Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 9 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de ce refus.
Par un jugement n° 1713611 du 21 décembre 2018, le tribunal administratif
de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt nos 19PA00828, 19PA00838 du 31 mars 2021, la cour administrative d'appel de Paris a notamment, d'une part, annulé la décision implicite par laquelle la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et, d'autre part, enjoint à cette dernière autorité, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.
Procédure devant la Cour :
Par une lettre du 5 septembre 2023, M. B..., représenté par la SCP Boré,
Salve de Bruneton et Mégret, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a demandé à la Cour, en application des dispositions des articles L. 911-4 et R. 921-1 et suivants du code de justice administrative, d'assurer l'exécution de cet arrêt.
Par des lettres enregistrées les 18 octobre 2023 et 13 décembre 2023, la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a informé la Cour des dispositions qui ont été prises pour procéder à l'exécution de cet arrêt.
Par des lettres enregistrées les 22 novembre 2023 et 5 février 2024, M. B... a estimé que l'arrêt rendu par la Cour le 31 mars 2021 n'était toujours pas exécuté.
Par une ordonnance du 11 mars 2024, la présidente de la Cour a ouvert une procédure juridictionnelle pour l'instruction de la demande d'exécution présentée par M. B....
Par des mémoires enregistrés le 8 avril 2024 et le 17 juin 2024, M. B..., représenté par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, demande à la Cour :
1°) d'enjoindre à la présidente du conseil régional d'Ile-de-France d'assurer l'exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 31 mars 2021 dans le délai d'un mois à compter de l'ouverture de la phase juridictionnelle, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la région Ile-de-France n'a pas exécuté l'arrêt du 31 mars 2021 dès lors qu'elle a procédé à une réduction abusive de la protection fonctionnelle en la limitant au seul engagement d'une procédure pénale, alors que ni le dispositif ni les motifs de l'arrêt ne cantonnent à la seule sphère pénale le bénéfice de la protection fonctionnelle qu'il s'est vu accorder, qu'il ne s'est pas prévalu d'une telle procédure pénale, qu'il n'a d'ailleurs jamais engagée, au soutien de son recours contentieux dirigé contre le refus d'octroi de la protection fonctionnelle, et que le champ d'application de la protection fonctionnelle ne saurait être limité à la prise en charge des frais engagés au titre d'une unique procédure juridictionnelle à raison de sa nature, mais couvre les frais exposés au titre de toutes les procédures engagées devant quelque ordre de juridiction que ce soit à raison des faits de harcèlement moral dont il a été victime ;
- le courrier de la région Ile-de-France du 6 juillet 2023 traduit un refus d'exécuter l'arrêt prononçant l'injonction ;
- l'exécution par la région de l'arrêt du 31 mars 2021 implique nécessairement la prise en charge des frais engagés par lui aux fins de cette exécution, lesquels ne relèvent donc pas d'un litige distinct.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2024, la région Ile-de-France conclut au rejet de la demande d'exécution et demande qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a correctement exécuté l'arrêt du 31 mai 2021 en octroyant à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre des poursuites pénales engagées à l'encontre de ses anciens supérieurs hiérarchiques conformément à la demande initiale de l'intéressé ;
- le litige relatif aux factures d'avocat devant être prises en charge dans le cadre de la protection fonctionnelle accordée à M. B... constitue un litige distinct.
Vu les autres pièces du dossier.
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- les observations de M. B... et de Me Bekpoli, représentant la région Ile-de-France.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions à fin d'exécution :
1. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Aux termes de l'article L. 911-4 du même code : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. / (...) Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. ".
2. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de définition, par le jugement ou l'arrêt dont l'exécution lui est demandée, des mesures qu'implique nécessairement cette décision, il appartient au juge saisi sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative d'y procéder lui-même en tenant compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision. Si la décision faisant l'objet de la demande d'exécution prescrit déjà de telles mesures en application de l'article L. 911-1 du même code, il peut, dans l'hypothèse où elles seraient entachées d'une obscurité ou d'une ambigüité, en préciser la portée. Le cas échéant, il lui appartient aussi d'en édicter de nouvelles en se plaçant, de même, à la date de sa décision, sans toutefois pouvoir remettre en cause celles qui ont précédemment été prescrites ni méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée.
3. D'autre part, il appartient au juge saisi sur le fondement de l'article L. 911-4 d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou qu'il prescrit lui-même par la fixation d'un délai d'exécution et le prononcé d'une astreinte suivi, le cas échéant, de la liquidation de celle-ci, en tenant compte tant des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par les parties tenues de procéder à l'exécution de la chose jugée ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être.
4. Par son arrêt n° 19PA00828, 19PA00838 du 31 mars 2021, la Cour a annulé la décision implicite du 3 novembre 2017 par laquelle la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a rejeté la demande de protection fonctionnelle de M. B... et a enjoint à cette même autorité, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.
5. Aux termes des dispositions du troisième alinéa de l'article 11 de la loi du
13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige, désormais codifiées à l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique : " La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
6. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, le bénéfice de la protection fonctionnelle que l'administration est tenue d'accorder à son agent doit être regardé comme valant pour toutes les démarches et actions contentieuses que cet agent peut être conduit à effectuer, devant quelque ordre juridictionnel que ce soit et pour toutes les phases ou stades de la procédure, incluant la première instance et les voies de recours, de sorte que l'autorité administrative n'est pas tenue de réitérer son octroi pour chacune de ces phases, afin d'obtenir la réparation des menaces et violences qu'il a subies dans l'exercice de ses fonctions. Par suite et dès lors que la Cour a retenu, par son arrêt précité devenu définitif, que M. B... devait être regardé comme apportant un faisceau d'indices suffisamment probants pour permettre de considérer comme au moins plausible le harcèlement moral dont il s'est dit victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques, la protection fonctionnelle qui doit lui être accordée en exécution de l'injonction mentionnée au point 4 comprend nécessairement l'ensemble des actions contentieuses relatives à ce harcèlement.
7. Il résulte de l'instruction qu'en exécution de l'arrêt de la Cour du 31 mars 2021 et en réponse à une demande de M. B... présentée par lettre du 22 décembre 2022, la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a, par décision du 6 juillet 2023, octroyé la protection fonctionnelle à M. B..., " pour la prise en charge des frais d'honoraires d'avocat et des frais de procédure afin de vous accompagner dans la procédure pénale engagée pour les faits exposés ci-dessus ". En restreignant ainsi la portée de la protection fonctionnelle accordée à M. B... à la prise en charge des frais d'honoraires d'avocat et de procédure engagés au titre de la procédure pénale que celui-ci aurait engagée à l'encontre de ses anciens supérieurs hiérarchiques, la présidente du conseil régional d'Ile-de-France ne peut être regardée comme ayant entièrement exécuté l'arrêt du 31 mars 2021. Dans ces conditions, il y a lieu de préciser l'injonction précédemment prononcée en enjoignant à la région Ile-de-France d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, dont la portée est précisée aux points 5 et 6, dans un délai de 60 jours à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
8. Enfin, à supposer que M. B... ait entendu contester, dans le cadre de la présente instance, le refus par la région de sa demande de prise en charge des frais d'honoraires avancés par lui à son conseil pour un montant de 3 600 euros, relatifs aux prestations d'" assistance à la suite de l'arrêt rendu par la CAA de Paris du 31 mars 2021 ", de " démarches auprès de la Région pour faire exécuter l'arrêt du 31 mars 2021 " et de " préparation d'une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices subis ", cette contestation, qui porte sur les modalités de mise en œuvre de la protection fonctionnelle, soulève un litige distinct de l'exécution de l'arrêt mentionné ci-dessus.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la région Ile-de-France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens de la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : Il est enjoint à la présidente du conseil régional d'Ile-de-France d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. B... à la lumière des motifs indiqués aux points 5 et 6 de la présente décision, dans un délai de soixante jours à compter de la notification.
Article 2 : La région Ile-de-France versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la région Ile-de-France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus des conclusions de M. B... sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la région Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTONLa greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01236