Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 20 juin 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.
Par un jugement n° 2317674 du 28 novembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées le 15 mars 2024 et le 1er avril 2024,
M. A... C..., représenté par Me Rochiccioli, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision est entachée d'un vice de procédure, faute de preuve que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a été rendu de manière collégiale, ce qui constitue une garantie ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'il ne peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences qu'elle porte sur sa situation personnelle.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences qu'elle porte sur sa situation personnelle.
Par un mémoire, enregistré le 12 juillet 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Par une décision du 8 février 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. A... C....
Par ordonnance du 23 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 septembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les observations de Me Rochiccioli, pour M. A... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., ressortissant tunisien né le 1er mai 1999, entré en France le
12 janvier 2017 sous couvert d'un visa à entrées multiples " court séjour circulation ", a bénéficié d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", pour raison de santé, valable du
15 septembre 2021 au 14 septembre 2022, dont il a sollicité le renouvellement le 25 août 2022. Par un arrêté du 20 juin 2023, le préfet de police a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination.
M. A... C... relève appel du jugement du 28 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) /La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose,
d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise du 31 janvier 2023 du docteur F..., médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation fonctionnelle et chef de service du service de rééducation neuro-orthopédique à l'hôpital Marin de Hendaye (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), que M. A... C..., à la suite d'une très violente agression dont il a été victime le 15 décembre 2018, a présenté un traumatisme crânien grave avec lésions cranio-encéphaliques attestées par la présence d'un score de Glasgow initial à 3, d'un coma de 21 jours et d'une amnésie post-traumatique de l'ordre de 53 jours. Ayant été intubé et extubé à plusieurs reprises, et victime d'une hémorragie intra-ventriculaire avec inondation de la corne occipitale et des ventricules latéraux, ainsi que de lésions axonales diffuses, son état a nécessité une hospitalisation prolongée en réanimation et post-réanimation de quatre mois et demi, suivie d'une hospitalisation continue de plus d'un an en hôpital de jour. Il a en outre présenté une décompensation psychiatrique avec un séjour en psychiatrie de six mois en hospitalisation complète du 27 octobre 2020 au 13 avril 2021, période faisant suite à celle du confinement lié à la pandémie de la covid-19. Il résulte en outre du certificat médical confidentiel en date du
13 octobre 2023 du docteur E..., expert judiciaire près de la cour d'appel de Paris et spécialiste en réparation juridique du dommage corporel, à destination du collège de médecins de l'OFII, postérieur à l'arrêté attaqué mais révélant une situation antérieure à celui-ci, que M. A... C... présente d'importantes séquelles neurocognitives composées de troubles cognitifs, d'asthénie, de troubles de la concentration, d'impossibilité " pour l'instant " à poursuivre ses études, de troubles psychiatriques ainsi que d'un syndrome dépressif majeur réactionnel avec idées morbides.
6. Par un avis du 10 mars 2023, le collège de médecins de l'OFII a estimé que si l'état de santé de M. A... C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut est susceptible d'entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, celui-ci peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Pour contredire cet avis, M. A... C... soutient que le suivi médical pluridisciplinaire dont il bénéficie, qui comprend une rééducation par orthophoniste, kinésithérapeute et ergothérapeute ainsi qu'un suivi psychiatrique, n'est pas accessible de manière effective en Tunisie et que notamment, une interruption de sa prise en charge psychiatrique pourrait avoir des conséquences irréversibles sur son état de santé. A cet égard, il produit, d'une part, le certificat du docteur E... du 6 septembre 2022, adressé à l'OFII, par lequel celui-ci déclare, s'agissant de la pathologie somatique, qu'" il est impératif que le patient reste en France, en raison de la fragilité psychique, il risque un passage en autolyse " et que, s'agissant de la
pathologie psychiatrique, il existe un risque d'" évolution fatale si retour au pays d'origine ".
Le requérant produit, d'autre part, un certificat du 27 juillet 2023 du docteur G..., neurologue à Zarzis (Tunisie), qui, après avoir pris connaissance du dossier médical de l'intéressé, déclare que
" en tant que neurologue sur terrain et ayant eu l'expérience de suivre des patients pareils dans des services de rééducation adaptés en France et en Tunisie, je certifie ce qui suit : il n'existe pas de structures adéquates à ce type de patients qui ont besoin d'une rééducation pluridisciplinaire ". Ce praticien poursuit en évoquant " un risque majeur d'exacerber son état, s'il ne poursuit pas sa prise en charge médicale pluridisciplinaire (...). En conclusion, ce patient... risque une issue incertaine en cas de retour au pays natal, en l'absence... de structures adaptées à ses problèmes neurologiques et psychiques ". Le requérant produit également une note du 10 mars 2020 du directeur régional de la santé à Médenine (Tunisie), adressée à M. I... A... C..., père du requérant, par laquelle il déclare : " concernant la prise en charge de votre fils A... C... B...... qui est actuellement en France sous rééducation spécialisée multidisciplinaire (...) nous vous informons que dans notre zone sanitaire, on ne dispose pas de structures multidisciplinaires de rééducation spécialisée pouvant assurer les soins et la prise en charge nécessaire à votre fils ". D..., M. A... C... produit l'attestation du 18 février 2020 du docteur H..., professeur en médecine physique au CHU Habib Bourguiba de Sfax (Tunisie), qui mentionne, également après avoir pris connaissance de son dossier médical, que " cette prise en charge à caractère pluridisciplinaire n'est pas encore disponible vu l'absence de structures pluridisciplinaires habilitées dans la prise en charge surtout des séquelles invisibles dont souffre M. B... A... C... ". L'OFII, de son côté, mentionne dans ses observations de première instance que, outre la disponibilité du traitement médicamenteux de M. A... C..., composé de Viortoxétine, d'Alprazolam et de Clozapine, en Tunisie, un traitement ambulatoire et un suivi par un psychiatre est également disponible à l'hôpital psychiatrique Errazi de Tunis, concernant le suivi rééducatif et psychiatrique de l'intéressé. L'Office indique également que, concernant la prise en charge en rééducation, un traitement ambulatoire et un suivi par un spécialiste en médecine de réadaptation est disponible au CHU La Rabta, tandis qu'un traitement hospitalier par un spécialiste de médecine physique est disponible à l'hôpital Charles Nicolle, ces établissements de santé étant tous deux situés à Tunis. Toutefois, en réponse à ces observations, M. A... C... fait valoir que, d'une part, l'hôpital psychiatrique Errazi de Tunis, spécialisé en psychiatrie, ne pourra lui dispenser les autres soins qui lui sont nécessaires et que, d'autre part, ni le CHU La Rabta ni l'hôpital Charles Nicolle ne proposent de services d'orthophonie, de kinésithérapie ou d'ergothérapie, ainsi qu'il résulte de la présentation des spécialités médicales qu'ils proposent sur leur site internet. Dès lors, en se bornant à indiquer, en défense, qu'il existe en Tunisie des structures prodiguant les soins pluridisciplinaires précités, le préfet ne produit aucune source ou élément permettant d'établir que le requérant pourrait bénéficier d'un accès effectif aux traitements que requiert son état de santé s'il devait retourner dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de police, en estimant que M. A... C... pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et en refusant, en conséquence, de lui délivrer un titre de séjour pour soins, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette illégalité entraîne, par voie de conséquence, celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ce jugement doit, dès lors, être annulé, ainsi que l'arrêté en litige du 20 juin 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 6, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à l'intéressé. Il y a lieu, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, d'enjoindre au préfet de police d'y procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
9. M. A... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et
37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rochiccioli, avocate de M. A... C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rochiccioli de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2317674 du tribunal administratif de Paris du 28 novembre 2023 et l'arrêté du préfet de police du 20 juin 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, de délivrer à M. A... C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Une somme de 1 000 euros sera versée par l'Etat à Me Rochiccioli, avocate de
M. A... C..., en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Lu en audience publique le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA01243 2