Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du
3 mai 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2313449 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'arrêté du 3 mai 2023, d'autre part, enjoint au préfet de police de réexaminer la demande de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2023, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de M. A... présentée devant ce tribunal.
Il soutient que :
- le tribunal a entaché le jugement d'irrégularité en retenant le motif d'annulation tiré de ce qu'il ne pouvait refuser de délivrer un titre de séjour " salarié " à M. A... au motif de l'irrégularité de son séjour résultant, selon lui, de la fraude dont il était entaché, alors que ce moyen n'avait pas été soulevé par le demandeur de première instance ;
- c'est à tort que les premiers juges se sont bornés à constater que n'ayant ni retiré ni abrogé le titre de séjour de M. A..., il ne pouvait légalement considérer que ce dernier se trouvait en situation irrégulière à la date de sa demande, dès lors qu'il y avait lieu de lui opposer, en tout état de cause, les conditions frauduleuses d'obtention du visa de long séjour et du titre de séjour délivrés en qualité de conjoint de français ;
- la fraude tenant à ce que le mariage de M. A... a été contracté dans le but exclusif de le faire bénéficier d'un visa de long séjour puis d'une carte de séjour délivrés en qualité de conjoint de français est établie ;
- à supposer même qu'il n'ait pu opposer à M. A... l'irrégularité de son séjour du fait de l'absence de retrait de son titre de séjour, il aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur la fraude entachant la délivrance du visa de long séjour ;
- les autres moyens de M. A... soulevés en première instance, tirés notamment de l'erreur de fait, de l'erreur manifeste d'appréciation ainsi que de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2024, M. A..., représenté par la SELARL Aequae, Me Vitel, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris du 31 octobre 2023 ;
2°) à défaut, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen d'annulation retenu par les premiers juges doit être regardé comme ayant été soulevé en première instance ;
- dès lors que le préfet n'a pas procédé au retrait de son titre de séjour ni ne l'a abrogé, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il ne pouvait se fonder sur une fraude non établie, sans respect d'une procédure contradictoire, pour considérer qu'il se trouvait en situation irrégulière à la date de sa demande et lui refuser la délivrance d'un titre de séjour " salarié " ;
- s'agissant des moyens de première instance, la décision de refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure tiré de la méconnaissance des articles L. 121-1 et L. 121-2
du code précité et du non-respect du principe du contradictoire ;
- elle est entachée d'un vice de procédure tiré de la méconnaissance du droit à être entendu ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet n'ayant pas mis fin à son précédent titre de séjour, il ne pouvait lui refuser la délivrance d'un titre de séjour " salarié " au motif que la régularité de son séjour aurait été acquise frauduleusement ;
- elle est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation en ce qu'elle retient qu'il a contracté mariage dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle a été édictée en méconnaissance de son droit d'être entendu ;
- le préfet ne pouvait prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français dès lors qu'il est en situation de se voir délivrer de plein droit un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une ordonnance du 23 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
30 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- ainsi que les observations de Me Charles substituant Me Vitel et de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 3 octobre 1990, a contracté mariage avec une ressortissante française, le 31 octobre 2019 à Abidjan (Côte d'Ivoire). Il a été muni d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de français valable du 5 février 2020 au 5 février 2021, sous couvert duquel il est entré en France le 10 juillet 2020. Il a ensuite bénéficié d'un titre de séjour en cette même qualité, valable du 9 mars 2021 au 8 mars 2022. Le divorce de M. A... ayant été prononcé par jugement du tribunal judiciaire de Paris du 25 octobre 2021, le requérant a sollicité, le 9 mai 2022, dans le cadre d'un changement de statut, un titre de séjour mention "salarié". Par un arrêté du 3 mai 2023, le préfet de police a rejeté cette demande et obligé M. A... à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, en fixant le pays de destination. Le préfet de police relève appel du jugement du 31 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a, notamment, annulé son arrêté du 3 mai 2023, lui a enjoint de réexaminer la demande de M. A... dans le délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement :
2. Pour annuler la décision de refus de titre de séjour, les premiers juges se sont fondés sur le moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait refuser de délivrer un titre de séjour mention "salarié" à M. A... au motif que son droit au séjour en qualité de conjoint de français aurait été obtenu frauduleusement, dès lors que, n'ayant ni retiré ni abrogé le titre de séjour dont M. A... était titulaire, le préfet ne pouvait légalement considérer que ce dernier se trouvait en situation irrégulière au jour de sa demande. Toutefois, ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, n'avait pas été invoqué par M. A..., contrairement à ce qu'il soutient. Ainsi, les premiers juges, en soulevant d'office un tel moyen, ont entaché leur jugement d'irrégularité. Il s'ensuit que le jugement du tribunal administratif de Paris du 31 octobre 2023 doit être annulé.
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de police du 3 mai 2023 :
4. D'une part, si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l'autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l'ensemble des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" d'une durée maximale d'un an. La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 412-1 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".
6. Il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet de police, pour refuser à M. A... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions susvisées de l'article
L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'est fondé sur la circonstance que celui-ci ne pouvait se prévaloir de la régularité de son droit au séjour obtenu frauduleusement pour prétendre obtenir un titre de séjour " salarié ", dont la délivrance est notamment subordonnée à la production d'un visa de long séjour. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, dès lors que le préfet n'avait ni retiré ni abrogé le visa de long séjour et le titre de séjour dont M. A... avait été titulaire en qualité de conjoint de français, il ne pouvait considérer que celui-ci se trouvait en situation irrégulière et se fonder ainsi légalement sur le caractère frauduleux de ces visa et titre pour en refuser le renouvellement par changement de statut, peu important à cet égard, contrairement à ce que soutient le préfet de police, que la
fraude fût ou non établie. Par suite, M. A... est fondé à soutenir, pour la première fois en appel, que la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la demande, à demander l'annulation de la décision de refus de séjour du
préfet de police du 3 mai 2023 ainsi que celle, par voie de conséquence, de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et de la décision fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Compte tenu du motif d'annulation retenu au point 6, le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet de police de réexaminer la demande de titre de séjour de M. A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'ordonner que lui soit délivrée une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais du litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2313449 du tribunal administratif de Paris du 31 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de police du 3 mai 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la demande de titre de séjour de
M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. A... en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Lu en audience publique le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04959