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24/07/2024 | FRANCE | N°24PA00994

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 24 juillet 2024, 24PA00994


Vu la procédure suivante :



Procédure antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 10 mai 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit la circulation sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 2305749 du 31 janvier 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du préfet de police du 10 mai 2023, a enjoint au

préfet de police de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la not...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 10 mai 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit la circulation sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2305749 du 31 janvier 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du préfet de police du 10 mai 2023, a enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, a condamné l'Etat à verser au conseil de M. B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 29 février 2024, le préfet de police, demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1, 2 et 3 du jugement n° 2305749 du 31 janvier 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la décision portant obligation de quitter le territoire était entachée d'une erreur de qualification juridique des faits quant à la menace grave à l'ordre public et d'un défaut d'examen de la situation personnelle de

M. B... ;

- c'est à tort que les premiers juges ont annulé par voie de conséquence les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et interdisant à M. B... de circuler sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois ;

- s'agissant des autres moyens soulevés par M. B..., il entend conserver l'entier bénéfice de ses écritures de première instance.

Par des mémoire en défense, enregistrés le 8 avril 2024 et un mémoire en production de pièces enregistré le 19 juin 2024, M. B..., représenté par Me Nicolas de

Sa-Pallix, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que les pièces produites par le préfet en première instance soient écartées des débats pour irrecevabilité, à l'annulation des décisions contenues dans l'arrêté du préfet de police du 10 mai 2023, à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un carte de séjour de dix ans portant la mention " citoyen UE/EEE/Suisse - séjour permanent - toutes activités professionnelles " sur le fondement de l'article R. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui restituer son passeport n° PAQ373838 valable du 7 mars 2023 au

7 mars 2028 dans un délai d'une semaine à compter de l'arrêt à intervenir sous la même astreinte, de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement dont il fait l'objet dans le système d'information Schengen, dans le délai de deux semaines à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'appel du préfet de police est irrecevable à défaut de production du jugement

attaqué ;

- les pièces produites par le préfet de police en première instance devront être écartées pour méconnaissance des dispositions des articles R. 412-2 et R. 414-5 du code de justice administrative dès lors qu'elles ont été produites dans un fichier unique sans signet, qu'elles ne constituent pas une série homogène et ne sont pas accompagnées d'un inventaire détaillé ;

- l'ensemble de la procédure est entachée d'une violation du principe d'égalité des armes et du principe du contradictoire ; elle est également entachée d'un détournement de pouvoir ;

- les décisions attaquées sont entachées d'incompétence de l'auteur de l'acte ;

- ces décisions sont insuffisamment motivées ;

- elles sont entachées d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- il a été privé du droit d'être entendu ;

- les décisions attaquées ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles L. 251-2 et L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cet arrêté est entaché d'un vice de procédure, dès lors que le préfet de police ne justifie pas de l'identité et de l'habilitation de l'agent qui a procédé à la consultation des fichiers informatisés ; cet arrêté est entaché d'une méconnaissance des dispositions de l'article

R. 40-29 du code de procédure pénale et d'une violation du secret de l'enquête ;

- il devait se voir délivrer de plein droit un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet de police a entaché sa décision portant obligation de quitter le territoire d'une erreur de droit en l'absence de qualification d'une menace à l'ordre public suffisante pour édicter une mesure d'éloignement et a violé les dispositions de l'article L. 251-1 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision est entachée d'erreurs de fait dès lors qu'il est né en Espagne et vit en France depuis l'âge de onze ans, qu'il y a toutes ses attaches, qu'il y a effectué ses études et y a occupé différents emplois, qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public, qu'il disposait à la date de l'arrêté de ressources suffisantes et qu'il est bien inséré dans la société française ;

- elle est entachée d'une méconnaissance de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision de refus de délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 251-4 et

L. 251-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une méconnaissance de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste d'appréciation.

M. B... a produit une nouvelle pièce enregistrée le 25 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme Julliard a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- et les observations de Me de Sa-Pallix, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant espagnol, né le 17 janvier 2002, a été interpellé le 10 mai 2023. Par un arrêté du même jour, le préfet de police de Paris a, sur le fondement du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, obligé M. B... à quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Le préfet de police relève appel du jugement n° 2305749 du 31 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 10 mai 2022.

Sur l'appel du préfet de police :

2. Aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux conditions de séjour applicables aux citoyens de l'Union européenne : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ;/ (...). Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou

L. 233-3 ; / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

3. Ces dernières dispositions doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Il appartient à l'autorité administrative d'un Etat membre qui envisage de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant d'un autre Etat membre de ne pas se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, mais d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'ensemble de ces conditions doivent être appréciées en fonction de la situation individuelle de la personne, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

4. Il ressort des pièces du dossier, notamment du fichier automatisé des empreintes digitales (F.A.E.D), que M. B... a été signalisé le 5 décembre 2022 pour conduite d'un véhicule à moteur malgré une injonction de restituer le permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points et pour transport sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D et le 10 mai 2023 pour vol avec arme, violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, vol aggravé par deux circonstances avec violences.

5. Il ressort toutefois également des pièces du dossier que M. B..., âgé de vingt-et-un ans à la date de l'arrêté en litige, est arrivé en France en 2013, à l'âge de onze ans avec ses parents, son frère et sa sœur, qu'il a été scolarisé au collège Olympe de Gouges, puis au lycée professionnel Theodore Monod à Noisy-le-Sec jusqu'en classe de terminale et a obtenu son brevet d'études professionnelles en juillet 2020. Il établit également que résident en France, outre ses parents chez lesquels il hébergé, son frère et ses sœurs dont l'une est née en France, et être en couple depuis 2017 avec une Française avec laquelle il démontre avoir déposé une demande de logement social le 1er mai 2023. Il justifie d'une activité professionnelle en qualité de préparateur automobile du 20 décembre 2021 au 12 mai 2023, puis postérieurement à l'arrêté contesté, de la détention d'un contrat à durée déterminée de six mois en tant qu'opérateur lavage multisites, puis de la perception d'indemnités de licenciement économique et de la signature de son contrat de sécurisation professionnelle en mai 2023. Ainsi, en dépit des signalisations pour deux délits dont il fait l'objet, compte tenu de l'ensemble de la situation de l'intéressé, notamment de la durée de son séjour sur le territoire français, de sa situation familiale et de son intégration sociale en France, le préfet de police a commis une erreur d'appréciation en décidant de l'éloignement de M. B... et en interdisant sa circulation sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée à la requête, que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du

10 mai 2023.

Sur les conclusions de M. B... à fin d'injonction :

7. Le rejet de la requête du préfet n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions de M. B... aux fins d'injonction et d'astreinte, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que demande M. B... au titre des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel de M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de police et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juillet 2024.

La rapporteure,

M. JULLIARDLe président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA00994 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00994
Date de la décision : 24/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : DE SA - PALLIX

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-24;24pa00994 ?
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