelle : Les prix sont considérés comme fermes durant la première année de mise en service opérationnel des appareils à compter de leur mise à disposition (...) / Avant la fin de chaque période annuelle, (...) le titulaire du marché pourra proposer ses nouveaux prix, accompagnés de tous les justificatifs nécessaires, qui donneront lieu à négociation avec le CHT. / Les prix ne pourront pas être augmentés annuellement de plus de 3 % à activité comparable en référence aux 700 heures de vol annuelles constituant le volume annuel estimé au total pour l'utilisation des moyens de transport médical d'urgence par avion du SAMU (...) / Si aucun accord ne pouvait être trouvé sur les nouveaux prix, dans un délai d'un mois après le début de la négociation, le CHT se réserve le droit de ne pas reconduire le marché (...) ".
7. En premier lieu, ainsi que le tribunal administratif l'a relevé à bon droit, la société Air Alizé n'a présenté en première instance aucun calcul précis permettant d'établir un lien entre l'évolution de certains de ses coûts et la révision des prix des prestations du marché de 3 %, à laquelle elle prétend. Elle n'a pas non plus produit un tel calcul devant la Cour. Elle ne saurait se borner à faire état du projet d'avenant transactionnel que le CHT lui a transmis le 12 avril 2022, qui, s'il prévoyait une révision des prix à hauteur de 3 %, comportait des dispositions relatives aux urgences ambulancières. Enfin, les avenants qu'elle a conclus par la suite avec le CHT pour prévoir deux revalorisations des prix de 3 % au 1er avril 2023 et au 1er avril 2024, ne sauraient davantage établir que l'évolution de ses coûts en 2021 et 2022 justifiait la même révision.
8. En deuxième lieu, la société Air Alizé qui n'a pas signé le projet d'avenant que le CHT lui a transmis le 25 mai 2022, prévoyant une révision des prix à hauteur de 2 % avec effet à la date de la notification de l'avenant, sans comporter de clause de renonciation à une réclamation ou à une action ultérieure en vue d'obtenir une revalorisation plus importante à partir du 1er avril 2022, ne saurait faire état de l'accord du CHT pour cette révision, tel que mentionné dans le jugement du tribunal administratif, pour demander à titre subsidiaire que le CHT soit condamné à l'indemniser en conséquence à hauteur de 6 161 249 francs CFP.
9. En troisième lieu, la société Air Alizé ne saurait en tout état de cause invoquer utilement les dispositions de l'article 41 de la délibération du Congrès de la Nouvelle-Calédonie n° 424 du 20 mars 2019, modifiée par la délibération n° 361 du 28 novembre 2023, instaurant une indemnité destinée à compenser certaines charges exceptionnelles.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de première instance, que la société Air Alizé n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté ses conclusions mentionnées ci-dessus.
Sur les conclusions tendant à la condamnation du CHT à hauteur de 26 763 648 francs CFP en réparation du préjudice subi du fait des prestations d'urgences ambulancières :
11. Aux termes de l'article 34 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) de fournitures courantes et de service applicable au marché : " 34.1. Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu. / 34.2 La personne publique dispose d'un délai de deux mois compté à partir de la réception du mémoire de réclamation pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation. ".
12. L'apparition d'un différend, au sens des stipulations précitées, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord.
13. De plus, ces stipulations impliquent nécessairement que l'absence d'envoi d'un mémoire en réclamation dans le délai de trente jours suivant la naissance du différend, emporte forclusion de l'action contractuelle subséquente.
14. Pour rejeter les conclusions de la société Air Alizé tendant à la condamnation du CHT à hauteur de 26 763 648 francs CFP en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de prestations d'urgences ambulancières, le tribunal administratif a estimé que le différend, au sens des stipulations citées ci-dessus de l'article 34 du CCAG, était né du courrier envoyé par le CHT le 13 décembre 2021 en réponse à un courrier que la société lui avait adressé le 15 novembre 2021 au sujet du refus du CHT de rémunérer ces prestations. Il a également relevé que la société n'avait formé une réclamation que le 7 juillet 2022, en dehors du délai d'un mois prévu par l'article 34 du CCAG.
15. Il résulte en effet de la note annexée au courrier adressé par la société Air Alizé au CHT le 15 novembre 2021 que les prestations d'urgences ambulancières réalisées sans équipe médicale n'étaient, selon la société, pas comprises dans le périmètre du marché, et de ce courrier que la société proposait de saisir le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics pour trancher cette divergence d'interprétation, ou de conclure un avenant sur ce point. Il résulte au contraire de la réponse du CHT en date du 13 décembre 2021 que ces prestations étaient, selon le CHT, comprises dans le marché. Dans ces conditions, et même si son courrier du 15 novembre 2021 ne contenait pas de demande chiffrée, la société Air Alizé n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie aurait irrégulièrement rejeté ses conclusions mentionnées ci-dessus.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHT, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société Air Alizé au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Air Alizé une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le CHT et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Air Alizé est rejetée.
Article 2 : La société Air Alizé versera au CHT une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air Alizé et au centre hospitalier territorial Gaston Bourret de Nouvelle-Calédonie.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et au ministre chargé des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2024.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04029