Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 octobre 2021 par laquelle la Ville de Paris a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur un bien situé 25 rue des Poissonniers à Paris (18ème arrondissement).
Par un jugement n° 2107479/4-3 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 mai 2023, M. E... C..., représenté par Me Raimbert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 2107479/4-3 du 17 mars 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 21 octobre 2021 ;
3°) d'ordonner à la Ville de Paris de s'abstenir, le cas échéant, de réitérer par acte authentique sa décision d'acquérir les biens préemptés ;
4°) de s'abstenir, le cas échéant, de céder à des tiers les biens préemptés ou de prendre tout acte de disposition les concernant ;
5°) de rétrocéder, le cas échéant, l'immeuble préempté à Mme F... et à M. F... sans contrepartie d'aucune sorte et, en cas de renonciation par ces derniers, de lui rétrocéder, dans le délai d'un mois suivant cette renonciation, les biens préemptés sans contrepartie d'aucune sorte sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
6°) de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- il est dépourvu de signatures, en méconnaissance de l'article L. 741-7 du code de justice administrative ;
- il n'est pas suffisamment motivé ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme dès lors que la nature du projet n'est pas connue, que sa réalité n'est pas établie et qu'il ne répond pas à la condition d'un intérêt général suffisant.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 octobre 2023, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à Mme D... F... et à M. B... F... qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,
- les observations de Me Thao substituant Me Raimbert, représentant M. C...,
- et les observations de Me Mokrane de la SCP Foussard-Froger, représentant la Ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte authentique du 13 août 2020, la société civile immobilière des caves du château rouge, Mme F... et M. F... ont promis de vendre à M. C... les biens immobiliers à usage de commerce et d'habitation situé sur une parcelle cadastrée BT n° 89, au 25 rue des Poissonniers à Paris (18ème arrondissement). Par une décision du 21 octobre 2021, la Ville de Paris a préempté ce bien aux prix fixés dans la déclaration d'intention d'aliéner. M. C... a formé un recours gracieux le 8 décembre 2020 qui a été rejeté implicitement. Il relève appel du jugement du 17 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision de préemption.
Sur la régularité du jugement contesté :
2. En premier lieu, il ressort de l'examen de la minute du jugement attaqué qu'elle comporte les signatures requises par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". En mentionnant, à son point 14, d'une part que l'occupation des locaux n'est pas de nature à ôter à l'opération d'aménagement en cause son caractère d'intérêt général compte tenu du déficit de logements sociaux sur le territoire parisien et des objectifs fixés par la loi et le plan local de l'habitat et d'autre part, que le coût prévisionnel de l'opération n'est pas excessif au regard de l'intérêt général résultant de la création desdits logements sociaux, le jugement a suffisamment répondu au moyen tiré du défaut d'intérêt général de l'opération projetée sans qu'il soit nécessaire pour les premiers juges de reprendre l'ensemble des arguments invoqués par M. C... à l'appui de son moyen en première instance.
Sur le bien-fondé du jugement contesté :
4. Aux termes de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. (...) ". Aux termes de l'article L. 210-1 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ".
5. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
6. En premier lieu, lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. À cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
7. La décision attaquée, prise au visa de la délibération du Conseil de Paris 2011 DLH 89, lors de sa séance des 28 et 29 mars 2011, adoptant le programme local de l'habitat entre 2011 et 2016, tel qu'arrêté par délibération des 15 et 16 novembre 2010 et modifié par délibération 2015 DLH 19 des 9 et 10 février 2015, précise que le droit de préemption sur l'immeuble du 25 rue Poissonniers est exercé en vue de réaliser une opération de 9 à 15 logements locatifs sociaux et un commerce, que l'immeuble est situé dans le 18ème arrondissement, caractérisé par un taux de logements sociaux de 22,4%, que l'objectif est l'accroissement de la part de logements sociaux dans cet arrondissement afin de se rapprocher du seuil de 25 % fixé par la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social. Elle mentionne ainsi la nature du projet et est suffisamment motivée. Si M. C... fait valoir qu'à la date de la décision, le programme local de l'habitat 2011-2016 était clos et le taux de logement sociaux de 22,4% résulte d'une étude trop ancienne, ces éléments sont, tels qu'ils sont invoqués dans la requête, relatifs au bien-fondé de la décision de préemption et non de sa motivation.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 51 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " La métropole du Grand Paris est considérée, jusqu'à ce que le plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement soit rendu exécutoire (...) comme dotée d'un programme local de l'habitat exécutoire reprenant les orientations et le programme d'action des programmes locaux de l'habitat approuvés au 31 décembre 2015 ". Le plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement n'ayant pas été rendu exécutoire, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le plan local de l'habitat de Paris prévu pour la période 2011/2016 n'était plus en vigueur à la date de la décision de préemption en litige.
9. En troisième lieu, si M. C... fait valoir que la décision en litige se fonde sur le taux de logements sociaux dans le 18ème arrondissement de Paris au 1er janvier 2019, soit plus de 22 mois avant, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation aurait significativement évoluée depuis cette date et que la décision de préemption en litige serait, par suite, entachée d'une erreur de fait.
10. En quatrième lieu, le programme d'actions par arrondissement du programme local de l'habitat, actualisé en 2014, mentionne un objectif de poursuite de la production de logements sociaux dans le 18ème arrondissement, déficitaire en la matière, notamment au moyen de préemptions. Dans ces conditions, la réalité du projet à la date de la décision de préemption en litige est établie.
11. En dernier lieu, l'étude de faisabilité réalisée à la demande de la Ville de Paris en octobre 2020 fait état d'un coût total de 7 112 420 euros pour la création de 9 logements sociaux et de 7 701 932 euros pour la démolition du bâtiment existant et la construction de 15 logements sociaux. Si le coût de l'opération au mètre carré est, ainsi que le fait valoir M. C..., plus élevé que le prix de revient moyen d'un logement social à Paris, il ne ressort pas pour autant des pièces du dossier que le coût de l'opération projetée serait disproportionné au regard de l'intérêt général résultant de la création de logements sociaux dans le 18ème arrondissement caractérisé par une importante tension du marché immobilier et un déficit en logements sociaux. Le moyen tiré de l'absence d'intérêt général du projet doit ainsi être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que la décision contestée n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur de fait, ni d'erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et de rétrocession ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. C... une somme de 1 500 euros à verser à la Ville de Paris sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : M. C... versera une somme de 1 500 euros à la Ville de Paris.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à la Ville de Paris, à Mme D... F... et à M. B... F....
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
- M. François Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 septembre 2024.
Le rapporteur, Le président,
F. A... I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02229