Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 22 août 2022 par lequel le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2209244 du 23 mai 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé la décision fixant le pays de destination contenue dans l'arrêté du 22 août 2022 du préfet de police de Paris, a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 juin 2023, le préfet de police de Paris demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement du 23 mai 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter les conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi, présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Melun.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que d'une part, le premier juge n'a pas précisé les dates des décisions de la Cour nationale du droit d'asile sur lesquelles il s'est fondé pour annuler la décision fixant le pays de renvoi et que, d'autre part, il n'a cité qu'une partie infime du raisonnement suivi par cette cour ;
- le premier juge a méconnu le principe du contradictoire dès lors qu'il s'est fondé, pour annuler la décision fixant le pays de renvoi, sur des décisions de la Cour nationale du droit d'asile qui ne lui ont pas été communiquées ;
- c'est à tort que le premier juge a considéré que la décision fixant l'Afghanistan comme pays de renvoi n'avait pas été précédée d'un examen sérieux de la situation de M. B... et qu'elle méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que M. B..., dont la nationalité afghane n'est attestée par aucune pièce du dossier, ne fait état d'aucun élément circonstancié de nature à établir qu'il encourrait des risques à titre personnel en cas de retour dans son pays d'origine ;
- pour les mêmes motifs, la décision contestée n'est entachée d'aucune erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. B....
Par un mémoire en défense enregistré le 11 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Hug, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police de Paris ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 21 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Larsonnier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant afghan, né le 16 janvier 1995, entré en France le 10 août 2020 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par une décision du 24 décembre 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 27 avril 2022, sa demande d'asile a été rejetée. Le 27 mai 2022, M. B... a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile, qui a été rejetée comme irrecevable par une décision du 31 mai 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, notifiée le 24 juin 2022. Par un arrêté du 22 août 2022, le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé l'Afghanistan comme pays de destination de la mesure d'éloignement. Le préfet de police de Paris relève appel du jugement du 23 mai 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a, à la demande de M. B..., annulé son arrêté du 22 août 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler l'arrêté du 22 août 2022 du préfet de police de Paris en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination de la mesure d'éloignement dont fait l'objet M. B..., le premier juge a considéré que le préfet n'avait pas procédé à un examen sérieux des risques encourus par M. B..., originaire de la province de Kounar, en cas de retour dans son pays d'origine et qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que postérieurement au rejet des demandes d'asile de l'intéressé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, cette dernière avait rendu des arrêts récents n°s 21035553 et 23060602 par lesquels elle a jugé que, depuis la reprise du pouvoir en Afghanistan par les talibans en août 2021, ce pays est affecté par un climat de violence aveugle, notamment dans la province orientale de Kounar, violence qui sans atteindre un niveau élevé, affecte néanmoins de manière significative les civils victimes d'attaques ciblées.
4. D'une part, il ressort des termes de la décision contestée que le préfet de police de Paris, avant de fixer l'Afghanistan comme pays à destination duquel M. B... était susceptible d'être éloigné d'office, a mentionné que l'intéressé, de nationalité afghane, était originaire de la province de Kunar et a porté l'appréciation selon laquelle il n'établissait pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de police de Paris est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a considéré qu'il n'avait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... au regard des risques qu'il encourait en cas de retour dans son pays d'origine.
5. D'autre part, si M. B... soutient que, compte tenu de sa vulnérabilité psychologique, il ne pourra retourner dans son pays d'origine et qu'il y sera en outre isolé dès lors que l'ensemble des membres de sa famille a fui le pays, il n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ses allégations. En outre, il fait valoir qu'il encourrait des risques, en cas de retour en Afghanistan, à raison d'un profil " occidentalisé " réel ou imputé du seul fait de son séjour en Europe. Toutefois, aucune source d'information publique disponible et pertinente, notamment les rapports de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, intitulés " Afghanistan - Security situation " et " Afghanistan - Targeting of individuals " d'août 2022 et " Afghanistan - Country Guidance " de janvier 2023, ne permet de considérer que le seul séjour en Europe d'un ressortissant afghan, afin notamment d'y demander l'asile, l'exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d'origine, à des menaces ou traitements prohibés au sens et pour l'application des stipulations citées au point 2. M. B... ne démontre pas qu'il aurait acquis un profil " occidentalisé " ou qu'un tel profil pourrait lui être imputé en cas de retour en Afghanistan dès lors qu'en particulier, l'intéressé, qui a déclaré maîtriser la langue française alors qu'il ressort des mentions du jugement attaqué qu'il était accompagné à l'audience d'un interprète en langue pachto, ne justifie pas, malgré une présence allégué de trois années en France, de l'acquisition de tout ou partie des valeurs, du modèle culturel, du mode de vie, des usages et coutumes des pays européens. A cet égard, son seul séjour en France ainsi que la circonstance, à la supposer établie, qu'il aurait adopté un style vestimentaire occidentalisé, ne saurait suffire à établir un tel profil ou à démontrer le risque d'une telle imputation en cas de retour dans son pays d'origine. Par ailleurs, ainsi que le fait valoir le préfet de police de Paris devant la cour, il ressort des sources d'information publiques disponibles sur l'Afghanistan, notamment des rapports de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile intitulés " Afghanistan - Security situation " et " Afghanistan - Targeting of individuals " d'août 2022 et " Afghanistan - Country Guidance " de janvier 2023, que la victoire militaire des forces talibanes, au mois d'août 2021, a mis fin au conflit armé qu'a connu le pays durant de nombreuses années et qui a opposé les autorités gouvernementales et l'armée nationale afghane, appuyées par des forces armées étrangères, à des groupes armés insurgés, notamment les forces talibanes qui contrôlent, depuis lors, la quasi-totalité du territoire afghan. Il ressort également des mêmes sources que le degré de violence caractérisant le conflit armé, qui oppose désormais les autorités de fait gouvernant l'Afghanistan et certains groupes insurgés, tel que l'Etat islamique - Province du Khorassan (ISKP), et qui sévit dans les provinces de Badakhshan, Baghlan, Balkh, Kaboul, Kandahar, Kapisa, Kunar, Kunduz, Nangarhar, Panchir, Parwan et Takhar, n'atteint pas un niveau si élevé qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans ce pays ou dans l'une de ces provinces courrait, du seul fait de sa présence dans l'une de ces provinces, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne. Enfin, M. B... n'a fait état d'aucun autre élément de nature à permettre de considérer qu'il présenterait une vulnérabilité particulière à l'égard des forces talibanes désormais au pouvoir en Afghanistan. Ainsi, il n'a apporté aucun élément sérieux ou convaincant permettant de considérer qu'il encourrait, dans le cas d'un retour en Afghanistan, de manière suffisamment personnelle et certaine, des menaces quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, et contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, en décidant que l'intéressé pourrait être éloigné à destination du pays dont il a la nationalité, le préfet de police de Paris n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... contre la décision fixant le pays de destination.
7. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, le préfet de police de Paris a procédé à un examen particulier de la situation de M. B... au regard des risques qu'il encourait en cas de retour dans son pays d'origine et ne s'est pas estimé lié par les décisions par lesquelles l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont rejeté sa demande d'asile.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
9. Ainsi qu'il a été dit au point 5, M. B... n'établit pas, qu'en cas de retour dans son pays d'origine, il serait personnellement exposé à un risque de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
10. En troisième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 et 9, en fixant l'Afghanistan comme pays de renvoi, le préfet de police de Paris n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de M. B....
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par le préfet de police de Paris, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 22 août 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à Me Hug, conseil de M. B..., la somme sollicitée au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2209244 du 23 mai 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif de Melun par M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 août 2022 en tant qu'il désigne l'Afghanistan comme pays de renvoi et ses conclusions d'appel présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 août 2024.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
A. Menasseyre
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02714 2