Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2024 par lequel le préfet de police de Paris a décidé son transfert aux autorités roumaines.
Par un jugement n° 2408299/8 du 29 mars 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a, à l'article 1er, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, à l'article 2, annulé l'arrêté du 22 janvier 2024, à l'article 3, enjoint au préfet de police de Paris de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du jugement, à l'article 4, mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, à l'article 5, rejeté le surplus de la demande de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 mai 2024, le préfet de police de Paris demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a fait droit au moyen tiré de ce que l'entretien au cours duquel M. A... a exposé sa situation n'a pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
La requête a été communiqué à M. A..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Vrignon-Villalba a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 22 janvier 2024, le préfet de police de Paris a décidé du transfert de M. A..., ressortissant bangladais né le 1er juin 2001, aux autorités roumaines, aux fins d'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 29 mars 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de police de Paris de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A.... Le préfet de police de Paris relève appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. Sauf élément particulier en sens contraire, un agent du bureau chargé de la demande d'asile doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du résumé de l'entretien établi le jour même et sur lequel est apposé un cachet portant la mention " Préfecture de Police, Délégation à l'Immigration, Bureau de l'accueil de la demande d'asile, 92, boulevard Ney - 75018 Paris ", dont le préfet de police indique qu'il s'agit d'un cachet sécurisé, et de la fiche d'instruction, produite pour la première fois en appel, qui comporte le nom de l'agent d'accueil et de l'agent vérificateur, que M. A... a bénéficié d'un entretien individuel mené, le 21 décembre 2023, dans les locaux de la préfecture de police par un agent de ce bureau. M. A... n'ayant apporté aucun élément au soutien de l'allégation selon laquelle l'entretien n'aurait pas été conduit par une personne qualifiée en vertu du droit national, alors qu'il ressort des pièces du dossier que cet entretien, qui a permis de l'inviter à fournir les informations en sa possession, utiles au processus de détermination de l'Etat membre responsable, a été conduit par un agent du bureau de l'accueil de la demande d'asile, les éléments versés au dossier par le préfet de police sont suffisants pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national et dans les locaux de la préfecture. Par ailleurs, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien, la durée de celui-ci, la possibilité de procéder à une relecture dudit résumé ou la possibilité pour le conseil de l'intéressé d'en solliciter la communication, ni que le relevé d'empreintes " Eurodac " soit remis à l'intéressé. Il ressort également du résumé que M. A... a bénéficié lors de son entretien individuel des services d'un interprète en bengali, qu'il a déclaré comprendre, provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles l'entretien s'est déroulé auraient privé M. A... de la possibilité de faire valoir toute observation utile ou n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité. Par suite, le préfet de police de Paris est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondée sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 pour annuler l'arrêté attaqué.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal :
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté n° 2023-01598 du 28 décembre 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris du même jour, le préfet de police a donné délégation, en cas d'absence ou d'empêchement de M. D... B..., chef du bureau de l'accueil de la demande d'asile, à Mme E... C..., attachée d'administration de l'Etat et responsable du pôle interdépartemental Dublin et accueil, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous actes, arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
7. L'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de M. A..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'il a sollicité l'asile auprès des autorités roumaines le 1er novembre 2023, que les autorités roumaines devaient être regardées comme étant responsables de sa demande d'asile sur le fondement de l'article 3 et de l'article 18.1 b) du règlement n° 604/2013, et que les autorités roumaines ont fait connaître leur accord le 4 janvier 2024 sur le fondement du c) de cet article. Il précise en outre que la situation de M. A... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France, ni n'établit être dans l'impossibilité de retourner en Roumanie, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et, enfin, qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités roumaines. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation résultant des dispositions citées ci-dessus. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il serait insuffisamment motivé doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre en temps utile, le 1er décembre 2023, lors de son entretien individuel, la brochure " A ", intitulée " J'ai demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne ", et la brochure " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement, ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue bengali qu'il a déclaré comprendre, et dont le contenu a été porté à sa connaissance par le biais d'un interprète en langue bengali. Si l'intéressé soutient que le préfet de police de Paris n'apporte pas la preuve que ces documents étaient complets, il n'apporte aucun élément en ce sens alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il a reconnu, en signant la première page des brochures, avoir reçu les pages 1 à 12 de la brochure " A ", les pages 1 à 15 de la brochure " B " et les pages 1 à 53 du guide du demandeur d'asile. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / (...) 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ".
11. Il résulte des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment des articles L. 571-1 et suivants, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions de transfert. Dès lors, les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre de la décision de transfert en litige. En tout état de cause, si M A... allègue qu'il n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses observations avant l'intervention de la décision contestée et se prévaut par erreur de l'article " L. 211-5 " du code des relations entre le public et l'administration, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'il a été mis à même de présenter ses observations avant l'intervention de la décision de transfert en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) no 603/2013 (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale (...) ". Par ailleurs, il résulte des dispositions des articles 15, 18 et 19 du règlement (CE) de la Commission du 2 septembre 2003 susvisé que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.
13. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande de prise ou de reprise en charge présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai d'un ou de deux mois au terme duquel, respectivement, la demande de reprise en charge ou de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la prise ou à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de prise ou de reprise en charge.
14. En l'espèce, le préfet de police de Paris a produit au dossier de l'instance la lettre datée du 4 janvier 2024 par laquelle les autorités roumaines ont donné leur accord à la reprise en charge de M. A... sur le fondement de l'article 18.1 c) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ce seul document permet d'établir que les autorités roumaines ont bien été saisies de la demande aux fins de reprise en charge dans le délai de deux mois à compter de la date du résultat positif (" hit ") Eurodac, le 15 décembre 2023. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un retard dans le processus de détermination de l'Etat responsable doit être écarté.
15. En sixième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 :
" (...) / 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable (...) ".
16. Les dispositions citées au point précédent n'imposent pas la mention systématique des informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter mais précisent uniquement que ces informations sont indiquées " si nécessaire ". Dans ces conditions, et alors que l'intéressé n'allègue pas avoir avisé les autorités françaises de son intention de se rendre par ses propres moyens dans l'Etat responsable du traitement de sa demande d'asile, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police aurait méconnu l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013.
17. En septième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Le point 14 du préambule du règlement (UE) n° 604/2013 mentionne que, conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les États membres lors de l'application du règlement.
19. Si M. A..., qui est célibataire et sans enfant à charge, soutient que sa sœur réside en France avec son mari, qui est titulaire d'une carte de résident, les éléments versés au dossier de première instance par l'intéressé ne suffisent pas à attester de l'intensité des liens que M. A... entretiendrait avec sa sœur et le mari de celle-ci. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Cet arrêté n'a dès lors pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet de police de Paris n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
20. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
21. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations. Ainsi que l'a dit pour droit la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell'Interno, affaires C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21, l'article 3, paragraphe 1, et paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 604/2013, lu en combinaison avec l'article 27 de ce règlement ainsi qu'avec les articles 4, 19 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens que la juridiction de l'État membre requérant, saisie d'un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s'il existe un risque, dans l'État membre requis, d'une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet État membre, ou par suite de celui-ci, lorsque cette juridiction ne constate pas l'existence, dans l'État membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'une protection internationale.
22. M. A... invoque un risque de traitement inhumain en cas de retour en Roumanie et de renvoi au Bangladesh. Toutefois, l'arrêté contesté a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Roumanie et non dans son pays d'origine. Or la Roumanie, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il y aurait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Roumanie dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs. Par ailleurs, M. A... n'apporte aucun élément propre à sa situation personnelle, de nature à établir les craintes dont il fait état quant au défaut de protection en Roumanie. Enfin, si M. A... fait valoir la présence de sa sœur en France, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, qu'il serait dans une situation de vulnérabilité particulière, qui rendrait nécessaire la présence de celle-ci pour l'assister dans ses démarches durant l'examen de sa demande d'asile. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait, en s'abstenant d'admettre l'examen de sa demande d'asile à titre dérogatoire par la France et en décidant son transfert vers la Roumanie, commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ou méconnu l'article 3 du même règlement et les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police de Paris est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 janvier 2024 décidant la remise de M. A... aux autorités roumaines, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de ce dernier et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2408299/8 du 29 mars 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris, auxquelles cette juridiction a fait droit par les articles 2, 3 et 4 de son jugement, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... et à Me Pafundi.
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2024.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01987