Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 2 375 477 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de sa vaccination contre le virus H1N1.
Par un jugement n° 2005998/6-3 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a mis à la charge de l'ONIAM le versement à Mme H... la somme de 256 769 euros, une rente annuelle de 11 760,91 euros et le remboursement des frais des consultations de psychologues exposés entre mars 2020 et la date du jugement.
Par un arrêt n° 22PA02173 du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 10 mars 2022 du tribunal administratif de Paris et a rejeté la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel incident.
Par une décision n° 471441 du 9 février 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par Mme D..., a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête enregistrée le n° 22PA02173 le 10 mai 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 29 novembre 2022, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de Mme D... devant le tribunal administratif et mettre l'office hors de cause ;
3°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement sur le montant des indemnisations allouées, à l'exception de la perte de gains professionnels passés.
Il soutient que :
- les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la matérialité de la vaccination ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'expertise était au contradictoire de l'ONIAM alors qu'il s'agissait d'une expertise réalisée dans un cadre amiable et dont la régularité n'a jamais été remise en cause par l'office ; les conclusions de cette expertise ne lient pas l'ONIAM ;
- le lien de causalité certain et direct entre la narcolepsie dont est atteinte Mme D... et sa vaccination contre la grippe H1N1 n'est pas établi, dès lors que Mme D... ne rapporte pas la preuve certaine d'une injection par Pandemrix en se bornant à produire un bon de vaccination du 8 décembre 2009 ;
- le lien de causalité certain et direct entre la narcolepsie dont est atteinte Mme D... et sa vaccination contre la grippe H1N1 n'est pas établi, dès lors que Mme D... présentait des symptômes de narcolepsie avant la vaccination ;
- les symptômes de la maladie sont apparus en 2012 avec une aggravation en 2014, soit plus de deux ans après la vaccination alors que l'ensemble de la communauté scientifique s'accorde sur un délai maximal d'un an entre la vaccination et la survenue des premiers signes de la narcolepsie ; pour retenir que les premiers symptômes de la narcolepsie s'étaient manifestés en septembre 2010, le tribunal ne s'est fondé sur aucun document, notamment médical, probant ; les experts ont qualifié le lien de causalité comme seulement vraisemblable ;
- à titre subsidiaire, la cour devra ramener les prétentions indemnitaires de Mme D... à de plus justes proportions en ce qui concerne les pertes de gains professionnels passés dès lors que cette dernière n'a versé au dossier aucun arrêt de travail entre la cessation de son activité salariée et son inscription en qualité d'auto-entrepreneuse, ne justifie ni avoir été inscrite à Pôle emploi, ni avoir effectué des recherches de travail, ni d'une incapacité à exercer un emploi sur la période considérée alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a exercé une activité professionnelle du 9 décembre 2015 au 6 février 2016.
Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 19 août 2022, complété par des pièces complémentaires enregistrées le 4 novembre 2022 et un mémoire enregistré le 30 novembre 2022, Mme D... représentée par Me Pinel-Botton, conclut au rejet de la requête et à ce que la cour réforme le jugement attaqué en portant le montant total de ses indemnités à la somme totale de 2 498 779,17 euros et à la mise à la charge de l'ONIAM de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, le débat s'est déroulé contradictoirement devant les experts que l'office a désignés lui-même dans le cadre de la procédure amiable ;
- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, la matérialité de sa vaccination contre la grippe H1N1 par Pandemrix est établie par la production du bon de vaccination qui comporte de nombreux renseignements probants ;
- le lien de causalité entre sa vaccination et le développement ultérieur de sa narcolepsie cataplexie a été retenu par l'expertise diligentée par l'ONIAM ;
- contrairement à ce que soutient l'office, elle ne souffrait d'aucun antécédent susceptible d'expliquer l'apparition d'une narcolepsie, le compte rendu médical du
30 novembre 2009 faisant seulement état de fatigue et de sensations intermittentes de tangage dans un contexte d'hypothyroïdie, n'étant pas de nature à démontrer un antécédent ;
- elle établit avoir ressenti les premiers symptômes de sa maladie dès 2010 ;
- en conséquence, elle doit se voir indemniser des sommes suivantes :
- 3 780 euros au titre des dépenses de santé actuelles (psychologue) et 1 560 euros (psychologue) depuis la consolidation jusqu'en février 2022,
- 4 858 euros au titre des frais divers (442 euros au titre des frais de traitement des punaises de lit et 4 416 euros au titre des honoraires du médecin conseil),
- 92 842 euros au titre de l'assistance par une tierce personne non spécialisée temporaire, 69 157,50 euros au titre de l'aide temporaire aux déplacements et 392 343,98 euros au titre de l'assistance par une tierce personne non spécialisée permanente et 261 562,65 euros au titre de l'aide permanente aux déplacements,
- 80 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,
- 46 524 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels et 1 324 762,04 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs,
- 38 389 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et 120 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
- 9 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 1 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et 3 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,
- 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément,
- 15 000 euros au titre du préjudice sexuel,
- 15 000 euros au titre du préjudice d'établissement ;
- il convient également de réserver les chefs de préjudice liés à l'aide à la parentalité en cas de grossesse, à la conservation ovocytes et aux frais de psychologue pour le futur.
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires enregistrés sous le n° 24PA00728 les 14 mars et 22 avril 2024, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi, persiste, à titre principal, dans ses conclusions et demande à la cour, à titre subsidiaire :
1°) de confirmer le jugement sur le montant des indemnisations allouées, à l'exception de celles allouées au titre de la perte de gains professionnels passés et de l'assistance par tierce personne permanente ;
2°) de rejeter la demande d'indemnisation de Mme D... au titre de la perte de gains professionnels passés ;
3°) de lui allouer une indemnité de 61 289,58 euros au titre de l'assistance par tierce personne pour les arrérages échus et une rente trimestrielle de 2 965,63 euros, payable à terme échu à compter de l'arrêt à intervenir, sous réserve pour Mme D... de justifier de l'absence d'aide perçue à ce titre et de l'absence d'hospitalisation ou de prise en charge dans un établissement spécialisé ;
4°) de rejeter toute autre demande ;
à titre infiniment subsidiaire,
5°) de réduire l'indemnité sollicitée par Mme D... au titre de l'assistance par tierce personne temporaire à 140 400 euros.
Il soutient que :
- le lien de causalité certain et direct entre la narcolepsie dont est atteinte Mme D... et sa vaccination contre la grippe H1N1 n'est pas établi ;
à titre subsidiaire,
- l'indemnité sollicitée au titre de l'assistance par tierce personne temporaire sera rejetée, faute de justificatifs ; en tout état de cause, elle ne peut excéder 140 400 euros ;
- l'indemnité sollicitée au titre de l'assistance par tierce personne permanente sera allouée sous forme de rente trimestrielle de 2 965,63 euros, sous réserve que Mme D... ne soit pas hospitalisée de manière prolongée ; l'indemnité au titre des arrérages échus s'élève à 61 289,58 euros ;
- l'indemnité sollicitée au titre de la perte de gains professionnels actuels et des dépenses de santé futures sera rejetée ;
- la perte de revenus professionnels futurs n'est pas établie ;
- le montant de l'indemnité allouée par le tribunal au titre des souffrance endurées est conforme à la jurisprudence ;
- la demande indemnitaire de l'intéressée au titre de l'incidence professionnelle, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement est excessive et le montant des indemnités allouées à ce titre par le tribunal sera confirmé.
Par des mémoires en défense et d'appel incident enregistrés les 15 mars, 2 avril et 27 mai 2024, Mme D..., représentée par Me Pinel-Botton, persiste dans ses conclusions et, dans le dernier état de ses écritures, porte ses prétentions indemnitaires à la somme totale de 2 945 167,55 euros et sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 4 000 euros.
Elle persiste dans ses moyens et augmente ses prétentions indemnitaires pour les préjudices suivants :
- 194 400 euros au titre de l'assistance par une tierce personne non spécialisée temporaire dont 82 989 euros au titre de l'aide aux déplacements et transports ;
- 47 934,06 euros au titre des dépenses de santé futures ;
- 716 129,75 euros au titre de l'assistance par une tierce personne non spécialisée permanente et 477 419,83 euros au titre de l'aide aux déplacements et transports ;
- 1 081 899,41euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;
- 48 397, 50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 15 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 174 825 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H) (2009) ;
- l'arrêté du 13 janvier 2010 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dighiero Brecht, représentant l'ONIAM, et de Me Pinel-Botton, représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a reçu le 8 décembre 2009 l'injection d'une dose du vaccin Pandemrix dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) organisée par un arrêté du 4 novembre 2009 du ministre de la santé et des sports pris sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En janvier 2016, une narcolepsie-cataplexie lui a été diagnostiquée. Imputant cette pathologie à la vaccination, elle a recherché, sur le fondement de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, une indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Le 4 janvier 2019, l'ONIAM a diligenté une expertise médicale et a désigné deux experts. Ces derniers ont remis leur rapport le 6 octobre 2019. Par une décision du 31 janvier 2020, l'ONIAM a rejeté la demande d'indemnisation de Mme D.... Par un jugement du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a reconnu l'imputabilité de la narcolepsie-cataplexie présentée par Mme D... à la vaccination contre la grippe A (H1N1) et mis à la charge de l'ONIAM le versement à l'intéressée d'une indemnité de 256 769 euros, d'une rente annuelle de 11 760,91 euros et du remboursement des frais exposés entre mars 2020 et la date du jugement. Par un arrêt du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et a rejeté la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel incident. Par une décision du 9 février 2024, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par Mme D..., a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du mémoire enregistré le 4 novembre 2021 au greffe du tribunal qu'après avoir relevé que pour justifier de sa vaccination contre la grippe A (H1N1), Mme D... a présenté un bon de vaccination en date du 8 décembre 2009, que les experts ont mentionné qu' " il ne s'agit pas d'un certificat de vaccination " et qu' " il n'y a pas d'autre document ", et que cette vaccination n'est pas mentionnée dans son carnet de santé, l'ONIAM s'est borné à déclarer s'en " remettre à la sagesse du tribunal sur la preuve certaine de l'injection du vaccin anti H1N1 ". Il ressort de la lecture du jugement que les premiers juges ont considéré, à deux reprises, aux points 6 et 7, que le vaccin Pandemrix a été administré à Mme D.... Dans ces conditions, notamment eu égard à la teneur des écritures de l'ONIAM et à leur présentation, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à une contestation portant sur la matérialité de la vaccination, ni même qu'il y aurait répondu de manière insuffisamment motivée.
Sur le cadre juridique :
3. Aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable à l'espèce : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 3131-3 du code de la santé publique : " Nonobstant les dispositions de l'article L. 1142-1, les professionnels de santé ne peuvent être tenus pour responsables des dommages résultant de la prescription ou de l'administration d'un médicament en dehors des indications thérapeutiques ou des conditions normales d'utilisation prévues par son autorisation de mise sur le marché ou son autorisation temporaire d'utilisation, ou bien d'un médicament ne faisant l'objet d'aucune de ces autorisations, lorsque leur intervention était rendue nécessaire par l'existence d'une menace sanitaire grave et que la prescription ou l'administration du médicament a été recommandée ou exigée par le ministre chargé de la santé en application des dispositions de l'article L. 3131-1. (...) ". Aux termes de l'article L. 3131-4 du même code : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. (...) ". Aux termes de l'article R. 3131-1 du même code, dans sa version applicable à l'espèce : " Les demandes d'indemnisation par la voie de la procédure amiable prévue à l'article L. 3131-4 au titre des préjudices définis au même article sont adressées à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. / Elles comportent la justification des préjudices et sont accompagnées des éléments établissant que l'acte à l'origine du dommage a été réalisé dans le cadre des mesures prises en application des articles L. 3131-1 ou L. 3134-1. Les victimes ou, en cas de décès, leurs ayants droit font connaître à l'office tous les éléments d'information dont ils disposent. (...) ". Aux termes de l'article R. 3131-3-3 du même code : " L'office se prononce : / 1° Sur le fait que l'acte en cause a été réalisé dans le cadre des articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 ; /2° Sur l'existence d'un lien de causalité entre le dommage subi par la victime et l'acte de prévention, de diagnostic ou de soins réalisée en application de mesures prises dans le cadre des dispositions des articles L. 3131-1 ou L. 3134-1, auquel il est imputé. /Lorsque l'office estime que le dommage est indemnisable au titre de l'article L. 3131-4, sa décision énumère les différents chefs de préjudice et en détermine l'étendue. La décision précise également si, à la date à laquelle elle est rendue, l'état de la victime est consolidé ou non. /Les décisions de l'office rejetant totalement ou partiellement la demande sont motivées ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 13 janvier 2010 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) : " Toute personne vaccinée contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 par un vaccin appartenant aux stocks constitués par l'Etat bénéficie des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique. ".
Sur l'expertise diligentée par l'ONIAM :
5. Aux termes de l'article R. 3131-3-1 du code de la santé publique : " Si l'acte a été réalisé dans le cadre de mesures prises pour l'application des articles L. 3131-1, L. 3134-1 ou L. 3135-1, le directeur de l'office diligente, s'il y a lieu, une expertise, le cas échéant collégiale, afin d'apprécier l'importance des dommages et de déterminer leur imputabilité. / Le ou les médecins chargés de procéder à l'expertise sont choisis, en fonction de leur compétence dans les domaines concernés, sur la liste nationale des experts en accidents médicaux mentionnée à l'article L. 1142-10 ou une des listes instituées par l'article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires ou, à titre exceptionnel, en dehors de ces listes. / L'office informe alors le demandeur, quinze jours au moins avant la date de l'examen, de l'identité et des titres du ou des médecins chargés d'y procéder et de la mission d'expertise qui leur est confiée. / L'office fait également savoir au demandeur qu'il peut se faire assister d'une personne de son choix. / Le ou les experts adressent le projet de rapport au demandeur qui dispose alors d'un délai de quinze jours pour leur faire parvenir ses éventuelles observations. / Dans les trois mois suivant la date de sa désignation, le ou les experts adressent à l'office le rapport d'expertise comprenant leur réponse aux observations du demandeur. / L'office adresse sans délai ce rapport au demandeur qui dispose d'un délai de quinze jours pour lui faire parvenir ses éventuelles observations ".
6. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la demande du 28 septembre 2017 présentée par Mme D... tendant à rechercher, sur le fondement de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, une indemnisation par l'ONIAM à la suite de sa vaccination contre la grippe A (H1N1) réalisée dans le cadre de mesures prises pour l'application de l'article L. 3131-1 du même code, l'ONIAM a diligenté une expertise en application des dispositions précitées de l'article R. 3131-3-1 et a, le 4 janvier 2019, désigné le professeur G..., pharmacologue, et le docteur F..., neurologue. Ces derniers ont reçu Mme D... et son conseil, leur ont adressé un pré-rapport le 27 août 2019 à la suite duquel le conseil de Mme D... a présenté des observations. Les experts ont répondu à ces observations dans leur rapport qui a été envoyé à l'ONIAM le 6 octobre 2019. Les dispositions de l'article R. 3131-3-1 du code de la santé publique ne prévoient pas la possibilité pour l'ONIAM de présenter ses observations lors des opérations d'expertise ou après la remise du pré-rapport. Dans ces conditions, la procédure d'expertise amiable, quand bien même cette expertise n'a pas été effectuée au contradictoire de l'ONIAM, n'a pas méconnu les exigences de l'article R. 3131-3-1 du code de la santé publique et n'est pas entachée d'irrégularité.
7. Par ailleurs, les éléments de l'expertise ont été soumis au débat contradictoire tant en première instance qu'en appel. Dans ces conditions, même si l'ONIAM n'a pas présenté d'observations devant les experts, les éléments retenus par ces derniers peuvent être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier. Par suite, et alors que le juge n'est en tout état de cause pas tenu par les conclusions des experts, il n'y a pas lieu d'écarter des débats l'expertise amiable diligentée par l'ONIAM dans le cadre de l'article R. 3131-3-1 du code de la santé publique.
Sur la prise en charge par l'ONIAM des préjudices subis par Mme D... :
8. Lorsqu'il est saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination effectuée dans le cadre de mesures prescrites sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il lui appartient ensuite, soit, s'il est ressorti qu'en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations subies par l'intéressé et les symptômes qu'il a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.
9. En premier lieu, le bon de vaccination produit par Mme D... comporte les mentions de ses prénom et nom, de sa date de naissance, de son numéro d'assurée sociale, du nom du vaccin qui lui a été injecté, le Pandemrix, du numéro de lot et l'étiquette y afférente, des numéros de lot de l'antigène et de l'adjuvant, de la date de la vaccination, le 8 décembre 2009, de l'identification du centre de vaccination et du nom du médecin ayant procédé à la vaccination. Il résulte en outre du document disponible sur le site internet du ministère de la santé relatif au lancement de la campagne vaccinale contre la grippe A (H1N1) daté du 9 novembre 2009, que pour l'organisation de la campagne en centres de vaccination : " (...) chaque personne recevra, de la part de l'Assurance maladie, un courrier de la ministre de la santé, l'invitant à se faire vacciner. (...) Cette invitation comportera, au verso, un bon de vaccination à présenter le jour de la vaccination. Ce bon servira à garantir la traçabilité de la campagne vaccinale. ". Il s'ensuit, eu égard à la nature du bon de vaccination et à ses mentions, et même si aucun certificat de vaccination n'est produit et si la mention de cette vaccination n'a pas été reportée dans le carnet de santé de l'intéressée comme le soutient l'ONIAM, que Mme D... doit être regardée comme rapportant la preuve de sa vaccination le 8 décembre 2009 contre la grippe H1N1par le vaccin Pandemrix.
10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que plusieurs études menées en Europe, notamment en Suède, Finlande, Norvège, France, Irlande et Angleterre, ont montré un risque accru de narcolepsie de type 1 chez les patients vaccinés contre le virus H1N1 en 2009 et 2010. Ces études ont également permis d'observer une incidence accrue de la pathologie, notamment dans sa forme la plus grave accompagnée de cataplexie, dans les pays qui avaient eu majoritairement recours au vaccin Pandemrix, vaccin administré à Mme D..., plutôt qu'à d'autres vaccins sans adjuvant. L'agence nationale de sécurité du médicament a elle-même revu les données de pharmacovigilance relatives aux effets indésirables du vaccin Pandemrix en 2013, pour y intégrer le risque de narcolepsie. Il s'ensuit qu'en l'état des connaissances scientifiques, il ne peut être exclu que le vaccin Pandemrix puisse être à l'origine de cas de narcolepsie chez les personnes vaccinées, ce que, au demeurant, l'ONIAM ne conteste pas.
11. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise qui a daté l'apparition des premiers symptômes d'une narcolepsie en septembre 2010 et de plusieurs échanges datant de 2010 et 2011 entre Mme D... et son endocrinologue, que Mme D... a ressenti dès mars 2010, et de manière récurrente, une fatigue anormale et des douleurs musculaires qui ne trouvaient pas leur cause dans un déséquilibre thyroïdien, les dosages réguliers de sa TSH apparaissant normaux. Ces éléments médicaux sont d'ailleurs corroborés par de nombreux témoignages de proches. Eu égard à l'ensemble de ces pièces, et au caractère peu spécifique des symptômes de la narcolepsie-cataplexie, qui peuvent, comme cela a été le cas en l'espèce, retarder le diagnostic de cette pathologie, les premiers symptômes de la narcolepsie de Mme D... sont apparus dans le délai d'un an après sa vaccination du 8 décembre 2009, c'est-à-dire dans le délai admis par l'ONIAM entre la vaccination par le vaccin Pandemrix et la survenue des premiers signes de la narcolepsie.
12. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise que la narcolepsie chez les porteurs de l'allèle HLA DQB1*0602, comme c'est le cas pour Mme D..., peut avoir une origine auto-immune causée notamment par les infections à streptocoques de groupe B. Lors de l'examen des antécédents personnels de l'intéressée, les experts ont mentionné qu'elle avait présenté le 28 janvier 2010 une quatrième angine sur une période de quatre mois. L'ONIAM soutient que les angines à répétition présentées par Mme D... avant sa vaccination le 8 décembre 2009, " constitutives d'infection ", peuvent avoir déclenché la narcolepsie. Toutefois, aucune pièce médicale du dossier ne mentionne que les angines présentées par Mme D... seraient d'origine bactérienne, et non virale, et qu'un streptocoque de groupe B en serait à l'origine. Dans ces conditions, et alors que les experts n'identifient pas ces épisodes d'angines comme une cause probable de la narcolepsie de Mme D..., celle-ci ne peut pas être regardée comme imputable à une infection due à un streptocoque de groupe B. En outre, il résulte de l'instruction, notamment du courrier du 30 novembre 2009 du Dr B..., spécialiste ORL, que Mme D... a présenté en octobre 2009 un symptôme de fatigue, des sensations de " tangage " intermittentes sans vertige rotatoire ainsi qu'une baisse de l'acuité auditive à droite et que les résultats des analyses biologiques du 30 novembre 2009 et de l'IRM cérébrale du 18 décembre 2009 sont normaux. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les sensations de " tangage " intermittentes sans vertige rotatoire et une baisse de l'acuité auditive constitueraient des symptômes d'une narcolepsie. La seule sensation de fatigue persistante un mois avant la vaccination du 8 décembre 2009 sans troubles du sommeil, et alors que Mme D... présentait une hypothyroïdie traitée par Levothyrox qui peuvent également générer de la fatigue, est insuffisante pour considérer que la narcolepsie serait apparue dès octobre 2009, avant l'injection du vaccin Pandemrix le 8 décembre 2009.
13. Au vu de l'ensemble des éléments énoncés aux points 9 à 12, et alors que Mme D... ne présentait antérieurement à la vaccination aucun antécédent d'hypersomnie, ni personnel, ni familial, et qu'elle est atteinte de la forme la plus sévère de la narcolepsie, de type 1, caractéristique des " narcolepsies vaccinales ", et même si les experts n'ont retenu qu'une " imputabilité vraisemblable ", la narcolepsie avec cataplexie dont elle souffre doit être regardée comme étant imputable à la vaccination par Pandemrix qu'elle a reçue le 8 décembre 2009. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont jugé que les conditions d'engagement de la solidarité nationale sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 3131-14 du code de la santé publique sont remplies.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme D... :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :
14. Les parties ne contestent pas la somme de 3 780 euros allouée par le tribunal au titre des dépenses de santé actuelles correspondantes aux séances de psychothérapie effectuées jusqu'à la date de consolidation fixée par les experts au 3 mai 2019.
Quant aux frais divers :
15. En premier lieu, il ressort des factures versées au dossier que Mme D... établit avoir acquitté des honoraires de médecin-conseil auprès du Dr A... pour un montant de 4 150 euros, ce qui au demeurant n'est pas contesté par les parties en appel. Mme D... produit en outre devant la cour la facture du 17 septembre 2019 d'un montant de 276 euros portant la mention " acquittée par virement le 25 août 2020 " et correspondant à l'analyse du pré-rapport d'expertise et la rédaction d'observations écrites. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre également cette somme à la charge de l'ONIAM. Par suite, la somme totale mise à la charge de l'ONIAM au titre des frais de médecin-conseil doit être portée à 4 416 euros.
16. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, du compte-rendu d'hospitalisation de la Pitié-Salpêtrière de l'unité fonctionnelle Pathologies du sommeil du 4 janvier 2016 et du courrier du Dr C... du 13 juin 2017 et des attestations de proches, que la narcolepsie a provoqué chez Mme D... des hallucinations hypnagogiques consistant en l'impression de sentir des insectes sur le corps. Toutefois, les frais de traitement contre les punaises justifiés par une facture du 20 novembre 2014 pour un montant de 264 euros et les dépenses pour une chambre d'hôtel les 2 et 9 novembre 2014 pour un montant total de 178 euros ne sont pas directement induits par la prise en charge de la narcolepsie dont souffre Mme D.... Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande d'indemnité de Mme D... au titre de ces frais divers.
Quant aux frais d'assistance par une tierce personne :
17. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les experts ont évalué l'aide humaine non spécialisée qui devait être apportée à Mme D... tous les jours de l'année à deux heures quotidiennes pendant les périodes de déficit fonctionnel temporaire fixé à 60 % et à 65 % et à une heure trente par jour pendant les périodes de déficit fonctionnel temporaire fixé à 50 % et que cette aide devait s'accompagner d'une aide aux déplacements évaluée respectivement à une heure trente et une heure au titre de ces mêmes périodes. Toutefois, s'agissant de la période antérieure à la date de consolidation de son état de santé, il ressort des déclarations de Mme D... devant les experts qu'elle vivait seule, était autonome pour les actes de la vie quotidienne et se déplaçait par ses propres moyens. Si les pièces médicales et les attestations de proches qu'elle produit font état d'endormissements diurnes répétés à partir de l'année 2011, ces pièces ne permettent pas d'établir qu'une assistance par tierce personne lui a été effectivement apportée par sa famille, par son entourage ou par des tiers pendant la période en cause. En l'absence d'une aide effectivement fournie par un tiers, et même si l'état de santé de l'intéressée aurait néanmoins nécessité une telle aide et que ce n'est qu'au prix d'efforts pénibles et considérables que Mme D... a pu conserver son autonomie, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté sa demande d'indemnisation au titre de ce chef de préjudice.
Quant à la perte de revenus :
18. Il résulte de l'instruction que Mme D... a occupé un emploi de commerciale dans le domaine de la gastronomie jusqu'en 2013 et qu'elle est notamment titulaire d'un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) mention cuisine depuis 2013. Il ressort des contrats de travail versés au dossier qu'elle a exercé l'emploi de commis de cuisine échelon 1, pour un salaire de 1 032 euros nets par mois entre janvier et avril 2014, puis celui de commis de cuisine niveau 3 pour un salaire de 1 600 euros nets par mois entre mai 2014 et mai 2015 et celui de sous-chef second de cuisine pour un salaire de 3 123 euros nets par mois entre mai et juin 2015. Elle a également travaillé en tant qu'aide cuisinier lors d'" extras " en 2017 et 2018. Mme D... soutient qu'elle n'a pas subi de pertes de revenus entre 2010 et 2014 dès lors que, dans l'ignorance de la maladie, elle s'est évertuée à poursuivre une activité professionnelle normale mais qu'à compter de 2015, elle n'était plus en capacité d'assurer un service de restauration en continu au sein des établissements où elle exerçait en raison des endormissements liés à la narcolepsie, ce qui est étayé par des attestations de trois employeurs, d'un collègue et de ses proches versées au dossier. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, Mme D... établit son incapacité résultant de la narcolepsie-cataplexie à exercer un emploi à temps plein dans le secteur de la restauration. Le lien de causalité entre une éventuelle perte de revenus subie par l'intéressée et la narcolepsie-cataplexie dont elle souffre est ainsi établi. La période à indemniser à ce titre doit donc être comprise entre le 1er janvier 2015 et le 3 mai 2019, date de consolidation.
19. Il ressort des avis d'impôt sur le revenu au titre de 2009 à 2014 que le revenu annuel moyen de Mme D... s'élevait à 17 660 euros. Il résulte de l'instruction que Mme D..., inscrite à Pôle Emploi contrairement à ce que soutient l'ONIAM, a perçu des indemnités chômage entre 2015 et 2019. Ainsi, en prenant en considération les montants des salaires et des indemnités chômage indiqués sur les avis d'impôt, les revenus de Mme D... se sont élevés à 13 491 euros au titre de 2015, soit une perte de revenus de 4 169 euros. Au titre de 2016, ses revenus étaient de 13 501 euros, soit une perte de revenus de 4 159 euros. Au titre de 2017, Mme D... a perçu 11 335 euros et justifie ainsi d'une perte de revenus de 6 325 euros. Au titre de 2018, ses revenus étaient de 7 293 euros, soit une perte de revenus de 10 367 euros. Au titre de 2019, ses revenus s'élevaient à 2 105 euros, soit une perte de revenus de 5 314 euros pour la période comprise entre janvier et le 3 mai 2019. Il s'ensuit que la perte de revenus de Mme D... résultant des conséquences de la narcolepsie-cataplexie est, pour la période en cause, de 30 334 euros.
S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :
Quant aux dépenses de santé futures :
20. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des factures du 12 février 2020 établies par une psychologue-psychothérapeute, que Mme D... justifie avoir suivi vingt-quatre séances de suivi psychothérapeutique en lien avec les conséquences psychologiques de la narcolepsie-cataplexie, sur la période comprise entre le 14 mai 2019 et le 11 février 2020 pour un montant total de 1 450 euros (1 100 + 350). En outre, Mme D... produit deux reçus en date des 12 janvier et 2 février 2022 établis par une psychologue-psychothérapeute, correspondant à deux séances pour un montant total de 110 euros, ainsi qu'une note d'horaires du 30 mars 2024 pour trois séances des 29 septembre 2022, 8 et 19 mars 2024 pour un montant total de 130 euros. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme totale de 1 690 euros.
21. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des pièces médicales et des factures et note d'honoraire des psychologues-psychothérapeutes ayant pris en charge Mme D..., que si son état de santé lié à la narcolepsie-cataplexie nécessite un suivi psychologique, il ressort du point précédent que celui-ci revêt un caractère irrégulier, Mme D... n'ayant bénéficié que de deux séances de thérapie en 2022 et aucun suivi psychologique en 2021. Dans ces conditions, si Mme D... estime nécessaire de poursuivre une psychothérapie en lien avec les conséquences de la narcolepsie-cataplexie, il lui appartiendra de présenter les justificatifs à l'ONIAM afin d'obtenir le remboursement de ces séances.
22. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la pathologie de Mme D... impliquerait nécessairement la conservation de ses ovocytes en vue de fonder une famille. Par suite, sa demande tendant à ce que soient réservées les dépenses de santé futures liées à la congélation d'ovocytes doit être rejetée.
Quant aux frais d'assistance par une tierce personne
23. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise non contesté par l'ONIAM sur ce point, que Mme D... présente des endormissements et somnolences diurnes qui nécessitent une stimulation extérieure et une aide au réveil et souffre d'au moins une crise de cataplexie partielle par jour et une crise de cataplexie totale une fois tous les deux jours, d'hallucinations visuelles lors de l'endormissement nocturne, de troubles de l'attention et de la mémoire. Les experts ont évalué l'aide humaine non spécialisée qui doit être apportée à Mme D... tous les jours de l'année à une heure trente par jour et l'aide aux déplacements et transports à une heure quotidienne.
24. Pour la période comprise entre le 4 mai 2019 et le 29 février 2020, date depuis laquelle Mme D... vit en couple, il ressort des déclarations de l'intéressée devant les experts, ainsi qu'il a été dit au point 17, qu'elle vivait seule, était autonome pour les actes de la vie quotidienne et se déplaçait par ses propres moyens. Si les pièces médicales et les attestations de proches qu'elle produit font état d'endormissements diurnes répétés à partir de l'année 2011, ces pièces ne permettent pas d'établir qu'une assistance par tierce personne lui a été effectivement apportée par sa famille, par son entourage ou par des tiers pendant la période en cause. En l'absence d'une aide effectivement fournie par un tiers, et même si l'état de santé de l'intéressée aurait néanmoins nécessité une telle aide et que ce n'est qu'au prix d'efforts pénibles et considérables que Mme D... a pu conserver son autonomie, la demande d'indemnisation au titre de ce chef de préjudice doit être rejetée.
25. Pour la période comprise entre le 1er mars 2020, date du début de la vie commune de Mme D... avec sa compagne, et le 7 août 2024, date de lecture du présent arrêt, il ressort des attestations de sa compagne qu'elle apporte son aide à Mme D... dans les actes de la vie quotidienne et dans ses déplacements. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice de Mme D..., en retenant deux heures trente d'aide non spécialisée quotidienne et sur la base d'un taux horaire de l'assistance par une tierce personne non spécialisée évalué à 18 euros et proratisé pour prendre en compte les congés payés et les jours fériés sur une base annuelle de 412 jours, en le fixant à la somme de 84 537 euros.
26. Pour la période postérieure au 7 août 2024, date de lecture du présent arrêt, sur la base d'un taux horaire de 18 euros correspondant à une aide non spécialisée et d'une année de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, à hauteur de deux heures trente par jour, tous les jours de la semaine, les frais futurs liés à l'assistance de Mme D... par une tierce personne pour les besoins de la vie courante doivent être évalués à la somme de 18 540 euros par an. Il y a donc lieu de lui allouer pour l'avenir une rente annuelle viagère d'un montant de 18 540 euros, qui sera revalorisée par application des coefficients prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Elle sera versée sous déduction des aides financières ayant le même objet éventuellement perçues par Mme D..., qu'il lui reviendra de déclarer et de justifier. Dès lors, l'ONIAM versera à Mme D..., sous réserve qu'elle justifie chaque année de la persistance de son besoin d'assistance par un tiers à raison de deux heures trente quotidiennes, une rente annuelle payable à terme échu dont le montant, fixé à 18 540 euros à la date du présent arrêt, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Il y a lieu, en conséquence, de réformer le jugement attaqué sur ce point.
27. Enfin, il résulte de l'instruction qu'en cas de naissance d'enfants, les frais d'assistance par tierce personne seraient susceptibles d'être réévalués en fonction de l'évolution de la pathologie de Mme D.... Ces éléments n'étant pas connus et ne pouvant être présumés à la date du présent arrêt, il y a lieu de réserver pour l'avenir ce poste de préjudice.
Quant aux pertes de revenus :
28. Pour évaluer la perte de revenus de Mme D... à compter de la date de consolidation, il y a lieu de retenir le revenu annuel moyen qu'elle a perçu tel qu'il résulte de l'instruction et non, comme elle le soutient, le salaire moyen théorique d'un chef de cuisine, dès lors qu'il ne peut être tenu pour certain que Mme D... aurait nécessairement pu occuper ce poste pendant l'ensemble de sa carrière et que l'impact de la narcolepsie-cataplexie sur sa carrière est indemnisé au titre de l'incidence professionnelle.
29. Pour la période comprise entre le 4 mai 2019 et le 7 août 2024, date de lecture du présent arrêt, il ressort des avis d'imposition que Mme D... a perçu 2 887 euros au titre de 2019 et justifie ainsi, au regard du salaire annuel moyen de 17 660 euros calculé à partir des avis d'impôt sur le revenu au titre de 2009 à 2014, d'une perte de revenus de 10 268,75 euros pour la période comprise entre le 4 mai et le 31 décembre 2019. Au titre de 2020, Mme D... a perçu 14 001 euros de revenus (7 343 euros au titre des salaires et 6 658 euros au titre des revenus industriels et commerciaux sous le régime de la micro-entreprise), soit une perte de revenus de 3 659 euros. Au titre de 2021, elle a perçu un revenu total de 6 956 euros ainsi que 10 437,69 euros au titre de l'allocation aux adultes handicapés. Il s'ensuit que sa perte de revenus s'élève à 266,31 euros. Au titre de 2022, ayant perçu un revenu de 23 753 euros et l'allocation aux adultes handicapés d'un montant de 6 079,79 euros, Mme D... n'a pas subi de perte de revenus. Au vu des revenus annuels perçus en 2021 et 2022, il convient de considérer que Mme D... a perçu 15 354 euros de revenus au titre de 2023. Il résulte de l'instruction qu'elle perçu la prime d'activité d'un montant de 5 768,07 euros et l'allocation aux adultes handicapés d'un montant de 7 475,09 euros. Il s'ensuit qu'au regard du montant de revenu annuel moyen de référence (17 660 euros), elle n'a pas subi de perte de revenus. Au titre de la période du 1er janvier au 7 août 2024, Mme D... doit être regardée comme ayant perçu 9 253 euros de revenus et 4 652,76 euros au titre de l'allocation aux adultes handicapés, soit une perte de revenus de 3 753 euros. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera fait une juste appréciation de la perte de revenus subie par Mme D... en la fixant à 17 947 euros.
30. Pour la période postérieure à la date de lecture du présent arrêt, il résulte de l'instruction que Mme D... tire des revenus de son activité de restauration itinérante exercée en qualité d'auto-entrepreneuse, lesquels peuvent atteindre, comme en 2022, plus de 20 000 euros. Elle perçoit, en outre, ainsi qu'il a déjà été dit, l'allocation aux adultes handicapés. Dans ces conditions, alors qu'elle n'a subi aucune perte de revenus au titre de 2022, la perte de revenus professionnels futurs n'est pas établie.
Quant à l'incidence professionnelle :
31. Il résulte de l'instruction que Mme D... est titulaire d'un diplôme universitaire de technologie spécialité gestion des entreprises et des administrations, option ressources humaines (2003-2004), d'un Master Sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion, à finalité professionnelle, mention management spécialité projet d'innovation et en entrepreneuriat (2006-2007) ainsi que d'un CAP mention cuisine obtenu en 2013. Elle a occupé entre 2007 et 2013 un poste de commerciale, notamment dans le domaine de la gastronomie avant de travailler au sein de restaurants gastronomiques. Il ressort de plusieurs attestations d'anciens employeurs et collègue de Mme D..., ainsi qu'il a déjà été dit, que l'intéressée n'était pas en capacité d'assurer un service en continu au sein des établissements où elle exerçait en raison des endormissements et de la fatigabilité causés par la narcolepsie-cataplexie. Pour les mêmes raisons, alors qu'elle justifie de diplômes, des compétences et d'expériences professionnelles dans des restaurants gastronomiques qui lui permettaient de mener à bien son projet d'ouvrir son propre restaurant, elle a dû y renoncer définitivement et se contenter d'exercer une activité professionnelle de " tables itinérantes " depuis 2019 sous le statut d'auto-entrepreneur. Il ressort de la décision du 10 juin 2021 de la maison départementale des handicapés de La Rochelle que le statut de travailleur handicapé lui a été reconnu avec un taux d'incapacité supérieur ou égal à 50 % et inférieur à 80 %. La narcolepsie-cataplexie dont souffre Mme D... a pour conséquence d'occasionner une pénibilité du travail quel que soit l'emploi occupé en raison de sa grande fatigabilité, et par conséquent, d'entraîner pour elle une perte d'employabilité sur le marché du travail et de perspectives d'évolution professionnelle, en particulier dans le secteur de la restauration gastronomique. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de porter le montant de la somme mise à la charge de l'ONIAM au titre de l'incidence professionnelle à 50 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
32. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise non contesté sur ce point, que l'apparition d'une narcolepsie-cataplexie chez Mme D... a été à l'origine de plusieurs hospitalisations qui ont entraîné un déficit fonctionnel temporaire de 100 % pendant neuf jours entre 2014 et 2019. Le déficit fonctionnel temporaire de Mme D... peut également être estimé à 60 % entre le 1er septembre 2010 et le 31 mai 2015, hormis les périodes d'hospitalisation, à 65 % entre le 1er juin 2015 et le 24 juillet 2018, hormis les périodes d'hospitalisation, à 50 % entre le 27 juillet 2018 et le 16 février 2019, hormis les périodes d'hospitalisation, à 60 % entre le 17 février 2019 et 17 mars 2019, hormis les périodes d'hospitalisation, et enfin à 50 % entre le 18 mars 2019 et le 3 mai 2019, soit cinquante-et-un jours. Les premiers juges ont fait une exacte évaluation de ce poste de préjudice en lui allouant la somme de 38 389 euros.
Quant aux souffrances endurées :
33. Il résulte de l'instruction que Mme D... présente, ainsi qu'il a déjà été dit, des endormissements et somnolences diurnes et souffre d'au moins une crise de cataplexie partielle par jour et une crise de cataplexie totale une fois tous les deux jours, d'hallucinations visuelles lors de l'endormissement nocturne, de troubles de l'attention et de la mémoire. Pour établir que le tribunal a procédé à une appréciation insuffisante de son préjudice, Mme D... se prévaut en outre de l'errance médicale qu'elle a subie pendant cinq années avant que ne soit posé le diagnostic de narcolepsie-cataplexie, des nombreux bilans et investigations médicales réalisées, du retard dans la mise en place du traitement adapté à son état de santé, de la période d'adaptation au traitement, des troubles de l'humeur et du retentissement moral de la pathologie. Il ressort du rapport d'expertise, non contesté sur ce point par l'ONIAM, que les experts ont fixé à 4 sur une échelle allant de 1 à 7 les souffrances endurées par l'intéressée, ce qui correspond à des souffrances qualifiées de moyennes. Il s'ensuit que les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 6 000 euros.
S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux permanents :
Quant au déficit fonctionnel permanent :
34. Il résulte de l'instruction qu'eu égard à la fréquence de survenue des somnolences diurnes et des accès de cataplexie quotidiens, parfois accompagnés d'hallucinations hypnagogiques, et en raison du fort retentissement psychique causé par la survenue de cette affection, le taux de déficit fonctionnel permanent a été fixé à 45 % par les deux experts. Au vu de ces éléments, les premiers juges ont fait une juste appréciation de la réparation due au titre de ce préjudice en l'évaluant à 120 000 euros.
Quant au préjudice d'agrément :
35. Il résulte de l'instruction qu'en raison des troubles dont elle souffre, Mme D... a dû réduire de manière importante ses activités de loisir, en particulier sportives, et ses activités sociales, du fait des endormissements et de la cataplexie dont elle est victime lors de sorties au cinéma, au restaurant ou pour des concerts. Dans ces conditions, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation du préjudice d'agrément en allouant à l'intéressée la somme de 6 000 euros, ce qui n'est pas contesté par l'ONIAM.
Quant au préjudice sexuel :
36. Il ressort du rapport d'expertise que les experts n'ont pas identifié de gêne sexuelle physique directe, ni de troubles sexuels mais ont relevé que Mme D... se plaignait d'une baisse de libido du fait de la concentration exigée pour la réalisation des actes de la vie quotidienne et pour exercer une activité professionnelle depuis l'apparition de la maladie et de la crainte d'être victime d'une crise de cataplexie et de la survenance d'endormissements abrupts devant sa partenaire. Dans ses conditions, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du préjudice sexuel de l'intéressée en l'évaluant à 5 000 euros.
Quant au préjudice d'établissement :
37. Il résulte de l'instruction que depuis 2019, Mme D... entretient une relation amoureuse et que le couple vit ensemble depuis mars 2020. Les troubles décrits précédemment subis par Mme D... augmentent la difficulté de réaliser un projet de vie familiale. En revanche, il n'est pas établi que la pathologie de Mme D... implique nécessairement la conservation de ses ovocytes en raison de la plus grande difficulté à fonder un foyer. Dans ces conditions, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du préjudice d'établissement de l'intéressée en l'évaluant à 5 000 euros.
38. Les indemnités de 1 000 et 3 000 euros mises à la charge de l'ONIAM au titre du préjudice esthétique ne sont pas contestées en appel.
39. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à réparer les préjudices résultant, pour Mme D..., de sa vaccination, et que cette dernière est fondée, dans les limites exposées ci-dessus, à demander une réévaluation des sommes qui lui ont été allouées.
Sur les frais liés à l'instance :
40. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 2 000 euros à verser à Mme D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 256 769 euros mise à la charge de l'ONIAM par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris est portée à 377 093 euros.
Article 2 : L'ONIAM versera à Mme D..., sur présentation, à la fin de chaque année, des justificatifs de la réalité de l'assistance par une tierce personne pendant une durée quotidienne de deux heures trente, sept jours sur sept, une rente annuelle payable à terme échu, dont le montant, fixé à 18 540 euros à la date du présent jugement, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
Article 3 : L'ONIAM remboursera, dans le cas où Mme D... déciderait de poursuivre ses séances de psychothérapie en lien avec les conséquences de la narcolepsie-cataplexie, les frais de ces séances sur justificatifs.
Article 4 : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 2005998/6 du 10 mars 2022 du tribunal administratif de Paris sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'ONIAM versera une somme de 2 000 euros à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions indemnitaires de Mme D... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme E... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 août 2024.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
A. Menasseyre
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00728 2