Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2215950 du 5 janvier 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées le 17 janvier 2024 et le 4 septembre 2024, Mme B... épouse A..., représentée par Me Calvo Pardo, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle justifie de motifs exceptionnels au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- son acte de mariage rectifié du 20 novembre 2023 établit qu'elle s'est mariée le 25 mars 2012 et non le 25 mars 2021, ainsi qu'il était indiqué, par suite d'une erreur de l'officier d'état-civil, sur son acte de mariage initialement produit ;
- la décision de refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision de refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de refus de séjour méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 28 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
20 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les observations de Me Loqueville substituant Me Calvo Pardo et de Mme B... épouse A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... épouse A..., ressortissante indienne née le 17 avril 1993, entrée en France le 14 juin 2015 sous couvert d'un visa Schengen de court séjour, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 19 octobre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... épouse A... relève appel du jugement du 5 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'ensemble des pièces produites par Mme B... épouse A..., en particulier de son passeport, valable du 22 juillet 2013 au
21 juillet 2023, qui comporte l'ensemble des pages numérotées, que celle-ci résidait en France de manière continue depuis plus de sept ans à la date de la décision attaquée avec M. C... E... A..., son époux, à la même adresse située à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
M. A..., compatriote, était titulaire, à la date de la décision attaquée, d'une carte de séjour pluriannuelle en qualité de salarié, valable du 8 juillet 2020 au 7 juillet 2024. Il ressort de l'acte de mariage rectifié du 20 novembre 2023, portant le tampon d'un traducteur interprète assermenté au tribunal de grande instance de Créteil, que le couple s'est marié
le 25 mars 2012 en Inde, et non le 25 mars 2021, comme l'indiquait, suite à une erreur de l'officier d'état-civil, l'acte de mariage initialement produit. Le couple a deux enfants nés respectivement le 13 juin 2016 et le 17 mai 2020 à Saint-Denis, dont l'aîné était scolarisé à la date de la décision attaquée. Par suite, Mme B..., épouse A... doit être regardée comme ayant fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux en France à la date de la décision attaquée, ce qui n'est au demeurant pas contesté par le préfet qui n'a produit de mémoire en défense ni en appel ni en première instance. Dans ces conditions, nonobstant la circonstance que Mme B... épouse A... aurait pu bénéficier de la procédure de regroupement familiale en cas de retour, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour a méconnu les stipulations de
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette illégalité entraîne, par voie de conséquence, celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme B... épouse A... est fondée à soutenir, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".
6. Il résulte de l'instruction qu'à la date du présent arrêt, l'époux de Mme B... épouse A..., n'est titulaire que d'un récépissé de demande de carte de séjour, délivré dans le cadre de sa demande de renouvellement de son titre de séjour. Dans ces conditions, l'exécution de cet arrêt implique seulement le réexamen de la situation de la requérante. Il y a lieu, par suite, en application des dispositions précitées de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder à ce réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Mme B..., épouse A..., en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2215950 du tribunal administratif de Montreuil du 5 janvier 2024 et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 19 octobre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de
Mme B... épouse A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... épouse A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Lu en audience publique le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00279