La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/09/2024 | FRANCE | N°23PA01730

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 30 septembre 2024, 23PA01730


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré la décision implicite née le 4 avril 2021 rejetant le recours hiérarchique formé par la société Lagardère Paris Racing Ressources contre la décision du 30 octobre 2020 de l'inspecteur du travail lui refusant l'autorisation de le licencier, a annulé cette décision du 30 octobre 2020 et a autorisé son li

cenciement pour motif disciplinaire.



Par jugement n° 2120113/3-3 du 21 février ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré la décision implicite née le 4 avril 2021 rejetant le recours hiérarchique formé par la société Lagardère Paris Racing Ressources contre la décision du 30 octobre 2020 de l'inspecteur du travail lui refusant l'autorisation de le licencier, a annulé cette décision du 30 octobre 2020 et a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par jugement n° 2120113/3-3 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires en réplique enregistrés le 24 avril 2023, le 23 janvier 2024 et le 9 février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me De Abreu, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2120113/3-3 du 21 février 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 21 juillet 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé ;

- la décision de la ministre est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne mentionne pas les faits allégués de harcèlement moral ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute dès lors que le poste qu'il occupe ne permet pas une dérogation au repos dominical, que son contrat de travail ne prévoit pas de travail le dimanche, que la privation continue du repos dominical constitue une modification de son contrat de travail et non une simple modification de ses conditions de travail et que sa vie personnelle et familiale s'oppose à ce qu'il travaille le dimanche ;

- le licenciement est en lien avec son mandat syndical et procède d'un harcèlement moral et de discriminations ;

- les faits qui lui sont reprochés, s'ils devaient être considérés comme fautifs, ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée dès lors qu'il n'a jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires, qu'il n'a jamais été dans l'obligation de travailler le dimanche, que son refus de travailler le dimanche n'a entraîné aucun problème d'organisation pour son employeur, qu'il est nécessaire de prendre en compte le contexte social de l'entreprise et que la demande de travailler tous les dimanches est intervenue dans le contexte sanitaire lié à la pandémie de la covid-19.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 novembre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 5 janvier 2024 et 9 février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Lagardère Paris Racing Ressources, représentée par Mes Chateauvieux, Robert et Duret, conclut au rejet de la requête et à ce que M. A... lui verse une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 février 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005, étendue par arrêté du 21 novembre 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me Cortes pour M. A...,

- et les observations de Me Duret pour la société Lagardère Paris Racing.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté le 17 septembre 2003 par la société Lagardère Paris Racing, y était employé, depuis 2012, en qualité de responsable du pôle forme / multisports et détenait un mandat de membre titulaire au comité social et économique. Une procédure de licenciement pour motif disciplinaire a été engagée à son encontre le 21 juillet 2020, la société lui reprochant, d'une part, son refus réitéré de travailler le dimanche et, d'autre part, des manquements dans le cadre de sa gestion administrative. Par un courrier du 8 septembre 2020, la société Lagardère Paris Racing Ressources a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. A.... Par une décision du 30 octobre 2020, l'inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Ile-de-France a refusé d'accorder à la société Lagardère Paris Racing Ressources l'autorisation de le licencier. La société Lagardère Paris Racing Ressources a, par un courrier du 30 novembre 2020 reçu le 3 décembre 2020, formé un recours hiérarchique auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion contre cette décision. Une décision implicite de rejet est née, le 4 avril 2021, du silence gardé par l'administration. Par une décision expresse du 21 juillet 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique, a annulé la décision du 30 octobre 2020 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement pour motif disciplinaire de M. A.... Par un jugement du 21 février 2023, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort, en particulier du point 12 du jugement attaqué, que les premiers juges, qui n'étaient pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de M. A..., ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que le requérant n'avait pas été victime d'une discrimination à raison de ses mandats et que la seule circonstance que la maladie dont il est affecté ait été considérée comme d'origine professionnelle ne permettait pas de considérer qu'elle résulterait d'actes de harcèlement en lien avec le mandat de membre titulaire au comité social et économique. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement contesté serait irrégulier parce qu'insuffisamment motivé.

Sur la légalité de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) : 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ". (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " la décision de l'inspecteur du travail est motivée ".

5. La circonstance que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'ait pas mentionné les faits allégués par M. A... de harcèlement moral dans la décision contestée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une insuffisance de motivation de cette dernière alors qu'elle mentionne, par ailleurs, l'ensemble de circonstances de droit qui en constituent le fondement à savoir les articles L. 2411-1 et suivants du code du travail et les motifs de faits fondant l'appréciation portées sur la matérialité des faits reprochés à M. A..., leur caractère fautif, leur gravité et l'existence d'un lien avec le mandat exercé par l'intéressé. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision n'est, par suite, pas fondé.

6. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 3132-3 du code du travail : " Dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ". D'autre part, aux termes de l'article L. 3132-12 de ce code : " Certains établissements, dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public, peuvent de droit déroger à la règle du repos dominical en attribuant le repos hebdomadaire par roulement. / Un décret en Conseil d'Etat détermine les catégories d'établissements intéressées ". Aux termes de l'article R. 3132-5 de ce code, dans sa version applicable au litige : " Les (...) catégories d'établissements et établissements mentionnés dans le tableau suivant, sont admis, en application de l'article L. 3132-12, à donner le repos hebdomadaire par roulement pour les salariés employés aux travaux ou activités spécifiés dans ce tableau (...) Activités récréatives, culturelles et sportives : (...) Centres culturels, sportifs et récréatifs. Parcs d'attractions : Toutes activités et commerces situés dans leur enceinte et directement liés à leur objet (...) ". Aux termes de l'article 5.1.4.2 de la convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005, étendue par arrêté du 21 novembre 2006 : " Lorsque les rythmes des activités sportives l'exigent et conformément aux dispositions du code du travail, les entreprises ou établissements relevant de la présente convention bénéficient d'une dérogation à la règle du repos dominical, pour les types d'emplois qui sont liés directement à la pratique, l'animation, l'enseignement ou l'encadrement d'activités sportives. Lorsque le repos n'est pas habituellement donné le dimanche, le contrat de travail doit en faire mention. En outre, lorsque les salariés travaillent habituellement le dimanche et les jours fériés, l'employeur doit organiser leur travail afin qu'ils puissent bénéficier soit de 2 jours de repos consécutifs par semaine avec dimanche travaillé, soit de 11 dimanches non travaillés par an, hors congés payés ".

7. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

8. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient M. A..., l'avenant du 17 août 2008 à son contrat de travail prévoit à son article 4 que sera demandé à l'intéressé " de travailler le week-end et les jours fériés " même si en pratique il n'a travaillé, en moyenne, qu'un dimanche sur sept au cours de la période la plus récente comprise entre 2015 et 2019. Si cet avenant avait une durée déterminée du 17 novembre 2008 au 30 juin 2009, il est constant qu'il a été exécuté continument pendant plus de treize ans de sorte que la demande de l'employeur de M. A... de travailler désormais les dimanches constitue une simple modification de ses conditions de travail et non une modification de son contrat. Par ailleurs, il ressort de l'avenant établi en 2019 à son contrat de travail relatif à sa rémunération que, parmi les missions qui lui ont été confiées, figurent l'animation et l'encadrement des coaches sportifs qui assurent les cours dispensés aux adhérents du club de sport exploité par la société Lagardère Paris Racing, rendant ainsi sa présence le dimanche nécessaire au bon fonctionnement de ce club. Si M. A... se prévaut de l'impact sur sa situation personnelle et familiale que fait peser sur lui cette obligation de présence le dimanche, au motif qu'il est le père de deux enfants de 9 et 12 ans et que leur mère travaille également le dimanche, cette dernière exerce toutefois une profession indépendante d'animatrice d'ateliers créatifs qui n'implique aucune obligation démontrée de travail dominical alors, par ailleurs, qu'en contrepartie de son travail ce jour-là, M. A... bénéficie de deux jours de congés consécutifs à savoir les vendredi et samedi. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la modification des conditions de travail de M. A... ait eu un impact sur les conditions d'exercice de son mandat. Par suite, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets tant au regard de sa situation personnelle que des conditions d'exercice de son mandat, le refus réitéré de M. A... de se conformer à la modification de ses conditions de travail constitue une faute d'une gravité suffisante justifiant l'autorisation de licenciement demandée par son employeur quand bien même il fait valoir qu'il n'a jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires, que son refus de travailler le dimanche n'aurait entraîné, selon lui, aucun problème d'organisation pour son employeur, qu'il est nécessaire de prendre en compte le contexte social de l'entreprise et que la demande de travailler tous les dimanches est intervenue dans le contexte sanitaire lié à la pandémie de la covid-19.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 2421-16 du code du travail : " l'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre, examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ".

10. Si M. A... soutient que son licenciement est lié à l'exercice de ses fonctions syndicales et qu'il a subi un harcèlement, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'il aurait été victime d'une quelconque discrimination à raison de ses mandats. La circonstance que la maladie dont il est affecté a été considérée comme étant d'origine professionnelle ne permet pas, à elle seule, d'établir qu'elle serait la conséquence d'actes de harcèlement en lien avec son mandat syndical. Ce moyen n'est pas davantage fondé.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 21 février 2023, le tribunal administratif de la Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique dirigé contre le refus initial de l'inspecteur du travail, a annulé ce refus et a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire. Ses conclusions tendant l'annulation de ce jugement et de cette décision doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Lagardère Paris Racing Ressources, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas non plus lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme que la société Lagardère Paris Racing Ressources demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Lagardère Paris Racing Ressources sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la ministre du travail et de l'emploi et à la société Lagardère Paris Racing Ressources.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2024.

La rapporteure,

A. ColletLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01730


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01730
Date de la décision : 30/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : DE ABREU

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-30;23pa01730 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award